L’axe Kaya-Dori, long de 165 km, est emprunté depuis plus de deux ans par des convois sécurisés du fait de l’insécurité. Ainsi, les cars de transport en commun, les camions de marchandises et autres citernes qui desservent la région du Liptako et le Niger voisin patientent à Kaya en attente du convoi. Durant ce laps de temps, les voyageurs contribuent à l’animation de la vie économique de Kaya. Zoom sur le petit commerce occasionné par l’attente du convoi dans la cité du cuir et du « Koura-koura ».
En cette fin du mois d’avril 2025, la rue menant à l’école primaire « Kuimkouli » qui signifie en langue nationale mooré « que le paresseux rentre chez lui », grouille de monde. Nous sommes à l’escale de Dori, devenue une gare de fortune au secteur 6 de Kaya, chef-lieu de la région des Kuilsé. Sous un soleil ardent, hommes, femmes, vieux et enfants, assis soit sur des nattes ou des bancs ou encore à même le sol, profitent de l’ombre des véhicules stationnés et des arbres. Tous attendent le convoi pour rejoindre Dori, chef-lieu de la région du Liptako voisin ou continuer au Niger.
Cette escale étant devenue une rue marchande du fait de la forte présence des voyageurs, le petit commerce s’y développe aisément de jour comme de nuit. On y retrouve des marchands ambulants et également ceux établis en vue de fidéliser la clientèle. C’est dans cette ambiance que Sayouba Sawadogo surnommé « Le vieux télécom », vêtu d’une chemise rouge-bordeau, manipulant le téléphone d’un client nous reçoit dans son atelier. Debout face à ses clients qui veulent soit charger leur appareil, soit acheter un accessoire de téléphone ou faire un transfert d’argent, notre interlocuteur explique que dans l’optique de répondre aux besoins de ses clients, il ouvre à 6 heures 30 minutes et ferme à 22 heures.
Pour charger un téléphone portable, il exige 100 F CFA et 200 F CFA pour la recharge d’un power bank. Autre outil de travail que possède Sayouba Sawadogo, un réfrigérateur pour la vente d’eau et de boissons fraiches. Par jour, « Le vieux télécom » peut charger jusqu’à 40 portables et power bank, en plus de la vente des accessoires de téléphones. Il dit avoir un gain journalier de 10 000 F CFA. Pour la charge des portables et des power bank, il délivre des tickets aux clients que ces derniers présentent en vue de récupérer leur appareil. M. Sawadogo a aussi installé le Wifi dont la connexion coûte 100 FCFA pour 2 heures et 200 FCFA pour 24 heures. Le gain tiré du wifi varie entre 1500 FCFA et 2000 FCFA par jour. Marié et père de deux enfants, il mène cette activité depuis une dizaine d’années pour subvenir aux besoins de sa famille.
Rencontré sur place, le client Aboubacar Diallo venant du Mali et se rendant à Dori, sa ville natale, a déjà passé quelques jours à Kaya dans l’attente du convoi. Durant son séjour, il se connecte dans l’atelier de M. Sawadogo pour rester en contact avec ses proches et amis non seulement à Dori mais aussi à travers le monde. Ce jour-là, il a envoyé 50 000 F CFA à sa famille à Dori pour faire face à certaines charges en attendant son arrivée. De son avis, « le vieux télécom » rend un grand service aux voyageurs qui attendent le convoi. « On arrive à avoir des unités, à faire des transferts d’argent et à charger nos appareils sans problème », soutient-il.
Sayouba Sawadogo, lui aussi réparateur de portables et ancien collaborateur du « Vieux télécom » (NDLR, son homonyme parfait), s’est installé sous son hangar. Après avoir passé une année avec son ex-patron, il est allé se former en réparation de téléphones portables et il exerce ce métier depuis 5 ans. « S’il y a une forte affluence, je peux réparer plus de 10 portables en une journée et entrer à la maison avec 15 000 à 20 000 F CFA. Mes clients sont essentiellement les voyageurs qui attendent le convoi », a-t-il confié. Selon lui, ses recettes lui permettent de subvenir aux besoins de sa famille.
