Salles de ciné à Dakar : le calvaire des exploitants sénégalais

Depuis quelques années, les cinéphiles se font de plus en plus rares dans les salles de ciné en Afrique. Dans la capitale sénégalaise, Dakar, la plupart des salles de ciné ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Si elles ne sont pas transformées en centres commerciaux, elles servent d’appartements. Une situation que les exploitants déplorent et invitent l’Etat à financer le secteur pour sa relance.

Le directeur du complexe Sembène- Ousmane : « Les séries ont pollué le secteur du cinéma ».

Dakar, capitale du Sénégal compte à ce jour, deux salles de cinéma fonctionnelles de façon permanente. Il s’agit du complexe Sembène- Ousmane et le Canal Olympia. Pourtant, il y a 20 ans, l’on dénombrait pas moins d’une dizaine dans la ville, selon les acteurs de l’exploitation. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Les causes de ces fermetures ou disparition des salles sont diverses. Le complexe Sembène-Ousmane, est ouvert depuis 2018 et possède trois salles de projection de 400, 100 et 50 places. Selon son directeur, Bara Sall, il est doté d’une technologie de dernière génération. De son avis, l’avancée technologique et la prolifération des séries constituent des causes de l’abandon des salles de ciné par les cinéphiles. « Les longs métrages sont de plus en plus rares en Afrique en général et au Sénégal en particulier.

Et même quand les cinéastes écrivent leurs scénarios de longs métrages, c’est pour des festivals de cinéma afin de convaincre des jurys ou le monde du cinéma sans savoir qu’il y a un public qui attend le film. Ce qui fait qu’aujourd’hui le public africain ne comprend plus certains scénarios des réalisateurs et ne s’intéresse pas à nos films. Il manque des films pour nos publics », explique Bara Sall. Il avoue que depuis qu’il dirige (juillet 2021), il n’a pas encore diffusé de film sénégalais ni africain. Pourtant dans son programme les vendredis étaient réservés aux productions africaines. Le problème, confie M. Sall, est que la plupart des producteurs de ces films ne sont pas au Sénégal ou en Afrique mais à l’occident et qui détiennent les droits d’exploitation. « Alors, pour discuter avec les producteurs occidentaux et diffuser ces films, c’est compliqué, même si le réalisateur est d’accord », lâche le directeur du complexe Sembène- Ousmane.

Selon Khalilou Ndiaye, les Etats doivent investir dans le secteur de la distribution des films.

« Nous nous accrochons… »

Il dénonce le contrôle par ces maisons de production occidentales des films africains dont l’exclusivité de diffusion se fait hors du continent. Khalilou Ndiaye, est exploitant de la salle de ciné Médina depuis 2000, par ailleurs le président de l’Union nationale des exploitants des salles de cinéma du Sénégal. Il fait la remarque qu’un peu partout en Afrique, les salles de ciné ont disparu et celles qui existent ne sont pas dans un bon état. Le problème réside dans l’accès aux films, argue celui qui dit être devenu distributeur de films par défaut. Toutefois, il note que ces dernières années, certains pays comme la Côte d’Ivoire commencent à se démarquer avec l’ouverture de quelques nouvelles salles. Quant aux Technologies de l’information et de la communication (TIC) qui auraient détourné la jeunesse du cinéma, M. Ndiaye ne partage cet avis.

«Ces TIC sont plus développées dans les pays occidentaux qu’en Afrique, mais les gens continuent d’aller au cinéma dans ces pays. Le cinéma est un loisir et les conditions de projection ne sont pas les mêmes que sur une télévision ou sur un téléphone portable », soutient-il. Par ailleurs, Khalilou Ndiaye note que les salles doivent suivre l’évolution technologique en modernisant leurs équipements. Avec l’appui du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA), il est en plein travaux de rénovation pour répondre à cette exigence technologique ! A ce niveau, le complexe Sembème- Ousmane semble être en avance dans cette dynamique. A écouter son directeur, les diffusions se font en 2D et en 3D. « Nous sommes aux standards mondiaux, mieux c’est l’une des salles les plus modernes de l’Afrique », soutient M. Bara. En termes de rentabilité, il reconnait que le complexe est fréquenté surtout par les expatriés et les Sénégalais de la haute classe, notamment les samedis et dimanches. « Les tickets coutent entre 1500 à 5000 F CFA, mais avec des tarifs spéciaux pour certaines catégories sociales comme les étudiants, les personnes en situation de handicap et les enfants.

Nous diffusons deux séances par jour. Nous nous accrochons car les dépenses sont plus lourdes que la rentabilité », avoue le patron du complexe. Au ciné Médina, une salle de quartier, le ticket est à 500 F CFA. Là également, les bénéfices ne sont pas au rendez-vous. « Nous sommes dans ce business parce que nous aimons le cinéma. Toutes les salles sont structurellement déficitaires, c’est juste un jeu de trésorerie que nous faisons », se lasse l’exploitant Ndiaye. Il est convaincu, cependant, que le secteur est rentable. Et pour preuve, il relève les importants investissements de certaines entreprises occidentales dans l’exploitation des salles de cinéma en Afrique. Ce qui est une bonne chose car, selon lui, cela permet aux autorités politiques africaines de comprendre que le secteur est viable mais aussi stratégique. Afin de relancer la fréquentation des salles de ciné, Fhalilou Ndiaye a initié un festival de sensibilisation de la jeunesse sénégalaise.

La salle ciné Médina est fermée depuis deux ans pour cause de réfection et de Covid-19.

Le rôle régalien de l’Etat

Il s’agit de faire connaitre le cinéma sénégalais par la jeune génération. « On ne peut pas aimer ce qu’on ne connait pas », martèle-t-il. Aussi, ajoute le président de l’Union nationale des exploitants des salles de cinéma du Sénégal, il est important que l’on sache que c’est un défi culturel et il appartient à l’Etat d’être plus souple pour financer cet important maillon de la scène cinématographique. Le cinéma fait partie des obligations de l’Etat, précise-t-il, et le privé ne travaille qu’à répondre à une demande sociale. Mais en cherchant à combler ce besoin culturel des populations, si les exploitants de salles n’arrivent pas à faire profit, ils iront voir ailleurs. Et ce ne sont pas des secteurs rentables où investir qui leur manquent, insiste M. Ndiaye. Pour relancer ce sous-secteur de l’industrie du cinéma, il estime qu’il est impératif de créer de nouvelles salles modernes ; et ce, avec l’accompagnement de l’Etat.

«Car, c’est avec un investissement de base que le privé peut faire des bénéfices, mais à ses risques et péril », laisse entendre le premier responsable de ciné Médina. Il dénonce le fait que des milliards soient mis chaque deux ans dans l’organisation du FESPACO avec une grande part dans la location des projecteurs avec des entreprises venues d’ailleurs. Il suggère alors de trouver une parade pour que ce matériel loué reste dans les salles afin de faciliter leur modernisation. «Si nous voulons développer notre cinéma, cela passe par les salles de ciné d’abord. Aux Etats-Unis par exemple, un film se rentabilise à 70% dans les salles de ciné. Et nous, on nous demande de les fermer et aller sur internet », proteste Khalilou Ndiaye. Dans la même lancée, Bara Sall soutient que l’Etat doit soutenir la production des films nationaux afin que les réalisateurs puissent les disposer auprès des exploitants. « Mais l’Etat est lent par rapport à ce que nous voulons souvent », lance-t-il.

Joseph HARO josephharo4@gmail.com

Mahamadi SEBOGO Windmad76@gmail.com

Envoyés spéciaux, Depuis Dakar, Sénégal

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