Montagne sacrée de Tanghin : des orpailleurs défient les dieux

Dans leur course immodérée vers le minerai, des orpailleurs ont empiété sur un espace sacré appartenant aux habitants de Tanghin, dans la commune rurale de Bokin, province du Passoré. Depuis plus de dix ans, les gardiens des lieux assistent impuissants à ce déferlement qui risque de porter préjudice à leurs coutumes. Constat d’un site énigmatique pris en otage.

Un soleil de plomb s’abat sur le site d’or de Lawaya, ce dimanche 12 juin 2022. Les premières pluies tombées dans la localité n’ont pas encore eu raison de la canicule ni dissuadé certains orpailleurs à abandonner les trous. Nous sommes dans la commune rurale de Bokin, province du Passoré. A environ cent mètres (m) d’une montagne, se dressent pêle-mêle des logis et des hangars de fortune. La plupart ont l’air d’être abandonnés mais quelques-uns gardent toujours leurs occupants. Pendant que certains s’évertuent à concasser et à broyer le granite, d’autres sont en train de creuser à plus de 60 m sous terre. D’autres encore devisent autour du seul tablier du coin dont le hangar ne désemplit pas. Quelques articles dont la cigarette et l’eau fraiche obtenus à l’aide de l’énergie solaire agrémentent le séjour des usagers de ce petit marché. Par moments, des orpailleurs, le corps et les vêtements teintés de rouge, surgissent avec des sacs de granite chargés derrière leurs motos. C’est un ballet incessant qui est donné à voir. Tout autour de leurs habitats, des trous, creusés côte à côte et sous forme de puisards, jonchent le sol. Ils s’étendent à perte de vue.

Le chef de Tanghin, Naaba Loulla, dit avoir peur de la montagne sacrée à l’image de Dieu.

L’un des orpailleurs, Sita Ouédraogo, informe que ces trous, profonds chacun d’environ 70 m, se communiquent entre eux à travers les galeries souterraines. Par endroits, ils se sont affaissés, formant ainsi de larges cratères. Ce chantier aurifère a vu le jour, il y a une dizaine d’années, confie-t-on. Le hic est que la montagne qui jouxte les installations des orpailleurs abrite un site sacré appartenant aux habitants de Tanghin, un hameau de cultures situé à quelques encablures de là. Des rites sacrificiels y sont organisés chaque année pour la paix et la concorde dans le village. Des individus y défilent aussi pour solliciter, entre autres, la santé et la prospérité. Sur les lieux, la partie visible de l’iceberg est matérialisée par une énorme pierre qui semble suspendue au flanc de la montagne. En forme de tête humaine dont le regard est fixé vers le Nord, ce galet impressionne par sa stature. Le prélèvement de bois, d’herbe ou de cailloux sauvages ainsi que les activités agricoles sont proscrits au pied de la montagne, selon les dépositaires de la tradition de Tanghin. Mais contre toute attente, des filons d’or apparaissent dans les environs de l’élévation.

« La colère des dieux »

Les inconditionnels du métal jaune s’y invitent et installent leurs pénates à un jet de pierre du lieu sacré. Ils créent ainsi ce qui va devenir plus tard le site d’or de Lawaya, encore fonctionnel de nos jours. Sous les regards médusés des autochtones, les orpailleurs mènent leurs activités sans inquiétude. Certains jeunes de la localité se jettent aussi dans la danse. Mais, conscients des conséquences que cela peut engendrer, ils s’imposent des restrictions. « Les enfants du village se sont donné des limites à ne pas franchir. Nous veillons également à ce que nos camarades n’empiètent pas sur le terrain sacré », fait savoir Oussou Ouédraogo, orpailleur et fils de Tanghin. Toutefois, ces mesures semblent n’avoir pas produit les résultats escomptés. Dans leur course effrénée vers le minerai, des orpailleurs ont franchi le rubicon. Ils se sont déployés jusqu’à la lisière de la montagne. Suivant l’un des filons, ils ont creusé jusqu’au flanc même de l’élévation. « La colère des dieux » ne s’est pas fait attendre. Des éboulements à répétition se sont produits sur le site, avec à la clé plusieurs pertes en vie humaine. Au pied de la montagne, un cimetière aménagé pour accueillir les victimes compte plus d’une dizaine de tombes. Des fils du bled n’ont pas été épargnés. Face à ces drames, beaucoup d’orpailleurs ont décampé vers d’autres sites jugés moins dangereux, laissant derrière eux un environnement au visage déformé. Des arbres abattus et des galeries qui risquent de ne plus jamais se refermer. Le chef de Tanghin, Naaba Loulla, reste pantois face à cette situation pour le moins inattendue et qui s’apparente pour lui à un sacrilège.

Le chef de Téma, Naaba Têgré : « avant, il était formellement interdit de violer un site sacré ».

