Chloé Aicha Boro, réalisatrice: « Le métier du cinéaste est d’avoir un regard et de l’assumer » 

Film mal programmé, absence de cinéphiles et pleurs de la réalisatrice… Chloé Aicha Boro est passée par toutes les émotions à la 26e édition du FESPACO avec son documentaire « Le loup d’or de Balolé » qui a remporté l’Etalon d’or de Yennenga. Dans cet entretien, elle nous présente son film.

 S.: Pourquoi as-tu titré  ton film Le Loup d’or de Balolé ?

Chloé Aicha Boro (C.A.B.) : Le Loup d’or de Balolé parce qu’il y a un personnage assez singulier dans la carrière de Balolé qui s’appelle Ablassé. Au lendemain de l’insurrection, il a été porteur du vent d’émancipation qui a soufflé sur la carrière. Il a créé une association pour défendre les casseurs de granit de la carrière contre les intermédiaires qui les pillent. Par son combat, il est reconnu par les femmes, les casseurs. Ce sont eux qui l’ont surnommé le Loup d’or. J’ai trouvé que cette appellation pouvait faire le titre d’un film.

S.: La carrière de Balolé a été le sujet de plusieurs reportages et de productions cinématographiques, pourquoi as-tu fixé ta caméra sur ce gros trou au cœur de Ouagadougou ?

C.A.B.: La carrière de Balolé est un univers incroyable et époustouflant. On ne s’entend pas à voir au cœur d’une  capitale ce genre d’univers. J’ai fait mon école primaire à côté de la carrière, j’ignorais qu’un tel trou existait avec autant de personnes. Selon eux, ils sont environ 2500 personnes qui s’enfoncent  tous les jours pour casser du caillou à main d’homme. L’endroit est à environ 5 km du siège du FESPACO. Ce qui m’a intéressé est que ce truc énorme existe et que certains riverains l’ignorent. Comme ils le disent dans le film, ils sont entourés par des bâtiments administratifs. Quand j’ai découvert la carrière, j’ai juste allusionné. Au départ, je voulais que la carrière soit un personnage du film, finalement dans le traitement, la carrière n’est pas tout à fait un personnage ; mais un trou béant qui engloutit la vie des gens, l’avenir des gens, le bénéfice de leur labeur. Un trou qui engloutit aussi leur existence puisque officiellement ils n’existent pas. Mais la carrière existe officiellement.

S.: Les images du film font penser à l’esclavage 

C.A.B.:Exactement c’est l’impression que j’ai eue. J’ai pensé à l’ancienne Egypte. Celle des pyramides. Je n’ai pas voulu faire un traitement misérabiliste du film. Mais je montre des gens  debout, une résilience incroyable. Au-delà de la résilience, je montre cette immense tendresse des gens de Balolé. Ce sont des hommes qui ont une profondeur d’âme incroyable. Et le personnage Adama prend la parole, c’est époustouflant. Quand je le traite de philosophe ou de poète, il me répond non, je n’ai pas fait l’école. Ces gens sont la preuve que ce n’est pas l’école qui fait des gens des intellectuels. Ils sont dans ce contexte avec une âpreté incroyable mais à la fois ils sont debout surtout solidaires les uns pour les autres. Cette condition de dureté extrême, d’indigence extrême dévoilent des humanités profondes dans le sens positif du terme. J’ai pris un parti, je l’assume, de montrer la tendresse, la résilience qu’il y avait et de ne pas trop m’intéresser à tout ce qu’il y avait de moins beau. Le métier du cinéaste est d’avoir un regard et de l’assumer.

S.:Dans ton film, les casseurs de granite revendiquent leur participation à l’Insurrection populaire. As-tu été surprise par leur revendication ?

C.A.B.: Ces gens m’ont surprise à tous les égards et positivement à chaque fois. Ce sont les grands oubliés de l’Insurrection. Ils savent que leur participation à l’Insurrection a joué un rôle. Vu leur nombre, cela a forcément joué un rôle. Ils le disent en plus. Important ou pas, je n’en sais rien. Après l’Insurrection, ils se sont dit si on a pu se défaire d’un régime, on peut se défaire du joug des courtiers sur la carrière. Alors, ils ont entamé une lutte contre les intermédiaires et c’est cette lutte qui est belle à voir.

S.:Quel est ton vœu pour  ce film ?

C.A.B.:Qu’il soit vu au maximum. Cet univers est hors champ social. Il fallait qu’il rentre dans le champ de la caméra pour qu’il ne soit plus un hors champ social. Pour qu’on sache que cet endroit existe. Je ne sais pas si cela va changer quelque chose. Je n’ai pas la prétention de changer quelque chose. J’ai la prétention de montrer de ma façon parce que toutes les histoires peuvent et doivent être racontées. C’est notre boulot, cinéaste, de trouver la forme pour raconter les histoires et pour faire exister les personnages forts. C’est ce que je fais. Après les choses changent ou pas. Si elles changent tant mieux. Si ces personnes peuvent être aidées, elles peuvent sortir de la carrière. Si ce film y contribue, je serai vraiment ravie, mais ce n’est pas dans ma démarche première de cinéaste. Ma démarche première de cinéaste est de montrer. Je n’aime pas les hors champs sociaux.

S.:Quelles sont tes précédentes productions ?

C.A.B.:Avant « Le Loup d’or de Balolé », j’ai réalisé un documentaire intitulé France au revoir, le nouveau commerce triangulaire qui traitait du circuit du coton. Le film a remporté le prix du meilleur documentaire à Montréal. Bien avant, j’avais fait Farafinko à Bobo-Dioulasso où  je filmais la vie des habitants d’une cour, je montrais le vivre-ensemble à l’africaine. Ce film a énormément tourné. Il a été traduit en Espagnol, en Italien. Il est passé sur TV5. Il a eu sept prix à l’international dont un prix au Togo.

Alassane KERE

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