Adama Boro, directeur régional de l’Agriculture du Centre-Ouest : « Nous n’avons pas abandonné la plateforme E-Voucher »

Le directeur régional de l’Agriculture du Centre-Ouest, Adama Boro : « Les intrants n’ont jamais suffi. Ce sont des efforts qui sont faits pour tous les producteurs du pays ».

Les débuts de campagne difficiles, l’arrêt des pluies, la mise à disposition tardive des intrants aux producteurs, les difficultés rencontrées avec la plateforme de distribution électronique des intrants dénommée « E-Voucher » sont une réalité dans le Centre-Ouest. Malgré cette situation, le directeur régional de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles, Adama Boro, s’attend à de hauts rendements. Entretien !

Sidwaya (S) : Aujourd’hui, peut-on dire que la saison des pluies est bien installée dans le Centre-Ouest ?

Adama Boro (A. B.) : La saison des pluies s’est installée dans la région du Centre-Ouest. Elle est assez normale à précoce. Si l’on observe la tendance des dix dernières années, on peut dire qu’en début juin, la saison devrait s’installer et cela a été le cas dans la région du Centre-Ouest. Mais entre les 20 et 30 du mois de juin, nous avons constaté qu’il y a eu une période sans pluie due, peut-être, à une situation généralisée sur l’ensemble du territoire.

Elle a engendré des conséquences en termes de conduite et technique d’agriculture, notamment la question de préparation de sol, les semis… A certains endroits, les gens seront obligés de refaire des semis parce que les cultures n’avaient pas atteint un très bon niveau. Donc, on peut dire que la saison s’est installée avec quelques poches de sécheresse et a redémarré avec les pluies de juillet.

S : Dans les champs, il n’y a pas grand-chose alors…

A. B. : Dans le Centre-Ouest, les gens ont déjà intégré l’absence des pluies et les démarrages difficiles de saisons dans leurs habitudes de production. Ce qui fait que dès les premières pluies, ils avaient déjà commencé les travaux de sol et fait les semis à sec, en attendant que le niveau d’humidité puisse permettre la levée des différentes cultures. Par endroits, les cultures ont commencé à retrouver leur verdure. Donc tout n’est pas perdu. Des gens ont déjà commencé le sarclage à certains niveaux. En d’autres endroits, les semis se poursuivent. On n’est pas trop en retard par rapport à la moyenne générale. Certes, on n’a pas connu trop de pluies, mais cela n’a pas compromis le cycle normal des choses.

S : Avec ces débuts difficiles, peut-on espérer de bonnes récoltes ?

A. B. : Oui. Je pense que ce sont des prévisions que des organismes sous régionaux, notamment le CILSS, avaient déjà données comme grande tendance de la campagne agricole, en terme de pluviométrie. Cela veut dire que de façon globale, on devrait avoir une saison moyenne à excédentaire en terme de volume d’eaux enregistré. Il faut savoir qu’on ne peut pas donner une très grande prévision par rapport à la répartition dans le temps, mais on peut dire que la saison pourrait se prolonger jusqu’à fin septembre, voire début octobre 2020.

Aussi nous utilisons des variétés améliorées dont la plupart ont des cycles de 90 à 100 jours, c’est-à-dire trois mois ou trois mois et demi. Si nous faisons la mise en place de nos cultures en début juillet, les cycles doivent être bouclés autour de fin septembre et début octobre. Si nous avons les pluies jusqu’à cette période, ça devrait aller. Mais le niveau d’évaporation et d’infiltration des eaux reçues peut aussi être un facteur important si la durée se prolonge ou pas. Selon les prévisions, on devrait avoir les pluies jusqu’en mi-octobre. Dans cette dynamique, on devrait pouvoir boucler le cycle des semences. Donc il n’y a pas d’inquiétude majeure pour déjà tirer la sonnette d’alarme. On peut être dans la tendance globale et affirmer que la saison devrait se dérouler avec assez de réussite.

S : Parmi les variétés améliorées dont vous faîtes cas, quelles sont les grandes spéculations cultivées dans le Centre-Ouest ?

A. B. : Nous sommes une région productrice essentiellement de culture céréalière. C’est notamment le maïs, le sorgho, le mil… A côté de ces spéculations, il y a les légumineuses, l’arachide, le niébé, le sésame, le riz… Nous avons beaucoup d’attente en matière de production de riz, que ce soit dans les bas-fonds, les périmètres irrigués ou sur les hautes terres. Pour tout ce qui concerne le vivrier, la région excelle en abondance. L’engagement pris par le Président du Faso est de produire 1 million de tonnes de riz paddy. Aujourd’hui, nous nous sommes fixé un niveau moyen de 4 tonnes de riz à l’hectare.

