Les «vérités» en demi-teinte de Luigi Di Maio

Décidément le fossé d’incompréhensions entre la France et l’Italie se creuse davantage. Et ce, depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition du Mouvement 5 étoiles et du parti d’extrême droite, la Ligue, en Italie. Après avoir officiellement exprimé son soutien au mouvement des Gilets jaunes, le vice-Premier ministre italien et chef politique du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, vient encore de «cracher ses vérités» sur son voisin.

Et cette fois-ci, c’est l’Afrique qu’il convoque dans sa polémique. Sans langue de bois, il a accusé dimanche dernier l’Hexagone «d’appauvrir l’Afrique », exacerbant du même coup les vagues migratoires vers l’Europe. Morceau choisi de son réquisitoire : «En imprimant de la monnaie pour 14 Etats africains, la France est un pays qui empêche le développement de ces Etats et contribue au départ de migrants qui meurent en Méditerranée ou arrivent sur nos côtes».

Enfonçant le clou, Luigi Di Maio a martelé que si la France figure parmi les premières puissances économiques du monde, c’est grâce à ce qu’il appelle «les colonies africaines». Même si la ministre française chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, a qualifié ses propos d’«inacceptables et sans objet», l’ambassadrice d’Italie en France a été convoquée, le lundi 21 janvier 2019 par le ministère des Affaires étrangères à la suite de cet incident verbal.

La sortie du vice-président du Conseil italien a eu le mérite de poser une fois de plus l’épineuse question du franc CFA, soulevée par bon nombre d’Africains, ces dernières années et qui souhaitent son abolition pure et simple. En interprétant le propos de Luigi Di Maio, le maintien de cette monnaie est le symbole que la France continue d’exploiter sans scrupules les pays africains qui ont acquis leur indépendance depuis les années 1960.

En perpétuant ce pacte colonial, elle tire certainement des dividendes pour alimenter son économie. Pourquoi parler d’Etats indépendants alors que ces derniers sont toujours maintenus selon la formule consacrée dans «une servitude monétaire». Conséquence, les pays africains qui utilisent le franc CFA sont incapables de contrôler leur monnaie et donc d’asseoir une véritable politique de développement au profit des populations.

La frange jeune de ces populations, écrasée par une misère étouffante et sans aucune perspective de lendemains enchanteurs, emprunte les chemins périlleux de la migration. Si des jeunes Africains périssent dans la Méditerranée parce qu’ils tentent d’atteindre la forteresse occidentale, cela se justifie, selon le vice-président du Conseil italien, par le fait que la France contrôle en partie l’économie de ses colonies africaines à travers le franc CFA.

Sa lecture fait penser à ce que disait l’éminent économiste Samir Amin à propos du maintien de cette monnaie. «Le franc CFA abolit toute possibilité d’une politique nationale de gestion du crédit bancaire. Elle impose également un taux de change prétendu fixe, mais nous savons qu’il a été révisé en baisse une fois et qu’il pourrait l’être à nouveau ; un taux de change qui est surévalué et qui, par conséquent, handicape les exportations des pays africains (…).

C’est, par conséquent, un instrument qui renforce ce que l’on appelle le néocolonialisme dans le langage général», a-t-il relevé.
On peut concéder une part de vérité aux propos de Luigi Di Maio. Toutefois il y a lieu d’interroger la responsabilité des Etats africains qui continuent d’accepter que leur monnaie soit frappée par la France alors qu’ils sont indépendants il y a plus d’un demi-siècle.

Ce serait réducteur aussi de penser que l’appauvrissement de l’Afrique s’expliquerait par le seul maintien du franc CFA. Que font les dirigeants du continent pour valoriser leurs ressources humaines et les potentialités de leurs sous-sols ? Pourquoi le développement au service du grand nombre tarde à voir le jour sous nos tropiques ? Plus de 50 ans après les indépendances, les dirigeants africains ont eu la possibilité de bâtir des Etats forts et prospères.

Mais qu’ont-ils fait, si ce n’est de se complaindre dans des manœuvres de toutes sortes pour se maintenir au pouvoir et piller les ressources de leurs pays avec la complicité des grandes puissances ? L’on ne vaut que par l’image que l’on projette à l’endroit des autres. Si des jeunes Africains meurent par milliers dans la Méditerranée et dans l’indifférence générale, ce n’est pas forcément la faute de la France.

A force de voir l’Afrique comme victime des autres, on en vient à applaudir les hérésies des gens comme Luigi Di Maio qui ont fait de la xénophobie un fonds de commerce électoral dans leur pays. Il appartient aux dirigeants africains de montrer qu’ils sont des patriotes dévoués pour leurs peuples qui croupissent littéralement dans le dénuement. Il suffit d’avoir de la volonté et d’être
de bonne foi.

Karim BADOLO

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