De la nourriture pour toutes les bourses
De l’autre côté de la rue, se dresse un kiosque qui sert de restaurant à Awa Bintou Ouédraogo. La cinquantaine révolue, elle est venue de la Côte d’Ivoire après le décès de son époux en 2023. Depuis lors, elle fait son petit commerce pour s’occuper de ses sept enfants. Dans son restaurant, elle vend du riz, du tô, de l’attiéké, du haricot et de la

boisson. Elle a révélé qu’il n’y a pas de prix fixe, tout dépend de la bourse du client. Tout souriant, le voyageur en partance pour Gorom-Gorom, chef-lieu de la province de l’Oudalan dans le Liptako, Alassane Ag Ibrahim, confirme les dires de dame Ouédraogo.
Dégustant son plat de haricot, il a apprécié les repas de la restauratrice. « J’ai l’habitude de manger chez elle chaque fois que je suis de passage à Kaya, du fait de la qualité des repas et des prix accessibles », affirme-t-il. La restauratrice travaille avec quatre de ses enfants et deux nièces payées chacune à 15 000 FCFA le mois. A l’entendre, ses revenus lui permettent de faire face aux charges de sa progéniture, avec un bénéfice mensuel variant entre 50 000 et 75 000 F CFA.
Awa Bintou Ouédraogo a débuté son commerce bien avant l’avènement du système de convoi. En revanche, soutient-elle, c’est avec le convoi que le petit commerce s’est fortement amélioré au sein de la gare. « Avec le convoi, la nourriture se vend sans problème puisque les gens ont besoin de s’alimenter. Une fois que le convoi commence à prendre du temps, les gens manquent d’argent pour s’acheter un café », déplore Mme Ouédraogo. En ce moment, explique dame Ouédraogo avec une voix emprunte de joie, elle fait du social. Selon ses croyances religieuses, dit-elle, il est difficile de refuser à boire et à manger à des gens qui n’ont plus d’argent.
« Certes, je perds de l’argent, mais Dieu nous demande de soutenir ceux qui n’ont pas les moyens financiers », lance-t-elle. Hormis son commerce, elle fait une œuvre charitable en mettant à la disposition de ses clients 15 bidons d’eau de 20 litres chacun afin que ceux-ci puissent les utiliser pour divers besoins notamment prendre leur douche ou faire leurs ablutions pour la prière entre autres.
A proximité du kiosque de la restauratrice, Abdoulaye Ouédraogo, une Personne déplacée interne (PDI) de la région du Soum (Djibo), gère une petite boutique et vend du café pour assurer ses charges familiales. Il est installé confortablement dans sa chaise avec une table dressée devant lui, contenant le nécessaire pour satisfaire ses clients. Derrière lui, sa boutique en métallique, avec divers articles notamment du savon, du sucre, du détergent et des produits cosmétiques. Il n’a pas d’heures de fermeture. Tout dépend de l’affluence de la clientèle. Le jour du départ du convoi, il vend de la veille jusqu’au lendemain matin. « Avant le convoi, les clients pouvaient se compter au bout des doigts. Avec le convoi, je fais de bonnes affaires », indique M. Ouédraogo. A l’instar de « Le vieux télécom » et de bon nombre de gérants de boutiques de rue, Abdoulaye Ouédraogo a également installé une connexion internet pour permettre à ceux qui le désirent de se connecter au coût de 200 F CFA pour 24 heures.
Le promoteur de toilettes privées
Outre la rue qui est beaucoup animée pendant l’attente du convoi, cette gare de fortune communément appelée ancienne gare STMB, est aussi constituée d’un espace où stationnent les cars de transport en commun qui desservent le Liptako et le Niger. Natif et originaire de Kaya, la cité du cuir et du « Koura-koura », Karim Ouédraogo rappelle qu’il existait une gare de la compagnie de transport STMB et bien d’autres qui empruntaient l’axe Ouagadougou-Dori et faisaient des escales à Kaya. Cependant, regrette-t-il, les passagers étaient confrontés à une difficulté majeure dans la mesure où il n’y avait pas de toilettes pour leurs besoins.