Cela peut être fructueux en fonction de la zone de production et d’une bonne maîtrise de l’eau. Peut-être qu’on pourra aller au-delà de 5 tonnes à l’hectare. Au niveau du maïs, nous voulons atteindre une moyenne de 3 tonnes et demie à l’hectare. Pour le sorgho, nous visons les 2 tonnes et demie à l’hectare. Ce sont des objectifs assez nobles que nous travaillons à atteindre. Pour les autres spéculations, le cap est mis notamment sur le choix variétal. Il y a des variétés qui ont des potentiels à haut rendement contrairement à d’autres. Nous misons sur ces variétés à haut rendement afin d’atteindre nos objectifs.

S : Quels sont les moyens mis à la disposition des producteurs pour atteindre les objectifs des rendements fixés ?

A. B. : De façon matérielle, ce sont des appuis en semences, surtout les variétés améliorées, en engrais chimiques (le phosphate) et organiques. Ces intrants sont un paquet d’accompagnements que l’Etat met à la disposition des producteurs pour leur permettre d’atteindre de meilleurs rendements. Ce sont des appuis, sous forme de subvention qui, souvent, va au-delà de 50% en terme de coût, comparativement à ce que l’on trouve sur le marché. Donc, l’Etat essaie d’accompagner les producteurs avec ces intrants, mais aussi avec du matériel agricole.

Depuis quelques années déjà, le gouvernement donne aux producteurs des animaux de trait, des charrues, des charrettes, des moissonneuses-batteuses… Il faut souligner que concernant le matériel agricole, il y a les espaces labourés mis à la disposition des producteurs. Nous avons un total de 300 hectares en moyenne qu’on devait labourer pour la production du riz. Il y a aussi l’accompagnement SOFT, ce qui n’est pas matériel. C’est notamment l’accompagnement technique des producteurs. Quand nous prenons tous les dispositifs d’appuis-conseils que nous avons, depuis les villages jusqu’au niveau de la région, chacun, à son niveau, apporte l’accompagnement nécessaire pour que les techniques agricoles puissent être mieux valorisées.

Par exemple, nous appuyons les producteurs dans le choix des variétés en fonction des zones. Nous mettons en place des outils de vulgarisation pour leur montrer les meilleures techniques de production. Il y a également l’accompagnement de l’Etat, mais aussi des autres partenaires. Nous avons cette richesse de partenariat au niveau de la région avec des ONG et associations qui accompagnent les producteurs. Ils sont dans l’ombre, mais font un travail phénoménal.

S : Quelle est la quantité d’intrants remise aux producteurs du Centre-Ouest ?

A. B. : Les intrants n’ont jamais suffi. Ce sont des efforts qui sont faits pour tous les producteurs du pays. A l’échelle individuelle, on dirait que ce n’est pas suffisant, mais c’est assez important en termes de volume financier ce que l’Etat déploie chaque année pour accompagner les producteurs.

S : A chaque campagne agricole, les producteurs se plaignent de recevoir tardivement les intrants. Les ont-ils déjà reçus cette année ?

A. B. : C’est un domaine très sensible. Il y en a même si vous leur donnez les semences en janvier, ils diront que c’est en retard. Mais pour ceux qui connaissent le cycle de réception, de reconditionnement, de ventilation et si vous y ajoutez tout le dispositif d’adoption du budget de l’Etat avant de commencer la distribution, vous comprendrez qu’en réalité, les gens travaillent aux pas de charge. Mais le producteur veut avoir les intrants à sa portée lorsqu’il se décide de commencer à sarcler ou semer, donc c’est difficile malgré les efforts qui sont faits.

Sur les dix dernières années, nous avons battu, cette année, le record de temps de déploiement des intrants sur le terrain. Depuis le mois de mai, on avait déjà bouclé tout le processus de préparation, il ne restait qu’à déployer. Mais lorsqu’on finit le reconditionnement et la réception des semences, par exemple, il faut les distribuer dans toutes les communes. Il faut avoir une armada de logistiques pour cela. En fin mai, toutes les communes avaient déjà reçu leurs semences. Maintenant c’est la distribution qui a connu un petit retard. C’est la même chose pour les engrais. Là aussi, il y a tout un processus avant la distribution.

Ce sont des produits qui ne sont pas fabriqués ici. Nous n’avons pas une industrie de fabrication d’engrais. Ils sont importés, ce qui nécessite un minimum de contrôle. Lorsque nous lançons les appels d’offres et recevons les engrais, nous soumettons un échantillon pour analyse. C’est pour nous rassurer que les éléments fertilisants recommandés et demandés aux prestataires sont exactement ce qui a été fourni. Il faut s’assurer que les prescriptions ont été respectées. Lorsque nous faisons ces prélèvements et les soumettons à l’analyse, il faut avoir les résultats avant de déployer les engrais sur le terrain.