A l’écouter, depuis les temps immémoriaux, personne n’a osé défier cette montagne mystique et mythique. « C’est un lieu où nous faisons des sacrifices. C’est moi-même qui sacrifie aux rites mais j’ai peur de la montagne comme Dieu », avoue Naaba Loulla, par ailleurs Premier ministre du chef de Téma, Naaba Têgré. La proximité des trous d’or d’avec la montagne sacrée l’inquiète. En principe, estime-t-il, les orpailleurs ne devraient pas creuser dans les environs. Mais le ver est déjà dans le fruit. A défaut d’interdire l’activité aurifère aux alentours, le responsable coutumier recommande d’éviter au maximum la « zone rouge », là où se font les sacrifices. « Je ne sais pas si les orpailleurs ont franchi la zone interdite ou pas. Vu mon âge (Ndlr, environ 90 ans), je n’ai plus de force pour aller à la montagne. Mais j’ai les échos, surtout avec les nombreux décès enregistrés », souligne Naaba Loulla. Les multiples éboulements sont-ils la manifestation du courroux des forces invisibles de la montagne? Mystère et boule de gomme ! « C’est difficile à prouver mais c’est possible. Puisqu’il y a des coutumes annuelles qui y sont faites, on ne sait pas ce qui peut arriver en cas de profanation. Dans la tradition aussi il y a des mines anti-personnelles qu’il faut éviter. Mais je ne peux pas affirmer ou infirmer cet état de fait », répond, pour sa part, le chef de Téma, Naaba Têgré.

De nombreuses victimes

En tous les cas, les faits parlent d’eux-mêmes. Certains témoignages font froid dans le dos. Il y a moins de deux mois, raconte Oussou Ouédraogo, un nouvel éboulement ayant fait un mort est venu grossir le nombre de drames sur le site de Lawaya. A ce qu’il dit, le corps d’un jeune orpailleur est resté coincé sous les décombres sans que l’on ne puisse l’extraire. « Pendant qu’on cherchait le corps, les effondrements se poursuivaient dans la galerie. Après trois jours de tentatives infructueuses, les sauveteurs, qui ont failli aussi perdre leur vie, ont été obligés d’abdiquer », se remémore M. Ouédraogo. De nos jours, les orpailleurs ont déserté le flanc de la montagne pour se retrouver plus loin. Seuls les ravins et les trous abandonnés indiquent qu’ils y étaient. Oumarou Ouédraogo, l’un de nos guides et fils de Tanghin, témoigne que le site de Somdamesma, situé à environ 4 km, est ouvert en 1985 mais fait moins de ravages que celui de Lawaya. En 37 ans d’existence, révèle-t-il, ce site n’a fait qu’un mort jusqu’à ce jour.

L’ex-1er adjoint au maire de Bokin, Mikaïlou Bah, déplore les nombreux cas de décès causés par les éboulements dans sa commune.

Au regard de ce constat, beaucoup estiment que la sacralité de la montagne est pour quelque chose dans la survenue des nombreux drames au site d’or de Lawaya. Les responsables coutumiers, eux, avouent leur impuissance face à l’action des orpailleurs. « Nous sommes mis devant le fait accompli. Les coutumiers n’ont plus de pouvoir moral de gestion de la terre », mentionne Naaba Têgré. Lui qui rêve de faire du lieu un site touristique, invite les autorités en charge de l’environnement à prendre des mesures pour parer à toute éventualité. Avant, déclare-t-il, il était formellement interdit de violer un site sacré au risque de subir le châtiment des esprits de la brousse. De nos jours, avance le chef de Téma, cela n’est plus respecté à cause du modernisme. Pourtant, ces mesures visaient aussi, à son avis, à protéger l’environnement.

« Nous avons délaissé la tradition au profit du modernisme et actuellement nous payons cash cette compromission », martèle Naaba Têgré. De leur côté, les responsables en charge de l’environnement de la commune de Bokin disent ignorer tout du site sacré même s’ils reconnaissent que les orpailleurs sont installés partout. « Nous avons déjà visité le site de Lawaya mais nous ne savions pas que la montagne était sacrée », rétorque le chef de service de l’environnement de Bokin, Arzouma Traoré. Tout de même, le lieutenant des eaux et forêts admet que les séquelles de l’orpaillage en ces lieux sont épouvantables. Même son de cloche chez l’ex-1er adjoint au maire de Bokin, Mikaïlou Bah, lorsqu’il signale que si la mairie était informée de l’envahissement du site sacré de Tanghin, elle allait intervenir. En attendant, le chef de Tanghin, Naaba Loulla, prévient que tous ceux qui tenteront de transgresser les interdits au niveau de la montagne le font à leurs risques et périls.

Mady KABRE

Laisser un commentaire