Dans l’optique de rendre l’escale agréable, il dit avoir approché la mairie de Kaya, il y a sept ans pour réaliser des toilettes. Depuis lors, il travaille avec sa mère et ses deux neveux. « Au début, il n’y avait pas d’affluence mais avec le convoi, nous recevons beaucoup de clients. Dans le souci de mieux les satisfaire, nous avons réfectionné les installations. Pour les personnes qui veulent prendre leur douche, elles déboursent 100 F CFA et 50 FCFA pour celles qui désirent se soulager », a expliqué M. Ouédraogo. En plus des toilettes, il a confectionné un bassin pour conserver l’eau afin de parer à toute pénurie. Concernant les bénéfices, il dit parfois travailler à perte mais rend service aux usagers à cause de Dieu.

« Plus le séjour se prolonge, plus les voyageurs n’ont plus d’argent pour subvenir à leurs besoins et ils deviennent du coup vulnérables financièrement. Certaines personnes viennent négocier l’eau soit pour prendre leur douche, soit pour faire la lessive ou encore pour faire les ablutions pour les prières », raconte Karim Ouédraogo. Ce client ayant requis l’anonymat salue l’initiative de M. Ouédraogo. Notre interlocuteur prend sa douche deux fois par jour chez M. Ouédraogo en raison de 100 F CFA par service, donc 200 F CFA pour la journée. Pour les habits sales, il débourse 200 F CFA par ensemble pour le lavage.
Quant à Rasmata Zoulboko, une jeune dame en attente du convoi pour rallier Bani dans la région du Liptako, elle soutient avoir appris de bouche à oreille qu’il existe un endroit pour se doucher et faire la lessive. Pour la lessive, elle achète soit un seau à 100 F CFA ou un bidon d’eau de 20 litres à 150 F CFA.
Le lavage des habits, un gagne-pain
Depuis le début du convoi, Maimounata Sawadogo, une jeune mère âgée de 25 ans, fréquente l’ex-gare à la recherche de linges sales des passagers à laver. Ainsi, avec son nourrisson de 10 mois, la lavandière s’adonne à cette activité pour prendre en charge sa famille vu que son époux n’a pas d’Activité génératrice de revenus (AGR) stable. Pour bien faire son travail, elle confie son enfant à la génitrice de Karim Ouédraogo, la gérante des toilettes privées. Elle est bien connue des passagers qui ont l’habitude de prendre le convoi. Du coup, lorsque ces derniers ont des habits sales, il leur suffit de faire un tour sur le lieu de lavage et le tour est joué. Son gain journalier, confie-t-elle, est fonction de l’affluence et varie entre 2 000 et 3 000 F CFA.
Un peu plus loin, certaines personnes, bouilloires en main, s’attèlent à faire leurs ablutions pour la prière tandis que les vendeuses ambulantes d’eau, de jus et de bouillie déambulent entre les véhicules. Poussant sa charrette et appelant les clients à la criée, nous sommes interpellés par le jeune marchand ambulant, Massaoudou Langa, à venir acheter des habits. Agé de 14 ans et originaire de Cinkansé dans le Koulpélogo, il réside à Kaya avec ses parents. Il a emboité le pas de ses ainés qui l’ont initié au commerce, il y a à peine une année. A son tour, il vend sur une charrette, des vêtements d’enfants féminins et dit avoir un gain journalier de 8 000 à 10 000 FCFA. Chaque soir, il fait le point de la vente à son frère ainé et celui-ci l’approvisionne tout en économisant une partie de son bénéfice.
Son compagnon, Aziz Ouédraogo, qui vend des verres et des porte-clés, lui, déambule dans les différents endroits de la gare à la recherche de la clientèle. Agé de 13 ans, Il a dit qu’il vend les articles de son frère ainé qui a rejoint un site aurifère. Comme son ami Massaoudou, il fait le point à son géniteur et ce dernier l’approvisionne au fur et à mesure en articles. Il mène ce commerce depuis deux ans et gagne entre 10 000 et 15 000 F CFA par jour.
