Etre ensemble sans être uni ?

J’ai vu des gens marcher nus et en haillons malgré leur costume cravate ou leur boubou doré froufroutant et parfumé. Ces gens-là sont dépourvus de l’essentiel même si certains ont déjà conquis la terre et convoitent le ciel. Leur voix ne porte plus au-delà de leur propre menton, quand bien même ils ont du coffre. D’ailleurs, leur parole ne fait plus école au sein de l’opinion. Leur apparence n’est qu’un voile transparent qui cache mal leur véritable personnalité. Nous portons tous des masques dans la vie, certes, mais il y en a dont le vrai visage est un masque hideux taillé dans la chair. Aux yeux du monde ils ont le bon profil, ils ont le vent en poupe mais leur véritable identité est bâtie sur le faux. Quand ils vont à la mosquée ou à l’église, leur place est en première ligne dans la rangée des « dignes ». Mais face aux dix commandements, ils ont parfois la meilleure note du pire, parce que leur vie est faite de convoitise et de hantise, de prédation et de compromissions, de toutes sortes d’alliances coupables. Bref, il y a des Burkinabè qui ressemblent trait pour trait à ce portrait-robot de l’intégrité déméritée et parler de ressemblance, c’est faire preuve de tolérance. Quand on aime son pays, on ne fait pas semblant. Il y a des gens dans ce pays qui marchent déjà presque morts, parce qu’ils n’ont plus de bonne raison de vivre à part le souffle du soupir qui les hante jusqu’à étouffement. Il y en a qui n’ont plus d’honneur à brandir ou à défendre malgré leur richesse et leur noblesse. Leur seule fierté est accrochée à un immeuble, un bolide de luxe, une centaine de parcelles étendue à perte de vue et un harem de « femelles » pimentées en laisse. Leur intégrité est un vain mot vanté et crié par intérêt devant les foules fascinées. Il y a des Burkinabè dont le sens du patriotisme est un verbiage creux embelli de belles citations de Sankara, juste pour faire valoir ce qui n’a de valeur que de leurre. Mais l’histoire n’est pas un trou noir sans fond, oublieuse des immondices du passé. Le seul juge qui ne se trompe jamais, c’est le temps ! Et les preuves sont légions sur la duplicité de certains face aux intérêts de l’égo et ceux de la nation. Ceux qui ont vraiment aimé ce pays au point de se priver de tout ont un nom. Ceux qui se sont vraiment battus pour la patrie continuent de hanter l’histoire éternelle de notre pays. L’intégrité ne s’achète pas, elle ne se vend pas. Ceux qui ont tenté de la monnayer on finit par se faire rayer de la liste des favoris au « panthéon » au profit d’outsiders sérieux et déterminés. Quand on aime son pays, on ne l’abandonne pas au milieu du précipice ; on continue de pédaler malgré les orages et les tempêtes pour ne jamais reculer même d’un iota. J’ai vu des gens souhaité le pire à leur propre pays en riant sous cape devant l’hécatombe de la fratrie décimée. Quand ils parlent du drame national, ils ont toujours raison sur tout et ils utilisent le conditionnel pour invoquer le pire sur l’héritage des Pères. Quand ils se perdent en conjecture dans leur démesure, c’est pour tracer avec une dent la quadrature du cercle en esquissant le signe indien. On peut se critiquer sans se mastiquer, parce que la fraternité ne se crache pas, même amère. On peut dénoncer sans se renoncer, parce que pour être un monticule, la termitière se construit d’abord de l’intérieur. Hélas, aujourd’hui, les défis du moment interpellent et appellent à l’union. Mais combien ont fait le pas vers la Nation en répondant à l’appel qui vient de soi ? Combien ont eu le culot d’affronter leur propre égo et transcender leurs intérêts politico-idéologiques pour apporter leur pierre et non la jeter contre le mur des lamentations ? En quoi, l’autre fait-il mal si je ne suis pas non plus capable de faire mieux ? Au moment de soulever le toit de chaume de la case, nul n’a besoin d’ameuter les passants à venir aider. Chacun accourt à mettre sa main pour aider à soulever, parce que demain peut être son tour. Quand la case familiale brûle, on ne sonne pas le tocsin pour rassembler les membres avant d’aller à l’assaut des flammes. Chacun apporte sa part d’eau. Parce que le plus important, c’est de sauver la case. Malheureusement, ici au Faso, il y a ceux qui se battent et se débattent pour éteindre l’incendie mais il y a aussi ceux qui pensent que l’eau utilisée pour éteindre les flammes est sale et de mauvaise odeur ; pire, il y a ceux-là qui, tapis dans l’ombre, attisent les braises pour que l’incendie s’embrase et se transforme en autodafé. On peut assembler ou rassembler ce qui ne se ressemble pas si et seulement si la diversité est perçue comme une qualité. Mais peut-on s’unir sans être ensemble ? A quoi cela sert-il d’être ensemble sans être uni ? De quelle union ou unité parlent tant les « saints érudits » du Faso quand nos ressentiments crient et vocifèrent plus que notre sentiment d’appartenance à une seule nation ? Diantre, peut-on finalement rassembler les Burkinabès de gré ou de force avec leurs divergences, sans taire leurs différends et avoir un destin différent ? En vérité, tant que notre volonté ne sera pas plus grande que nos velléités et autres légèretés, nos priorités seront des banalités. Tant que nos « petites libertés » d’être ou de ne pas être, d’agir ou de ne pas agir continueront à pourrir dans le giron complaisant d’une démocratie capricieuse, nous aurons toujours du mal à nous unir pour relever les grands défis de notre histoire commune.

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

Laisser un commentaire