Bonne gouvernance  dans le secteur extractif: PCQVP, un concept porte-étendard de la société civile

A la faveur de l’Assemblée générale mondiale qui se déroule à Dakar (Sénégal) du 29 au 31 Janvier 2019, je suis heureux de partager avec vous un concept qui fait son bonhomme de chemin dans le milieu des industries extractives depuis le début des années 2000 : Publiez ce que vous payez (PCQVP) ! Dit autrement, c’est la communication d’informations sûres et compréhensibles par les sociétés extractives pour plus de transparence et de redevabilité qui est questionnée à travers ce concept.

 En décembre 1999,  l’ONG Global Witness a publié un rapport intitulé ‘’A Crude Awakening’’ (Un Réveil Brut), exposant la complicité apparente entre les compagnies pétrolières et les compagnies bancaires en Angola pour mettre à sac les biens de l’Etat pendant la guerre civile, qui sévit pendant 40 ans dans ce pays. Il était clair que par leur refus de publier des informations financières, certaines grandes compagnies pétrolières multinationales se firent complice de la mauvaise gestion et du détournement des revenus pétroliers par l’élite du pays. Le rapport se termine en appelant les compagnies pétrolières opérant en Angola à «publiez ce que vous payez». Il était toutefois clair que le manque de transparence dans les industries extractives était une préoccupation majeure dans d’autres pays pauvres, mais riches en ressources naturelles. C’est pourquoi, en juin 2002, Global Witness ainsi que d’autres membres fondateurs tels que CAFOD, l’Institut pour une Société Ouverte, Oxfam Grande Bretagne, Save the Children Grande Bretagne et Transparence Internationale Grande Bretagne ont lancé la campagne internationale de PCQVP ( Publiez Ce Que Vous Payez), appelant toutes les compagnies de ressources naturelles à publier les paiements effectués aux gouvernements pour chaque pays d’opération.

La petite coalition d’ONG initiale accueillit bientôt d’autres organisations telles que Catholic Relief Services, Human Rights Watch, Partenariat Afrique Canada, Pax Christi Pays Bas et le Secours Catholique/CARITAS France, ainsi qu’un nombre grandissant d’organisations issues des pays en voie de développement. A partir des quelques groupes membres, en majorité basés en Grande Bretagne lors du lancement de la campagne, PCQVP,  s’est étendu pour inclure désormais des membres dans 60 pays, avec des coalitions nationales affiliées dans 31 pays. L’augmentation de la participation de la société civile peut être principalement attribuée à la grande soif de changement dans les pays en voie de développement, riches en ressources naturelles mais prisonniers de la malédiction des ressources. La campagne est menée en accord avec les priorités régionales de bonne gouvernance, de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de réduction de la pauvreté. La campagne PCQVP s’est avérée être un outil utile pour les groupes locaux militant pour un meilleur accès à l’information et pour la responsabilisation des dirigeants politiques et économiques.

La Vision 20/20 : stratégie future basée sur quatre piliers

Vision 20/20 est en référence non seulement à l’année mais aussi à l’acuité visuelle optimale. 20/20 veut dire que PCQVP visualise les questions avec une clarté limpide, qui en elle-même rejoint l’idée de transparence, et qu’à l’horizon 20/20, les membres soient capables de voir plus clair, parce que possédant plus de données et d’informations utilisables et accessibles suite aux efforts de campagne de la coalition à travers le monde. Dit autrement, la Vision 20/20 est celui d’un monde  où tous les citoyens bénéficient  de leurs ressources naturelles, aujourd’hui et demain. PCQVP est animée par la ferme conviction qu’une coordination efficace des actions collectives, des compétences et des intérêts des diverses organisations de la société civile dans une coalition est la manière la plus efficace d’influencer les parties prenantes clés et de provoquer un changement de politique et de pratique dans les secteurs des industries extractives et du gouvernement. Par conséquent, PCQVP a développé sa propre « Chaîne de changement » en indiquant comment la société civile peut tenir les gouvernements ainsi que les entreprises responsables tout au long du processus. La « Chaîne de changement » de PCQVP suit le principe selon lequel à chaque étape du processus d’extraction – de l’enquête géologique initiale à l’évaluation finale des dépenses des revenus tirés des ressources naturelles – les citoyens doivent avoir leur mot à dire sur la gestion de leurs ressources. Cette approche nécessité une transparence tout au long du processus.

