Décès de John Jerry Rawlings : « Il a été un serviteur loyal de l’Afrique », Pr Basile Guissou

Chercheur en sociologie politique à la retraite, Pr Basile Laetare Guissou, est l’un des ministres de la période de la Révolution burkinabè à avoir côtoyé l’ancien président ghanéen John Jerry Rawlings, décédé le jeudi 12 novembre 2020. Dans cette interview, l’ancien délégué général du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST) revient sur la vie de l’illustre disparu.

Sidwaya (S) : Que retenez-vous de l’ancien président ghanéen John Jerry Rawlings qui a tiré sa révérence le jeudi 12 novembre ?

Basile Laetare Guissou (B. L. G.) : J’ai rencontré la première fois le président ghanéen John Jerry Rawlings, quand j’étais membre du Conseil national de la révolution (CNR). Il nous a reçus dans son palais, un ancien fort britannique, au bord de la mer. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvais devant un chef d’Etat qui s’est mis à genoux devant nous. Il s’est mis à pleurer et il nous a dit : dites à mes frères burkinabè de ne pas laisser la division entrer en leur sein, sinon l’Afrique est perdue. J’ai des témoins qui sont toujours vivants comme le colonel Moussa Diallo qui peut vous confirmer cela. Nous avons été la première délégation au Ghana à présenter la situation politique du Burkina à Rawlings.  Il y a de cela dix ans, je l’ai rencontré dans un hôtel à Ouagadougou et je lui ai rappelé notre passage à son palais en tant que ministre des Relations extérieures et de la Coopération de Thomas Sankara.  Ce jour-là, j’étais impressionné parce qu’il a pleuré. Il m’a répondu qu’il se rappelait toujours de la scène. Depuis lors, je ne l’ai plus revu jusqu’à ce que j’apprenne son décès.

S : Pour bon nombre d’Africains, le président John Jerry Rawlings incarnait l’idéal démocratique alors qu’il est venu au pouvoir par un coup d’Etat. Comment expliquez-vous cet état de fait ?

B. L. G. : L’Afrique, c’est 55 pays et c’est 55 réalités à ne pas confondre. S’il y a 55 coups d’Etat, il n’y a pas deux coups d’Etat qui vont se ressembler. Chaque situation dicte la solution à ses problèmes. Le Ghana n’est pas le Burkina, mais le peuple ghanéen tout comme celui burkinabè a besoin d’une vie meilleure. Cette dernière peut venir d’un coup d’Etat comme des élections démocratiques. Dans l’absolu, il faut arrêter d’être des copieurs. Nous copions tout le temps les démocraties américaine et française. Cela doit s’arrêter. Les Chinois disent qu’ils font une démocratie chinoise pour le peuple chinois et dans la langue chinoise. Nous devons créer pour nous. Je pense que les leaders comme Rawlings au Ghana ou Sankara au Burkina Faso, sont des inventeurs d’avenir. Ce sont des innovateurs! Souvent j’interpellais le président Sankara de réduire le rythme de nos activités et il me disait si nous devons aller en douceur, quelle sera la différence entre les « Lamizana » (l’ancien président de la Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso de 1966 à 1980) et nous. Il me disait que si nous sommes des révolutionnaires, nous ne pouvons pas faire comme les autres. Je pense que ces deux présidents auront marqué l’Afrique de l’Ouest incontestablement sinon tout le continent par leur vision panafricaniste. Les deux présidents n’avaient aucun relent quand vous les comparez aux vieux briscards comme Houphouët Boigny qui a toujours combattu l’unité de l’Afrique, en divisant les Africains et en refusant la fédération du Mali.

S : Quel est le lien qu’on pouvait établir entre Thomas Sankara et Jerry Rawlings ?

 B. L. G. : C’est la simplicité, ce sont des hommes comme vous et moi. Ils ne se prenaient pas comme étant sortis de la cuisse de Jupiter. Quand Sankara écoutait un élève, il l’écoutait avec sérieux. Je ne parle pas des ministres et des chefs traditionnels, malgré tout ce qu’on a raconté sur lui qu’il les a combattus. Ce qui est faux. Personne ne peut prouver cela. Ce sont des accusations gratuites. Je dirai même que s’il y a bien un régime qui a revitalisé la chefferie traditionnelle, c’est bien la révolution parce qu’il y a des chefs traditionnels qui étaient des membres des Comités de défense de la révolution (CDR). On ne le dit pas. La révolution a collé aux réalités des 8 000 villages du Burkina. Ce n’était pas une révolution pour la ville et je pense que Rawlings a fait la même chose au Ghana. D’ailleurs, ils avaient leur slogan : « Vivre avec les masses, vaincre avec les masses » ; « Produire et consommer local », etc. Rawlings était un homme qui n’a pas hésité à faire sauter les souterrains des marchés d’Accra et de Kumassi pour sortir le maïs que les commerçants avaient caché pour créer une pénurie. Il a tiré un obus pour éventrer une réserve pour sortir le maïs et le riz pour donner aux populations.
Donc, le peuple ghanéen ne peut pas l’oublier. Dernièrement, j’ai vu une vidéo où il était dans la rue d’Accra pour règlementer la circulation parce qu’il y avait un embouteillage.

S : D’aucuns disent que le Burkina Faso était pratiquement la seconde patrie de John Rawlings. Pouvez-vous nous donner les raisons ?

B. L. G. : Tout à fait ! Je puis vous dire que toutes les épreuves que la révolution a vécues ici, Rawlings les a partagées à 100% avec nous. Quand il pouvait y mettre la main, il le faisait jusqu’au 15 octobre 1987 (date du coup d’Etat contre Thomas Sankara, Ndlr). Je sais qu’il a fait plusieurs démarches pour essayer de concilier les différentes parties.
Malheureusement, la rupture était consommée. Si du côté de Sankara, il n’avait pas l’intention de faire du tort à qui que ce soit, en face on n’était pas prêt à lui faire des cadeaux, parce que son sort était déjà scellé.

S : Il semble qu’il voulait revenir au pouvoir par l’intermédiaire de son épouse. Qu’en pensez-vous ?

B. L. G. : Est-ce que c’est interdit ? S’il veut le faire, il le fait. Si le peuple ghanéen accepte où est notre problème ? Je sais que sa femme a été candidate en vue de prendre la direction du parti, mais elle n’a pas pu. C’est une citoyenne comme les autres. Elle a le droit d’être candidate comme les autres. John Jerry Rawlings a eu un repos éternel bien mérité. Il a été un serviteur loyal de son peuple et de l’Afrique. Et, je suis fier de pouvoir faire ce témoignage sur lui.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO
Malata COULDIATI
(Stagiaire)

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