Yolande Traoré/Poda, lead genre et inclusion financière au projet ViMPlus de l’USAID : « Par l’argumentaire religieux, nous cherchons à résoudre les problèmes de genre dans les familles »

Le projet Sahel collaboration et communication (SCC) est chargé de la coordination des projets financés par l’USAID. A l’occasion de la campagne de seize jours d’activisme contre les Violences basées sur le genre (VBG), SCC a voulu présenter l’utilisation de l’argumentaire religieux dans la lutte contre les VBG par le projet Victoire sur la malnutrition Plus (USAID ViMPlus). Dans cette interview de la lead genre et inclusion financière de ViMPlus, Yolande Traoré/Poda, il est question, entre autres, du choix de l’argumentaire religieux dans la lutte contre les VBG et la résilience de ViMPlus face à l’insécurité.

Sidwaya (S) : Que savoir du projet ViMPlus ?

Yolande Traoré/Poda (Y.T.P) : ViMPlus est un projet de sécurité alimentaire financé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) dont le but est le renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages pauvres et extrêmement pauvres de la région du Centre-Nord. Initialement prévu sur onze (11) communes, le projet évolue actuellement sur 8 communes pour faire suite à la dégradation des conditions sécuritaires.

ViMPlus offre un paquet intégré d’activités pour renforcer la résilience des populations. Ces activités sont réparties sur trois domaines que sont : la Gouvernance inclusive des institutions locales au niveau village, la Santé- Nutrition-Wash (eau, hygiène et assainissement) et le développement des moyens d’existence axés sur la production agricole et la croissance économique.

Bureau de l’ONG ViMPlus au Burkina.

En soutien à toutes les composantes, il a été développé des interventions transversales qui prennent en compte les défis de genre, d’inclusion sociale et de jeunesse. Cette composante transversale nous assure que sur les différents domaines, les participants au projet sont éveillés aux préoccupations des couches défavorisées et généralement peu impliquées dans les prises de décision.

 S : Parlez-nous de l’argumentaire religieux dans la lutte contre les violences basées sur le genre

Y.T. P. : D’ores et déjà, il faut dire que les questions de genre sont celles de changement de comportements liées à des stéréotypes. Le contexte culturel et les intérêts socio-économiques sont les facteurs fondamentaux dans l’inégal accès aux ressources entre les groupes sociaux.

Toutes les études menées depuis la première partie du projet c’est-à-dire de ViM à ViMPlus, ont confirmé cet état de fait et aussi montré comment les femmes (jeunes et adultes) ont développé des complexes et une absence de confiance en leurs capacités. Ce qui veut dire que tout travail de promotion de la participation inclusive et de respect des droits fondamentaux doit en premier, traiter de cette inégale répartition des opportunités.

Ainsi donc l’approche « argumentaire religieux », adapté en « approche famille par l’argumentaire religieux », est un outil de communication sociale qui met à contribution les leaders religieux que sont : les pasteurs, les imams et les catéchistes.  Sur la base d’arguments tirés des versets du Coran et de la Bible, ils essaient de corriger les différentes informations mal comprises par la communauté qui est l’auditoire. Cela n’est pas à négliger, car au nom des textes sacrés, de certaines informations biaisées, on a fait du tort à beaucoup de femmes. Et l’excision en est un exemple.

Par ailleurs, vu que nous sommes en période des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, les leaders religieux sont formés aux principes clés du genre tels que l’égalité, la participation, l’équité et l’empowerment (autonomisation). Dans cet ordre, le projet, en choisissant de travailler sur les questions de prévention, des VBG se sont focalisées sur la prise de décision consensuelle qui est le thème central.  Et autour de ce thème, il y a le dialogue en famille, la répartition des tâches et tout ce qui peut permettre le bien-être d’une famille.

L’imam de Yalgho lors de la formation sur l’argumentaire religieux.