Le premier pilier s’intitule : Publiez pourquoi vous payez et comment vous extrayez ! Le contenu des informations recherchées doit permettre de répondre aux questions suivantes : Quelles sont nos ressources naturelles ? Quelle est le cadre juridique qui régit la gestion des ressources naturelles ? Devrait-on extraire ? Comment garantir le meilleur accord d’exploitation possible ? Des informations détaillées et transparentes doivent être fournies sur la quantité et la qualité des ressources naturelles dont dispose un pays et où ces dernières sont situées. Sans ces informations complètes, les citoyens ne pourront pas prendre des décisions informées sur la façon dont leurs ressources devraient être extraites, le cas échéant, et se satisfaire des conditions s’appliquant aux contrats d’extraction de leurs ressources.

 Lorsqu’un pays découvre qu’il possède des ressources naturelles, les gouvernements peuvent élaborer des cadres juridiques élargis concernant la procédure d’extraction et de gestion de ces ressources. La société civile devrait être impliquée à un certain niveau dans l’élaboration de ces règles, soit par une collaboration étroite soit sur une base consultative. Ces cadres constituent une importante occasion d’intégrer la transparence et la responsabilité dans le processus de gestion des ressources naturelles dès le départ. Un régime fiscal et juridique approprié est celui qui offre des conditions équilibrées entre les besoins des citoyens et des incitations suffisantes pour les investisseurs. Il doit par ailleurs être appliqué de manière cohérente, afin que les pays reçoivent effectivement une part juste des revenus provenant de leurs ressources naturelles. Les Lois sur la liberté de l’information constituent également des leviers dont on peut se servir pour garantir la transparence et la responsabilité dans le secteur des ressources naturelles. Ainsi, la société civile devrait veiller à ce que ces cadres juridiques, une fois mis en place, soient respectés et assurer un contrôle tout au long de la chaîne de valeur.

La décision d’extraire devrait se prendre à partir d’une solide analyse du rapport coût-bénéfice, et les communautés locales devraient donner leur plein consentement pour l’extraction. Ces communautés – qui devront faire face aux conséquences de l’extraction – devraient être bien informées des conséquences et des impacts du projet. Ceci nécessite que les compagnies et gouvernements entreprennent, de manière transparente, des évaluations d’impacts sur l’environnement, la société et les droits humains. Les résultats de ces évaluations doivent ensuite être publié et les informations mises à la disposition des communautés impliquées. L’on devrait prévoir une rémunération pour tous les aspects néfastes de l’extraction sur l’environnement, sur la société ou sur l’économie. Des engagements fermes devront être pris pour le démantèlement, la dépollution et la réhabilitation des sites extractifs post-opérationnels.

Tout au long de ce processus de prise de décisions, la question de savoir ce que nous sommes en train d’extraire devra être tenue en ligne de compte. En tant que coalition, PCQVP estime que les fonds générés par l’exploitation des ressources naturelles devraient être consacrés à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Ainsi, il devrait exister des options claires que les citoyens pourront suivre s’ils décident de ne pas aller de l’avant avec l’extraction.

L’octroi de permis et de contrats permet de savoir à quelles compagnies seront attribuées les projets d’extraction, et sous quelles conditions – allant de la logistique générale d’extraction au pourcentage des revenus que chaque compagnie versera au gouvernement. Permis et contrats – lesquels détermineront si un pays réussit à obtenir de bonnes conditions pour ses ressources – doivent être accordés de manière transparente. Pour s’assurer que les contrats soient attribués dans l’intérêt de toute la population, les appels d’offre devront être publics et agencés sur une base compétitive, et les contrats devront être publiés. Pour établir si les compagnies paient un montant juste pour les ressources naturelles qu’elles extraient, il faut assurer le suivi des contrats et des permis. Il peut être utile de comparer les contrats avec ceux d’autres projets extractifs, d’examiner les conditions des contrats s’appliquant à d’autres projets extractifs dans le même pays, des contrats avec la même compagnie ou ceux s’appliquant à un projet similaire dans un autre pays.

