
Dans cette tribune, Simon Bukenya, chargé de programme, changement climatique et agroécologie à l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA) dit pourquoi les organisations de la société civile africaine peinent à collaborer efficacement dans les espaces climatiques et comment elles doivent créer l’influence, l’unité et l’action pour un deuxième Sommet Africain sur le Climat (AEC II) juste et efficace.
Alors que le monde se dirige progressivement vers des points de basculement climatiques, l’Afrique se trouve au carrefour de la vulnérabilité environnementale et des opportunités socio-économiques. Le prochain Sommet africain sur le climat, prévu du 8 au 10 septembre 2025 à Addis-Abeba, promet d’être une étape cruciale dans la résolution des problèmes liés au climat en Afrique. Dans le prolongement du sommet inaugural qui s’est tenu à Nairobi en 2023, cette rencontre devrait relancer les efforts en faveur des ambitions climatiques de l’Afrique. Pourtant, sous la surface de tout cela, se cache une vérité inconfortable : les organisations de la société civile (OSC) africaines, qui devraient être la boussole morale et la force mobilisatrice du plaidoyer climatique du continent, restent divisées, marginalisées et souvent réactives.
J’ai participé à une réunion d’acteurs non étatiques à Addis-Abeba qui a permis de se faire une idée précise des opportunités et des faiblesses de l’écosystème des OSC africaines. La réunion a rassemblé des participants de quelques pays africains, dont le Kenya, l’Ouganda, l’Éthiopie, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire, le Botswana et le Cameroun, ainsi que des représentants du gouvernement éthiopien.
Si l’intention était noble et pure de créer un espace de dialogue et de définition de l’ordre du jour entre les acteurs non étatiques, la structure de la réunion a révélé des problèmes profondément enracinés qui affectent depuis longtemps l’espace des OSC africaines, notamment l’exclusivité, la concurrence pour le leadership, les ordres du jour dictés par les donateurs et la fragmentation de la voix. Si les OSC africaines veulent jouer un rôle transformateur dans l’élaboration des politiques climatiques continentales et mondiales, une introspection urgente et une reconfiguration audacieuse des modèles de collaboration sont nécessaires.
Le secteur de la société civile africaine n’a jamais manqué de passion, d’engagement, ni même d’expertise technique. Des réseaux locaux qui promeuvent les systèmes alimentaires indigènes et les mécanismes d’adaptation communautaires aux groupes de réflexion qui plaident en faveur d’un financement transformateur du climat et de transitions justes, l’ampleur de l’engagement est vaste et dynamique. Malgré tout, cela ne s’est pas traduit par une voix continentale unifiée et efficace.

Les raisons de ce qui précède sont assez complexes et absurdes. Par exemple, l’arène de la politique climatique, comme de nombreux espaces de gouvernance mondiale, est tristement inégale. Les priorités des donateurs déterminent souvent ce qui est financé, ce qui à son tour influence ce qui est défendu. De nombreuses OSC africaines sont contraintes de courir après les cycles de financement plutôt que de concevoir des interventions ancrées dans la construction de mouvements à long terme. Cela nuit à la cohérence stratégique et favorise la fragmentation, car les organisations s’alignent davantage sur les récits et les préférences des bailleurs de fonds que sur les impératifs locaux. « Les OSC africaines doivent commencer à définir l’agenda des bailleurs de fonds plutôt que de se plier à leurs exigences.
Il existe également une tendance croissante à considérer l’affiliation plutôt que la représentation et l’inclusivité lors de la sélection des acteurs devant participer aux espaces climatiques, en particulier là où les décisions sont prises. De nombreuses réunions destinées à amplifier le collectif finissent souvent par convoquer les acteurs et organisations convertis qui font déjà partie de certains réseaux. Cela exclut de nombreuses parties prenantes pertinentes, en particulier celles qui travaillent au niveau communautaire, bien qu’elles soient les plus proches des réalités de la vulnérabilité et de la résilience climatiques.