De manière concrète, les leaders religieux animent des prêches sur les rapports non violents hommes- femmes et coachent des familles pour les amener à systématiser le dialogue en famille pour des prises de décisions inclusives à tous les niveaux.

 S : Qu’est-ce qui explique le choix de l’argumentaire religieux dans la recherche de solutions contre les VBG ?

Y.T. P. : La première raison est stratégique. Considérant le caractère solide des préjugés sociaux, il est important de travailler avec les principaux influenceurs pour se donner la chance de convaincre le maximum de participants au projet. La deuxième raison est d’ordre contextuel. Sans indexer l’une ou l’autre des pratiques religieuses, il faut souligner que certains discours religieux constituent des fondements pour des comportements peu favorables à l’autonomie des femmes. Il était donc attendu que ces religieux utilisent les mêmes documents saints pour participer à la déconstruction des préjugés, des arguments favorables aux VBG.

En termes de démarche, le projet a renforcé les capacités des leaders sur les techniques d’animation et d’organisation des visites à domicile. Pour l’essentiel, la campagne s’est déroulée sur deux espaces que sont : les lieux de prière et dans les familles. Pour ce deuxième espace, chaque leader avait un portefeuille de ménages au niveau desquels il assure la communication, la sensibilisation sur différents thèmes.

Etant donné que la porte d’entrée du projet est le ménage, nous cherchons un moyen de résoudre les problèmes de genre que vivent les familles et donc la communauté.

 S : Qu’elle était la situation des VBG dans les zones avant l’avènement de ViMPlus ?

Y.T. P. : La situation des VBG au départ, n’a pas fait l’objet d’enquête compte tenu de la disponibilité de la littérature en la matière et les statistiques nationales. A ce niveau, les données montrent que pour le Centre-Nord, les violences conjugales (dans les deux sens) avaient évolué avec un taux de croissance d’au moins 22% par an. Ce qui est assez élevé. S’agissant des victimes d’autres formes de violence et pour les grossesses non désirées et/ou contestées, il est fait état d’évolution négativement de 30% pour les femmes et de 40% pour les hommes.

Néanmoins pour la même période, les Mutilations génitales féminines (MGF) ont connu une baisse de 131 à 94. On peut aisément imaginer que des actions fortes sont menées dans tout le pays. Pour les victimes des autres types de violences (violences culturelles), les chiffres sont alarmants. L’on dénombrait entre 2015 et 2016, pour les femmes une évolution de 321 à 498 cas et pour les hommes une évolution de 142 à 191 cas. Par exemple, si une femme réussit dans l’élevage, au moment de la vente, c’est l’affaire de l’homme en raison des violences culturelles.

S : Quelles sont les causes des VBG dans les zones où vous intervenez ?

Y.T. P. : C’est le contexte culturel marqué par des pratiques telles que le manque de considération de la petite fille contrairement au petit garçon à qui des privilèges sont accordés, qui favorise l’avènement des VBG. S’y ajoute l’excision qui, d’ailleurs a un impact négatif sur la santé de la petite fille et voire à l’âge adulte. En plus, l’éducation traditionnelle fait croire aussi aux femmes que c’est normal qu’elles soient violentées.

Il y a également des causes économiques. Cela se traduit par le fait d’empêcher la femme de mener des activités économiques en dehors de la sphère familiale ou de contrôler ses revenus tirés des activités commerciales ; toute chose qui appauvrit davantage la famille et l’on dira que la femme n’y apporte pas le bonheur. Donc, les barrages à l’épanouissement économique et à l’autonomisation de la femme constituent des formes de violence économique.

Par ailleurs, les mariages forcés constituent aussi des violences faites aux filles en plus des violences psychologiques.

Des leaders religieux musulmans de Yalgho échangeant avec les fidèles après un prêche.

Voyez-vous, il y a même un centre (cathédrale) à Kaya qui accueille les jeunes filles victimes de mariage forcé. De nos jours, le phénomène s’est aggravé avec le déplacement de personnes dû à l’insécurité. Beaucoup pensent qu’il faut se débarrasser de la charge des jeunes filles en les mariant rapidement.