Le deuxième pilier est en rapport avec le concept ‘’ Publiez ce que vous payez’’ vise à répondre à une seule interrogation : quels sont les paiements effectués par les compagnies ? Il est important de s’assurer que les compagnies paient effectivement ce qu’elles sont tenues de payer selon l’accord légal et le régime fiscal en cours. PCQVP veut voir établir le reporting pays par pays et projet par projet, pour aider les citoyens à suivre les revenus que le gouvernement central doit leur verser pour les projets dans leur propre localité. Ces informations sont aussi utiles pour les investisseurs qui cherchent à calculer les risques qu’ils prennent et qui souhaitent que s’instaure un climat sain d’investissement à long terme. Les compagnies ont la responsabilité de publier tous les paiements qu’elles effectuent, et la société civile devrait examiner ces paiements et juger si les compagnies paient les montants appropriés. Une publication précise et transparente des paiements par les entreprises exploitantes est un élément clé de l’ITIE. La société civile devra s’engager dans le processus de l’ITIE dans les pays « candidats » et « conformes » afin de s’assurer que les rapports des entreprises sont complets et les plus utiles possibles.

Le troisième pilier, ‘’publiez ce que vous gagnez et comment vous dépensez’’ interpelle surtout la responsabilité de l’Etat : les fonds sont-ils arrivés dans les caisses de l’Etat ? Comment ces fonds devraient-ils être dépensés ? L’argent est-il arrivé à bon port ? Que les montants des revenus versés par les entreprises pour l’extraction des ressources naturelles soient justes ou pas, il est important de s’assurer qu’ils arrivent effectivement dans les caisses de l’État, au niveau –national, régional ou local – prévu au départ. Pour s’assurer que l’argent ne soit pas défalqué ou « perdu » en chemin, le gouvernement doit aussi faire comme les entreprises et effectuer une déclaration transparente des revenus reçus de ces dernières. La société civile devrait être à même de suivre les paiements et revenus pour chaque projet et s’assurer que les montants que les gouvernements déclarent avoir reçus correspondent à ce que les compagnies affirment avoir payé. Là encore, la société civile gagnerait à s’engager avec l’ITIE dans ce sens. Le principal processus de réconciliation de l’ITIE implique qu’une tierce partie indépendante évalue les chiffres des entreprises et du gouvernement et fasse état de tout écart important. Ensuite, les revenus du pays issus de l’extraction des ressources devraient être alloués selon son Plan de stratégie de réduction de la pauvreté, le cas échéant, et créer un bon équilibre entre les différents bénéfices de développement pour la majorité de la population et pour les communautés locales. La société civile a un rôle à jouer pour s’assurer que les gouvernements favorisent la transparence budgétaire et que les fonds soient alloué de manière transparente et équitable. Une approche participative à l’élaboration du budget pousse le processus plus loin en mettant l’accent sur l’importance de l’implication des citoyens dans les décisions relatives aux dépenses du gouvernement, surtout au niveau infranational. Enfin, une fois les revenus alloués, la société civile doit vérifier et s’assurer que l’argent parvienne à la destination convenue. Les Règles de l’ITIE exigent que dans des cas où les paiements en provenance des entités centrales vers les entités infranationales sont importants, ils doivent être inclus dans le processus de déclaration. La transparence dans la gestion des revenus est une considération importante pour les membres de la coalition PCQVP comme Revenue Watch.

Le quatrième pilier ‘’Publiez ce que vous apprenez’’ a un caractère d’évaluation pour juger de la décision d’extraire : Est-ce que cela a valu la peine ? Pour ce faire, une tierce partie indépendante doit procéder à une évaluation d’impact pour déterminer si l’argent produit a été convenablement dépensé et s’il a contribué au développement et à l’amélioration des conditions d’existence des citoyens. En outre, une évaluation d’impact indépendant du projet lui-même devra être réalisée : se demander si, en fin de compte, les retombées bénéfiques de l’activité d’extraction l’emportent pour les populations sur les coûts sociaux, économiques et environnementaux qui doivent être supportés. Le principe ici est de toujours évaluer. Les évaluations doivent se faire régulièrement par toutes les parties impliquées, y compris par la société civile, pour que l’on s’assure que les cadres à plus long terme sont adéquats et restent pertinents. Par exemple, les contrats ayant été attribués les années précédentes dans des circonstances différentes de celles qui prévalent maintenant peuvent nécessiter un réexamen et une possible renégociation. Le partage des revenus entre une ou plusieurs entreprises et un gouvernement particulier pourrait également nécessiter une nouvelle répartition. La société civile peut jouer un rôle important en faisant part de ses préoccupations de manière ouverte dans des cas où les cadres et les contrats ne correspondent plus clairement à l’objectif.

Ismaël BICABA

Etudiant-chercheur sur la RSE

Membre de Action des Journalistes sur les Mines au Burkina Faso (AJM-BF)

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