Si la participation est fréquente, en particulier lors des événements parallèles et des discussions plénières, une véritable collaboration reste rare. L’inclusion symbolique n’équivaut pas à l’influence et de nombreuses OSC assistent aux réunions sans pour autant influencer l’ordre du jour. D’autres sont consultées mais ne sont pas entendues, ce qui nécessite d’institutionnaliser la représentation de la base afin que les voix des communautés ne soient pas seulement présentes mais centrales dans les décisions.
Le premier sommet africain sur le climat (AEC I) : les inconvénients de l’engagement des OSC
Le premier sommet africain sur le climat, qui s’est tenu à Nairobi en 2023, sert d’exemple pour étayer cette discussion. Bien que d’une ampleur historique, le sommet a été largement critiqué comme étant contrôlé par l’étranger, avec des déclarations qui, pour beaucoup, étaient davantage alignées sur les intérêts du marché du carbone extérieur que sur les besoins de l’Afrique en matière de développement et d’adaptation. La conception dominante de l’Afrique comme un puits de carbone, avec les marchés du carbone positionnés comme une solution primaire, a été considérée par de nombreuses OSC comme non seulement réductrice, mais aussi dangereuse.
Cette trop grande importance accordée aux mécanismes de marché, souvent poussés par les institutions multilatérales et les gouvernements du Nord, a laissé peu de place aux approches alternatives et efficaces telles que l’agroécologie, les systèmes de connaissances indigènes et les cadres de justice climatique menés par des approches communautaires. En conséquence, les appels à la souveraineté, à l’équité et aux approches centrées sur les personnes ont été relégués au second plan. Le sommet s’est conclu sur des déclarations mais peu de clarté sur les voies de mise en œuvre, s’ajoutant à une longue liste d’engagements continentaux magnifiquement formulés mais insuffisamment mis en œuvre.
Réimaginer le sommet africain sur le climat
Le deuxième sommet africain sur le climat, qui sera accueilli par la République fédérale d’Éthiopie par l’intermédiaire de son ministère de la planification et du développement, offre une occasion unique de remodeler l’agenda climatique du continent par le biais d’une approche plus inclusive et authentiquement africaine. Ces derniers temps, un nombre croissant d’acteurs non étatiques et de parties prenantes ont exprimé leur vif désir de voir un sommet reflétant le leadership, la vision et les priorités de l’Afrique, non seulement dans la rhétorique, mais aussi dans la structure et la substance.
Pour y parvenir, la société civile doit aller au-delà d’une participation symbolique ou passive et participer activement à l’élaboration des orientations du sommet. Le processus ne doit pas être mené uniquement par des acteurs étatiques, mais doit au contraire intégrer intentionnellement et de manière significative des voix non étatiques à tous les niveaux de la prise de décision. Il faut également forger une position collective africaine qui ne soit pas fragmentée en fonction des pays ou des donateurs, mais qui soit unie dans ses objectifs et capable d’influencer des espaces mondiaux clés tels que.
Au cœur de cette vision se trouve la nécessité de recadrer le discours sur le financement du climat d’une manière qui soit juste, transparente et qui donne la priorité à l’adaptation en même temps qu’à l’atténuation. Le sommet doit également briser les silos et garantir des discussions interconnectées dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie, de la biodiversité, de la finance et des ressources naturelles, afin de refléter les réalités complexes du changement climatique. Il est essentiel que les organisations de la société civile africaine soient libérées des cadres imposés par les donateurs et qu’elles aient les moyens de définir l’ordre du jour et de plaider en faveur de solutions qui correspondent au contexte et aux aspirations propres au continent. Ces aspirations reflètent une maturité et une urgence croissantes au sein de la société civile africaine, mais elles exigent également de repenser la collaboration dans ses fondements.
Quels sont les freins à l’engagement et à la collaboration des OSC ?