Nous ne sommes pas forcément dans la lutte, mais nous travaillons dans la prévention, en étant à l’écoute et en guidant ainsi les victimes vers les structures compétentes de renseignement.

S : Quelles sont les conséquences de ces VBG ?

Y.T. P. : Les violences culturelles font surtout basculer la femme dans un cycle de pauvreté. Elle devient de plus en plus vulnérable. Il y a, par ailleurs, des troubles de santé mentale et psychologique. Je suis souvent sidérée à Kaya de voir qu’il y a beaucoup de femmes déréglées. Ça en dit long sur leurs conditions de vie. Les femmes sont donc exposées au stress, au cumul de tâches et vieillissent avant l’âge. Et si elles n’ont pas souvent de soutien des parents, elles finissent avec des séquelles graves. C’est normal qu’elles perdent confiance en elles-mêmes, car même s’il y a au niveau de l’Etat, de l’organisation des Droits de l’Homme et des organisations de développement, cette volonté de les défendre, les résultats sont toujours en deçà de ce qui est espéré pour déclarer que les choses s’améliorent.

S : Quels résultats avez-vous engrangés avec l’utilisation de l’argumentaire religieux dans la lutte contre les VBG ?

Y.T. P. : L’argumentaire religieux est une approche qui a été bien reçue par les populations. En effet, une enquête récemment menée à la suite de la phase pilote pour en mesurer les impacts (nous étions en phase pilote et nous allons passer à l’échelle) montre que les populations marquent leur adhésion à l’argumentaire religieux. Les leaders religieux qui ont répondu aux questions, ont donné des exemples concrets. Des familles ont demandé que l’approche soit étendue à d’autres familles parce qu’elles ont aimé l’approche.

 S : Au regard des implications des VBG, peut-on donc dire qu’il est plus qu’urgent de lutter contre ce phénomène ?

Y.T. P. : Sans aucun doute. Et c’est tout le sens pour l’Etat d’avoir mis un numéro vert de dénonciation de cas de VGB (ndlr 80 00 12 87). La balle est maintenant dans le camp des victimes.

S : L’argumentaire religieux est un moyen parmi tant d’autres. Quelles sont les actions menées par le projet ViMPlus pour prévenir ou réduire les VBG dans ses zones d’intervention ?

Y.T. P. : Nous avons systématiquement formé tout le personnel sur la conduite à tenir par rapport à l’utilisation du numéro vert de dénonciation et comment se comporter avec une victime, pour ne pas l’exposer. Dans, ce cas, il faut chercher à mettre la victime en contact  avec les services habilités comme les directions régionale et provinciale de la promotion du genre et de l’action humanitaire. Il faut dire que la direction provinciale de la promotion du genre et de l’action humanitaire nous appuie également dans l’animation des émissions radiophoniques et des plateformes électroniques dédiées aux interactions (Uliza, WhatsApp, « Bangre nooma » 123), des sensibilisations et des formations.

Dans un passé récent, quatre communes, dont Barsalogho et Pissila ont bénéficié de conférences sur les VBG qui ont permis de discuter des raisons  pour lesquelles les victimes sont réticentes à dénoncer, par le biais de la direction régionale en charge de la promotion du genre du Centre-Nord.

Nous avons également fait des dons, deux fois à la faveur de la commémoration de la Journée internationale des droits des femmes le 8-Mars au centre Maria Goretti de Kaya qui accueille les filles victimes de mariage forcé.

Par ailleurs, le projet fait un suivi des impacts involontaires sur les indicateurs clés de genre et d’inclusion sociale, tels que les VBG, la modification des rôles des ménages et les dynamiques du pouvoir en raison des conflits et des déplacements, et les changements de l’accès aux services essentiels de santé et de nutrition ainsi qu’aux opportunités économiques qui sont d’une importance unique et urgente à considérer.

