Clovis Kambou, vice-président du SC Majestic : « La question des joueurs binationaux n’est pas un problème d’identité »

Clovis Kambou : « il faut professionnaliser l’organisation des sélections ».

Ancien footballeur international burkinabè, Clovis Kambou qui vit depuis plus d’une vingtaine d’années dans l’Hexagone n’a pas quitté le monde du football. Vice-président du SC Majestic du Burkina, il s’occupe aussi des carrières d’un bon nombre de footballeurs. Présent au Qatar pour la Coupe du monde U17, il évoque les Etalons, le football burkinabè et la situation des binationaux.

Sidwaya (S) : Quel est l’objet de votre présence au Qatar ?

Clovis Kambou (C.K) : Comme vous le savez, j’ai un rêve profond. Celui de contribuer au développement du football burkinabè afin qu’un jour, nous remportions la Coupe d’Afrique des Nations. Pour cela, il faut être présent là où naissent les opportunités afin de rencontrer les bonnes personnes, de tisser des liens et ouvrir les portes des meilleurs clubs à nos jeunes talents. Ma présence ici au Qatar répond exactement à cette dynamique : soutenir nos jeunes, encourager nos talents et avancer sur des dossiers stratégiques.

S : Comment trouvez-vous notre équipe nationale U17 des Etalons à cette Coupe du monde ?

C.K : Nous avons une équipe solide, disciplinée et talentueuse. Le travail du staff technique est visible. Avec le soutien du peuple burkinabè, je suis convaincu qu’ils peuvent aller très loin.

S : Le latéral droit de ces U17 burkinabè Ousmane Ouédraogo est présenté comme une de vos trouvailles. Que pensez-vous de ses prestations ?

C.K : Ousmane incarne parfaitement ce que représente une bonne détection. Lorsque j’ai entendu parler de son potentiel, j’ai collaboré avec la Fédération burkinabè de football pour organiser sa venue au pays. Il a immédiatement conquis le staff et l’équipe. Malgré son absence à la CAN U17, le coach a vu en lui un potentiel immense et l’a intégré dans la préparation pour la Coupe du Monde. Le voir performer aujourd’hui à Doha est une grande fierté pour le Burkina Faso.

S : Selon notre source, vous œuvrez pour ouvrir des portes de clubs européens pour certains internationaux U17. Est-ce vrai ?

C.K : Je travaille toujours avec transparence. Si j’ai la possibilité d’ouvrir des portes pour un ou plusieurs jeunes talents burkinabè, je le ferai. Cela n’a rien de personnel ou d’opportuniste, c’est une démarche structurée qui vise à créer des passerelles entre nos joueurs, nos académies et les clubs européens. Aujourd’hui, aider un joueur, ce n’est pas seulement l’accompagner individuellement. C’est renforcer la crédibilité de son académie, ouvrir un canal durable avec un club européen, donner de la visibilité à d’autres talents venant du Burkina. Chaque réussite crée un précédent. Quand un jeune signe et performe, cela facilite l’accès des suivants. C’est ainsi que se construisent les réseaux internationaux solides. Ma démarche est patriotique et tournée vers l’avenir. Je mets mes relations, mon expérience et mes compétences au service des jeunes, avec l’objectif que le Burkina devienne une référence dans la formation et l’exportation de talents.

S : Vous êtes vice‑président de Majestic, mais on vous voit travailler aussi pour des joueurs appartenant à d’autres clubs et académies. Pourquoi le faites-vous?

C.K :Je suis vice‑président du SC Majestic, et j’en suis fier. Mais cela ne m’a jamais empêché d’avoir une vision plus large du football burkinabè. Dès que l’opportunité se présente, je fais bénéficier mon réseau à des jeunes issus d’autres clubs et académies. Tant qu’un projet permet à un jeune Burkinabè d’intégrer un club structuré avec un plan solide, je ferai tout pour l’aider. Nous pouvons appartenir à des clubs différents, mais nous appartenons tous au même pays. Je refuse les visions fermées. Mon rôle n’est pas de protéger un territoire, mais d’ouvrir des portes.

S : Vous insistez sur la construction d’une carrière. Que voulez‑vous dire ?

C.K : Pour moi, la signature d’un contrat n’est jamais une finalité. Ce qui compte réellement, c’est la construction d’une carrière et la réussite d’une vie. La différence est fondamentale. Construire une carrière est un long processus, structuré et exigeant. Réussir sa vie dans le football est la conséquence d’être titulaire, se performer, aider sa famille et représenter son pays. On ne réussit pas sans avoir construit. La réussite est la conséquence logique d’un travail bien fait.

S : Cet état d’esprit d’entraide et de patriotisme, comment se manifeste-t-il concrètement ?