Autrement dit, s’il arrivait que le produit est soit de mauvaise qualité et que nous nous sommes précipités envoyer les intrants sur le terrain, il y aura mal donne. Tout ce processus a déjà été suivi, notamment pour une bonne partie des engrais, à savoir le NPK. Nous l’avons reçu. Nous procédons par phase, parce qu’on n’a pas de logistique pour tout stocker. Pour notre région, nous n’avons pas de magasins pour stocker plus de 1000 tonnes. Nous réceptionnons les engrais qui sont utilisés premièrement, notamment le NPK, ensuite l’urée qu’on applique quelques temps après le NPK. Nous sommes en phase de conduire le processus d’échantillonnage et d’analyse de l’urée, avant de le mettre sur le terrain.

S : Doit-on comprendre que les producteurs qui sont les bénéficiaires finaux n’ont pas encore reçu ?

A. B. : Pour le moment, les producteurs ont reçu une bonne partie. Actuellement, nous sommes en train de boucler la mise à disposition des semences à travers le système de distribution « E-Voucher ». Nous savons déjà identifié les producteurs qui doivent bénéficier de l’engrais. Ce travail est déjà fait. Nous allons générer très rapidement la messagerie, à travers le système de téléphonie, pour que les gens reçoivent des messages pour disposer de l’engrais.

Ce n’est qu’une question de temps. Nous allons procéder à l’enlèvement des engrais. Au niveau des communes, nous ferons de même. Là-bas, les capacités de stockage sont limitées. Si nous n’enlevons pas au fur et à mesure avec la saison des pluies, à un moment donné les camions chargés d’intrants vont arriver, mais ne pourront pas être vidés. Parce qu’il n’y a pas d’infrastructures. Il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’engrenage.

S. : Quel est le mode de distribution ?

A. B. : Le processus de distribution cette année s’est basé sur des expériences d’il y a deux ou trois ans. Depuis une dizaine d’années, le système de distribution était basé sur la mise en place de commission d’identification au niveau des villages, des communes. A l’époque, nous avons connu beaucoup de difficultés, parce que les critères de sélection des bénéficiaires étaient jugés subjectifs. Il y en a qui ont les moyens, mais qui étaient toujours bénéficiaires. Il fallait mobiliser les Conseillers villageois de développement (CVD), les conseillers municipaux, les maires, les préfets, les maires… Certains étaient des producteurs ; cela veut dire qu’il faut les prendre en charge.

Au même moment qu’ils sont en train de travailler en commission, leurs champs étaient en souffrance parce qu’ils ne sont pas là. On peut tirer leçons de tout ça, pour bâtir un système plus facile à mettre en œuvre. De nombreux pays de notre sous-région ont expérimenté la messagerie électronique. Ce qui paraissait superflu, mais c’est simplement basé sur l’envoi d’un message. L’identification, c’est autre chose. Mais le producteur reçoit un message ou un bon électronique qui lui dit d’aller à tel poste pour prendre des intrants. Bien avant, des critères vont être établis pour identifier les bénéficiaires. Nous avons essayé de comprendre comment ça se passe dans d’autres pays.

C’est pour cela que le PAPSA a expérimenté ce qu’on a appelé « E-Voucher », c’est-à-dire la distribution par bons électroniques des intrants. Premièrement, nous sommes allés avec deux communes, dont celle de Didyr dans le Centre-Ouest et celle de Kirsi dans le Nord. Nous sommes allées crescendo, parce que nous l’avons appliqué sur les cultures maraîchères. Nous avons recensé les producteurs maraichers, sur des critères minimaux pour mettre à leur disposition des intrants. Cette expérience a donné des résultats, mais aussi des exigences en termes d’efforts à fournir.

Lorsque nous avons franchi l’échelle des deux communes, nous sommes allés au niveau des provinces. Nous en avons choisi un certain nombre pour tester la même chose. Là, nous y avons associé la saison pluviale. Nous avons eu des résultats. Sur la base des échecs et difficultés, nous avons estimé qu’il faut élargir pour prendre en compte la plupart des régions. Sur les 13, il y en avait pratiquement une dizaine. C’est au sortir de tout ceci que nous avons envisagé d’aller à l’échelle nationale.