ViMPlus a mis l’accent sur la formation du personnel à la réponse appropriée à une divulgation des VBG. Tout le personnel est formé sur le sujet à travers un accent sur les principes du « DO NO HARM (Ne pas nuire)» , en particulier en ce qui concerne le danger potentiel d’aggraver les relations entre les genres. Enfin, sur l’ensemble des plateformes engagées dans la mise en œuvre (SCOOPS, CVD, AUE, GASPA, les structures du code rural), le projet a déroulé plusieurs modules qui touchent la relation homme/ femme et jeune fille/jeune garçon. Sur certaines plateformes spécifiques à la santé et à la nutrition, les belles mères et les maris ont été particulièrement ciblés pour servir de point d’appui pour l’adoption de bonnes pratiques de décision inclusive et d’amélioration de l’accès aux ressources productives.

S : A quels résultats êtes-vous parvenus avec la mise en œuvre de ces activités ?

Y.T. P. :Il y a des témoignages concrets de familles et de leaders religieux sur les comportements positifs prônés par le projet. Courant septembre, une enquête sur l’impact de la phase pilote de l’approche famille par l’argumentaire religieux a été réalisée par des acteurs externes. De cette enquête, nous pouvons retenir que la pertinence et l’utilité de l’approche sont reconnues, la démarche n’est pas remise en cause d’autant plus que les familles souhaitent que les activités soient reconduites et étendues à d’autres familles.

En plus, le niveau d’adoption de l’approche par les différentes confessions religieuses et des familles est appréciable. Mais aussi, pour tous, il y a une amélioration du dialogue en famille et la prise de décision consensuelle. La plupart des leaders religieux interrogés pensent que la participation des femmes et des jeunes en matière de prise de décisions a beaucoup évolué positivement au sein de la communauté et des ménages. Pour preuve, en ce qui concerne la répartition des tâches ménagères au sein de la communauté et des familles, elle se fait de plus en plus sans distinction de sexe. La tendance générale va vers une réduction considérable des charges ménagères au bénéfice des filles puisque de plus en plus les garçons y sont impliqués.

L’enquête a également révélé que des leaders religieux engagés dans le processus participent aux émissions radiophoniques animées par le projet ViMPlus sur le genre, la cohésion sociale, la répartition des tâches ménagères entre les garçons et les filles, le dialogue inclusif dans le ménage. Et la plupart des leaders confirment que ces dites émissions ont contribué énormément aux changements de comportement.

Les fidèles lors des échanges avec le leader religieux musulman.

S : Des ONG ont tiré la sonnette d’alarme sur la situation des VBG dans les zones à forts défis sécuritaires, alors que pendant ce temps, la marge de manœuvre des projets semble réduite, justement à cause de cette situation.  Que prévoit le projet ViMPlus pour y faire face ?  

Y.T. P. : Si le projet existe jusqu’à présent, c’est la preuve qu’il y a eu beaucoup d’adaptation. Il faut dire que les agents de terrain s’appuient beaucoup sur les acteurs endogènes qui d’ailleurs sont très bien formés à l’exemple des PAVAC (Paysan vulgarisateur et d’appui conseil) sur les Paquets technologiques, des CVD (Conseils villageois de développement) sur les mécanismes de cohésion sociale et de redevabilité. Ce qui fait qu’en l’absence des spécialistes sur le terrain, les activités ne sont pas impactées d’autant plus que via les plateformes, les activités se poursuivent et les rapports, témoignages et photos sont transmis par communication électronique. Et à propos, je fais allusion à WhatsApp qui est fréquemment utilisé. Outre cela, les partenaires (endogènes) sur place tiennent des rencontres.  Donc, là où le projet ne peut pas aller, les populations sont coachées à distance pour mettre en œuvre les interventions sous le contrôle des CVD.

Mention légale : Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité du projet ViMPlus et ne reflète pas nécessairement les point de vue de l’USAID ou du gouvernement des Etats-Unis.

 

Interview réalisée par Boukary BONKOUNGOU

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