Tunisie : la révolution par les urnes

L’universitaire à la retraite Kaïs Saïed est sorti vainqueur du premier tour de la présidentielle tunisienne du 15 septembre 2019. Selon les résultats officiels proclamés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le candidat indépendant est arrivé en tête avec 18,4% des voix contre 15,6% pour son challenger, Nabil Karoui en détention. Un véritable coup dur pour la classe politique tunisienne et particulièrement le régime au pouvoir qui, malgré la machine électorale et les moyens de l’Etat, traîne loin en queue de peloton. En effet, l’ex-ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi, arrive en 4e position avec 10,7 % des voix suivi du Premier ministre sortant, Youssef Chahed qui n’a recueilli que 7,38 % des suffrages exprimés. La présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi qui était citée parmi les favoris, est largement distancée n’ayant récolté que 4,7% des voix. Dans son intervention depuis son bureau sommaire de Tunis-centre, après la proclamation des résultats, Kaïs Saïed qui a refusé la subvention de l’Etat pour financer sa campagne, a rendu hommage aux équipes bénévoles qui ont battu campagne pour lui avec leurs propres moyens. Initialement prévu en novembre, le premier tour de l’élection présidentielle avait été avancé au dimanche 15 septembre après la mort, le 25 juillet du chef de l’État en exercice, Béji Caïd Essebsi. L’émergence des deux candidats « antisystèmes » à l’issue du vote traduit l’échec d’une gouvernance approximative, marquée par une fracture entre des politiciens baignant dans la bourgeoisie et des citoyens qui attendent désespérément l’amélioration de leurs conditions de vie. Le scrutin a offert aux électeurs l’occasion de tourner définitivement la page des caciques indéboulonnables qui gravitaient depuis quelques années autour du même système. Cette lassitude a d’ailleurs amené une bonne partie des sept millions d’électeurs, qui étaient attendus dans les urnes dimanche, à boycotter l’élection en restant chez eux. Cette douche froide est donc une leçon donnée aux politiciens vendeurs d’illusion, qui pensent toujours utiliser leurs concitoyens comme bétail électoral pour parvenir à leur but.
Le coup de théâtre de dimanche dernier à Tunis a fini de convaincre ceux qui en doutaient encore que les peuples africains ont gagné en maturité et qu’il serait absurde de vouloir continuer avec les mêmes stratégies et recettes politiques du moyen âge pour se maintenir au pouvoir. Certains analystes n’ont pas hésité à qualifier le scrutin de révolution pacifique par les urnes. Plutôt que de ruminer, les partis politiques gagneraient à se ressaisir et remobiliser leurs militants pour les législatives prévues entre les deux tours. En attendant ce duel final entre le spécialiste du droit constitutionnel et le prisonnier de la Mornaguia, Nabil Karoui, ce dernier espère retrouver la liberté pour affronter son adversaire. Poursuivi pour « blanchiment d’argent » et « évasion fiscale », l’homme d’affaires a été arrêté et jeté en prison alors qu’il était en précampagne. Pendant les trois dernières années, Nabil Karoui et son staff avaient sillonné les villes de l’intérieur de la Tunisie où les investissements de l’Etat sont faibles allant à la rencontre des populations et distribuant parfois des vivres. Il sera opposé à un professeur d’université qui a rebondi de sa retraite pour se lancer dans la course à la conquête du fauteuil présidentiel. Candidat indépendant, l’enseignant a su séduire l’électorat par sa vision de la politique selon laquelle les gouvernants doivent élaborer leur programme de développement avec la participation des populations bénéficiaires. Cette vision a amené Kaïs Saïed, très tôt, à prendre ses distances avec les partis politiques, qui font toujours dans la démagogie. Il promet de remanier les institutions et de créer des comités locaux pour recueillir les aspirations des citoyens. Réussira-t-il à maintenir la confiance des électeurs jusqu’au bout ?

Beyon Romain NEBIE
nbeyonromain@yahoo.fr

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