Plus de 4 millions FCFA perçus par la mairie en 2024
Selon le régisseur des recettes de la mairie de Kaya, Idrissa Sawadogo, avant le convoi, les recettes provenant des taxes de stationnement étaient très faibles. Pour preuve, il précise que les recettes du premier trimestre de 2023 ne dépassaient pas 60 000 F CFA. Avec le convoi, s’est-il félicité, les recettes se sont améliorées de façon exponentielle. D’avril à décembre 2023, la mairie a fait une recette de 750 000 F CFA dont 150 000 F CFA de ristourne (20%) pour les syndicats. Pour l’année 2024, la mairie a perçu 4 760 000 F CFA soit 952 000 F CFA pour les syndicats.
Pour le premier trimestre de 2025, les recettes sont estimées à 1 000 000 FCFA dont 200 000 F CFA pour les syndicats. La mobilisation des recettes de stationnement a été possible grâce à la collaboration entre la mairie et les syndicats de transporteurs. « Avant l’avènement du convoi, la mairie a toujours eu des collecteurs ambulants avec des tickets de 200 F CFA, 500 F CFA et 1000 F CFA et ce, en fonction du gabarit des véhicules. Avec le convoi, le travail était devenu pénible pour nos collecteurs dans la mesure où ils devaient travailler nuitamment », a expliqué M. Sawadogo. Face à cette difficulté, a-t-il poursuivi, la Présidente de la délégation spéciale (PDS) de Kaya, Solange Kima, a nommé le président de la section des Kuilsé de l’Organisation des transporteurs routiers du Burkina (OTRAF), El hadj Mahamadi Zamtako, collecteur ambulant pour faciliter le travail.
« Pour se conformer à la loi, la proposition de nomination a été suivie du visa du directeur régional du contrôle des marchés publics et des engagements financiers des Kuilsé et d’une ampliation au trésorier régional. De manière concrète, El hadj Mahamadi Zamtako vient chercher les tickets qu’il remet à ses collaborateurs pour faire la collecte sur le terrain », a indiqué Idrissa Sawadogo. Et d’ajouter qu’il vient faire le versement en fonction des tickets reçus. Ainsi, à la fin de chaque mois, le point des montants versés se fait et c’est sur cette base que le taux de 20% est appliqué.
Souaibou NOMBRE
Quatre sites pour accueillir les véhicules
Pour la PDS de Kaya, Solange Kima, sa commune ne s’est pas préparée à accueillir un convoi vu que la ville ne dispose pas d’une aire de stationnement aménagé. Fort heureusement, s’est-elle complimentée, l’armée, les transporteurs et les forces vives de la commune se sont organisés à travers un comité pluridisciplinaire qui se réunit régulièrement depuis 2023 pour rendre agréable le séjour des conducteurs et autres camionneurs. Pour ce faire, le comité a identifié quatre sites dans la ville où peuvent stationner tous les véhicules venant à Kaya pour suivre le convoi. Depuis quelques mois, a rappelé la PDS, le gouvernement a consenti des efforts et le convoi est régulier si bien que les sites ne sont plus trop occupés parce qu’il n’y a pas un grand nombre de camions dans la ville de Kaya. A en croire le président de la section des Kuilsé de l’OTRAF, El hadj Mahamadi Zamtako, tout conducteur qui vient à Kaya pour suivre le convoi doit s’acquitter de 1 500 F CFA. Selon ses dires, cette somme est repartie entre l’Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB), l’OTRAF et la mairie de Kaya en raison de 500 F CFA par entité. « La somme perçue par la mairie est la taxe de stationnement reversée au Trésor public tandis que celles des organisations de transporteurs est réservée à l’organisation du convoi et la prise en charge des membres affectés à cette tâche au nombre de 24 personnes qui travaillent de jour comme de nuit », a-t-il conclu.
S.N