L’engagement et la collaboration efficaces entre les organisations de la société civile (OSC) africaines continuent de se heurter à des difficultés systémiques qui fragmentent l’action collective et diluent l’impact. L’un des principaux obstacles est la dépendance à l’égard des donateurs, qui fausse souvent les programmes. De nombreuses OSC opèrent sous l’influence de bailleurs de fonds internationaux dont les priorités, le langage et les cadres peuvent ne pas s’aligner sur les besoins du continent. Cela conduit à des efforts décousus, où les organisations poursuivent des objectifs divergents en fonction des intérêts des donateurs plutôt que de s’unir autour de priorités africaines communes. En l’absence d’un modèle de financement qui préserve l’autonomie des OSC, la vision d’un plaidoyer unifié reste difficile à réaliser.
Un autre obstacle majeur réside dans les concours de leadership et la politique des plateformes. La concurrence pour la représentation dans les espaces climatiques continentaux est devenue de plus en plus courante, certaines plateformes affirmant leur légitimité grâce au soutien des donateurs et d’autres grâce à leurs relations avec la base. Ces rivalités ne font pas que fracturer le mouvement, elles sèment également la confusion dans l’esprit des gouvernements et des parties prenantes internationales. Ce qu’il faut, ce sont des mécanismes de direction inclusifs et transparents qui favorisent la collaboration par le biais d’une planification conjointe, de responsabilités partagées et d’une rotation des rôles de direction.
Les OSC africaines ont également souvent du mal à mettre en œuvre les décisions et les cadres qu’elles contribuent à façonner. Bien qu’elles contribuent aux déclarations et aux prises de position, nombre d’entre elles manquent de ressources ou de poids politique pour les traduire en actions, ce qui érode leur crédibilité et limite leur influence.
Le faible lien entre les engagements régionaux et le plaidoyer au niveau national, qui fait que les OSC manquent souvent des occasions d’influencer les positions de leurs gouvernements avant les grands sommets, ce qui réduit leur impact sur la formulation des politiques. Il est urgent de mettre en place une coordination au niveau national, un engagement continu avec les ministères clés et des mécanismes solides de suivi des politiques.
Les décideurs politiques demandent généralement des preuves pour étayer les arguments et les programmes des OSC, mais les preuves produites par les OSC, qui se présentent souvent sous la forme d’études de cas et de notes politiques, sont facilement rejetées lorsqu’elles entrent en conflit avec les récits dominants des donateurs ou des gouvernements. Cela décourage la recherche à long terme et sape le rôle des OSC en tant que leaders de la connaissance.
En outre, il subsiste un malentendu généralisé entre la participation et le pouvoir réel, de nombreuses OSC considérant que le fait d’être invitées dans des espaces équivaut à avoir de l’influence. Une véritable collaboration nécessite une inclusion structurelle, où les OSC co-créent les agendas, définissent les priorités et demandent des comptes aux détenteurs du pouvoir, notamment en garantissant un espace pour les voix des femmes, des jeunes et des groupes indigènes.
La collaboration est la stratégie
Le sommet africain sur le climat n’est pas un simple événement diplomatique. Il est le reflet de la volonté de l’Afrique de définir son avenir climatique. L’incapacité des OSC à s’unir et à collaborer efficacement n’est pas seulement une occasion manquée, c’est aussi une vulnérabilité. Dans un monde où les récits sont façonnés par ceux qui se présentent, parlent le plus fort et parlent en chœur, le silence et la fragmentation sont des formes de capitulation.
Il n’est pas nécessaire d’en arriver là, car les OSC africaines possèdent l’expertise, l’expérience et la légitimité nécessaires pour mener à bien une transition climatique juste et centrée sur l’être humain. Ce qu’il faut maintenant, ce ne sont pas de nouvelles déclarations ou invitations à participer, mais une décision consciente, audacieuse et fondée sur les valeurs et le respect de collaborer au-delà des frontières, des secteurs et des idéologies. La question n’est plus de savoir si la collaboration est nécessaire, mais si les OSC sont prêtes à combiner leurs différences, à collaborer et à faire le travail difficile et transformateur qui s’impose.
Simon Bukenya
Chargé de programme, changement
climatique et agroécologie, AFSA