C.K : Je suis fidèle à ma culture. Chez nous, l’entraide n’est pas une option mais une valeur sacrée, un véritable pilier identitaire. Et je tiens à être très clair. Je ne suis pas partisan des valeurs à géométrie variable. On est Burkinabè ou on ne l’est pas. On porte nos traditions ou on ne les porte pas. Dans notre culture, un acte d’entraide n’est pas censé être applaudi ou présenté comme exceptionnel. C’est simplement ce qui est normal lorsqu’on reste cohérent avec nos origines et nos valeurs. Je vous donne un exemple concret. Lorsque Majestic a été invité à un tournoi de détection au Nigeria et que nous avons eu beaucoup de blessés, j’ai immédiatement proposé qu’une autre équipe burkinabè prenne notre place. Pourquoi ? Parce qu’il fallait que l’opportunité puisse être saisie, que ce soit par un joueur du Majestic ou d’ailleurs. L’essentiel, c’est d’ouvrir les portes, pas de les garder pour soi. C’est cela, être cohérent, constant, fidèle à ses valeurs et agir en conséquence.

S : Un tel travail demande des ressources. Quel message adressez-vous aux investisseurs ?

C.K : Ce travail demande de véritables moyens. C’est pourquoi j’appelle les investisseurs, la diaspora et les acteurs locaux à unir leurs efforts. Investir dans notre football, ce n’est pas seulement aider un joueur. C’est créer des emplois, dynamiser l’économie interne, soulager la Fédération burkinabè de football et le ministère des Sports, de la Jeunesse et de l’Emploi et redonner au public le plaisir d’aller au stade. Ma vision est globale, inclusive et durable. Ce n’est pas une démarche individuelle mais un projet national fondé sur le partage et l’unité.

S : Le Burkina est en train de constater la « fuite » de ses binationaux comme le récent exemple de Assan Ouédraogo qui a opté de porter les couleurs de l’Allemagne. Quels conseils ou quelles suggestions pour essayer de ramener à l’avenir certains dans l’écurie des Etalons ?

C.K : La question des joueurs binationaux n’est pas un problème d’identité, mais d’un enjeu de structuration. Les familles et les joueurs recherchent naturellement les meilleures conditions pour progresser et sécuriser leur carrière. Pour limiter cette fuite, il est essentiel de créer un environnement qui donne envie de représenter le Burkina par conviction et par projet sportif. Cela passe par plusieurs axes. Il faut d’abord identifier et suivre les talents binationaux très tôt. Le travail doit commencer dès l’adolescence, en créant un lien constant avec les familles, les clubs formateurs et les représentants légaux. Un cas concret existe déjà avec Ousmane Ouédraogo actuellement avec les U17.

J’ai identifié un autre phénomène de 15 ans, Hakim Sagné, surclassé avec les U17 nationaux de Istres (NDLR : en France) qui devrait être convoqué prochainement avec les U17. Ce suivi précoce permet de sécuriser la relation avant que d’autres nations ne s’activent. Pour le cas Hakim Sagné, il est né en Italie avec le passeport français aujourd’hui. Il est sur les tablettes de l’Olympique de Marseille, de la Juventus, de Nice et de Montpellier. Donc, si on ne le sécurise pas, ça sera la France ou l’Italie qui vont le faire. Bref, il faut professionnaliser l’organisation des sélections.

Une gestion rigoureuse, structurée, ponctuelle et transparente renforce la confiance des clubs européens et des entourages. Cela montre que le Burkina peut être un cadre sérieux pour développer des talents, pas seulement un symbole patriotique. Offrir un projet sportif clair et ambitieux. Il ne s’agit pas simplement d’appeler un joueur, mais de lui offrir un rôle clair, un plan de progression et une visibilité internationale réelle. Les joueurs choisissent un pays lorsqu’ils s’y projettent sportivement, pas seulement émotionnellement. Nous devons travailler avec des acteurs qualifiés.

La réussite à long terme passe par des professionnels solides, compétents et légaux, capables d’accompagner les jeunes dans un parcours international cohérent. Ce travail est déjà engagé avec la Fédération burkinabè de football. J’ai eu l’occasion d’échanger avec le président de la Fédération sur ces sujets, et il est aligné sur cette méthodologie. Nous avançons également avec d’autres présidents d’académies qui partagent ce diagnostic. Ensemble, nous mettons en place les bases pour créer un environnement crédible et durable pour nos talents.

Vous avez cité Assan Ouédraogo. Je suis très proche de sa famille et de son père, Alassane Ouédraogo, avec qui j’ai joué au Santos et en sélection. Nous continuons de travailler ensemble sur des projets au service du football burkinabè. Comme pour les frères Boateng partagés entre l’Allemagne et le Ghana, rien n’exclut que plusieurs membres d’une même famille puissent choisir des chemins internationaux différents. L’essentiel est de construire un cadre où ce choix devient naturel.

Interview réalisée par
Yves OUEDRAOGO à Doha

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.