Donc nous avons travaillé à améliorer le système. Les méthodes qu’on utilisait en 2008 sont un peu dépassées. Nous devons travailler à les améliorer en 2020. Je ne sais pas si le moment était propice, mais la volonté était de les améliorer, parce que dans la sous-région, tous les pays sont en train d’y aller. Nous n’allons pas attendre de traverser les mêmes expériences qu’eux, mais s’il y a de bonnes pratiques qu’on peut adopter, il faut y aller. C’est pourquoi cette année, nous avons essayé d’élargir et de voir comment on peut mettre au point ce système de distribution électronique en saison pluvieuse et sur toute l’étendue du territoire national.

C’est pour cela que le ministère, sur la base des listes issues du Recensement général de la population (RGPH 2020), a fondé sa stratégie. Avec ce recensement, on a des informations, même si elles sont déclaratives. Au moins c’est une base de données que nous avons utilisée, pour bâtir le système de distribution. Nous avons fixé des critères et fait un tri avec quelques ratées. Si quelqu’un déclare qu’il est producteur, naturellement il va être sur la liste et peut être choisi. Si à la fin, on constate qu’il n’est pas producteur, ce n’est pas un problème de critères, c’est plutôt l’information de base qui a été biaisée. Nous avons informé les producteurs en leur disant qu’on va aller sur la base des listes.

Certes, elle est imparfaite, mais, elle aurait pu être purgée des ratées si on a des données du recensement général de l’agriculture. Ce recensement, théoriquement, devrait être bouclé en fin 2021 et début 2022. Ça nous fera déjà deux campagnes agricoles qu’on ne pourra pas accompagner les producteurs efficacement. Nous nous sommes dit qu’on ira avec toutes les imperfections possibles, mais nous allons au moins expérimenter cette fois-ci, et nous verrons ce que cela va donner. Mais, nous devons travailler à les surmonter. Ensemble avec les producteurs, nous devons l’améliorer pour avoir de bons résultats. C’est pourquoi, cette année, le ministère a conclu des partenariats avec un distributeur d’intrants, nommé Agro-dia.

Il a des distributeurs relais dans toutes les communes et les provinces. Pour envoyer les messages, le ministère a également conclu un accord avec une compagnie de téléphonie. Une fois le message reçu, les producteurs doivent apporter une contribution en fonction du type d’intrants dont ils sont bénéficiaires, parce que c’est une subvention. Les producteurs doivent envoyer l’argent à travers leur compte électronique. Ensuite, ils présenteront la preuve de la transaction, à travers un code qui leur est envoyé avant de bénéficier de l’intrant. C’est vrai que nous avons rencontré des difficultés spécifiques, mais nous travaillons à les surmonter.

Par exemple, il y a des endroits où il n’y a pas de réseau. Souvent, il se trouve que d’autres ont effacé leur message. Nous essayons de reconstituer le fil, de trouver des alternatives. Dans certains endroits, les gens n’étaient pas très intéressés. D’autres ne sont pas sur la liste des bénéficiaires, mais ils sont intéressés. Nous avons développé des stratégies pour résoudre ces problèmes. L’essentiel est que les intrants puissent être portés à la disposition des producteurs. Le dispositif va se bâtir au fur et à mesure. Nous sommes à une première année, peut-être que dans 5 ou 10 ans, on aura franchi beaucoup d’étapes et le système pourra être plus facile et plus disponible pour tout le monde.

S : Certaines régions ont carrément abandonné la plateforme. Les techniciens les ont invitées à aller directement dans les magasins de stockage. Qu’en est-il du Centre-Ouest ?

A. B. : Au niveau de notre région, nous n’avons pas abandonné la plateforme. Nous utilisons la plateforme. Mais nous avons dit au cas où nous allons épuiser la palette des gens qui ont reçu les messages et qu’il reste toujours des stocks d’intrants, nous n’allons pas les garder. Nous avons ouvert la brèche pour dire qu’au-delà des producteurs qui ont été identifiés, les autres aussi peuvent en bénéficier. Les deux formes de prise en compte existent au niveau de notre région. Mieux, la plateforme « E-Voucher » nous permet aussi de savoir le reste d’une quantité envoyée et distribuée dans une commune donnée. Avec les questions de réseaux on peut être confronté à quelques difficultés, mais le travail qui suivra sera d’intégrer les informations collectées de façon manuelle dans le processus.

S : Quelle est la contribution du producteur pour bénéficier de la subvention ?

A. B. : Nous avons des kits de semences pour un hectare qui coûtent 1000 F CFA. Mais sur le marché, nous sommes autour de 1 500F CFA. Pour les engrais, ça coûte 12 000 F CFA le sac alors que sur le marché, nous sommes à 20 000 F CFA ou 25 000 F CFA. Le montant supplémentaire est pris en charge par l’Etat.

Interview réalisée par Djakaridia SIRIBIE

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