Décès de Pierre de Pierre Claver Damiba: Hommages à un « intellectuel hors pair »

 Christian Damiba, fils ainé du défunt

A l’issue de l’inhumation de Pierre Claver Damiba, intervenue le vendredi 10 mai 2024, à Ouagadougou, au cimetière municipal de Gounghin, Sidwaya a tendu son micro à sa famille et à des personnalités nationales et régionales. Elles rendent toutes un hommage appuyé à un « grand travailleur », un « homme qui était en avance sur son temps ».

 Christian Damiba, fils ainé du défunt : « Nous allons poursuivre son œuvre afin qu’il soit fier de nous… »

« Si je dois faire une analogie, je dirais que mon père était un baobab avec des racines solides, qui a étendu ses branches partout dans le monde et qui a donné des fruits pour ses enfants et tous les gens impactés. Aujourd’hui, ses fruits doivent prendre le relai pour continuer son œuvre. Le message que papa nous laisse est de toujours exploiter les capacités, le potentiel que Dieu nous a donnés pour les mettre au service des autres, surtout en tant qu’Africains. Pour lui, sans chercher à imiter les autres, chacun, à travers son propre chemin, peut impacter la société à tous les niveaux. Contrairement à ce que les gens pourraient penser, nous n’étions pas des gens « gâtés ». Papa nous a inculqués des valeurs de labeur, de travail bien fait, de sacrifice, de don de soi, l’amour de Dieu. Tout petits, lorsqu’il recevait des personnalités, des présidents, des ambassadeurs, etc. pour des diners à la maison, il nous invitait à table afin que nous puissions écouter ces sommités ; son objectif était de nous amener à comprendre le monde !

Ce qu’il a laissé comme héritage est énorme. Il nous a donné une éducation religieuse catholique, mais aussi il tenait à ce que nous connaissions nos traditions ! Il nous a inculqué le, patriotisme économique : aujourd’hui, lorsque je dépense mon argent, je veux qu’il aille chez un restaurateur burkinabè, africain ! Je ne considère pas son immense héritage comme un fardeau lourd à porter, mais plutôt comme un phare, une lumière qui éclaire le chemin, indique la bonne direction !

Papa était un homme en avance sur son temps, qu’il s’agisse de son pays ou de l’Afrique en général. Très jeune ministre sous Lamizana, il s’est très vite mis au travail, avec d’importantes réalisations à son actif qui ont impacté l’économie nationale, comme les routes, le chemin de fer, Air Burkina, etc. Très tôt, il a eu des idées innovantes pour son pays ; la prospective, la planification à long terme étaient sa spécialité.

Papa a mené le bon combat et Dieu lui a fait grâce ! Il est parti à l’âge de 87 ans, et jusqu’à la dernière minute, il n’a jamais cessé de travailler pour le bénéfice de son pays, de l’Afrique. Je retiens également l’impact de son action sur tous ces gans qu’il aidait avec plaisir, en termes de conseils, de transmission de ses connaissances, de prise en charges des scolarités des jeunes, etc. Nous allons poursuivre son œuvre afin qu’il soit fier de nous mais aussi que notre pays et l’Afrique en général soient également fiers de nous ! Qu’il repose en paix ! »

Président de la BOAD, Serge Ekué : « nous lui devons notre histoire, notre fondement d’institution de Développement… »

« Il était de mon devoir de venir à Ouaga, accompagné d’une délégation de la banque, afin de m’incliner devant la dépouille de M. Pierre-Claver DAMIBA, 1er Président de la BOAD. Nous devions témoigner soutien et solidarité à sa famille dans ses moments douloureux. L’héritage de feu le Président DAMIBA nous laisse admiratifs : nous lui devons notre histoire, notre fondement d’institution de Développement dont il a été le 1er Président, lui qui a imaginé son Siège en une structure endogène, reflétant la culture locale africaine ; ce grenier qu’il a fait sortir de terre ».

Zéphirin Diabré, homme politique et ancien ministre de l’économie des finances : « il a servi le Burkina, la sous-région et la communauté internationale avec un engagement et une compétence rarement égalés »

« Comme beaucoup de ceux qui l’ont connu et fréquenté, je suis animé par un sentiment d’immense tristesse. C’est une perte cruelle pour sa famille, pour notre pays et pour la communauté du développement. A sa famille et à surtout à ses enfants, je redis ici mes condoléances les plus attristées. Nous sommes tous création de Dieu et c’est à lui que nous retournons. Puisse le seigneur dans son infinie bonté lui pardonner ses péchés et l’accueillir auprès de lui en son royaume céleste pour son repos éternel.

Pierre Claver Damiba a eu un parcours professionnel très riche, au cours duquel il a servi le Burkina, la sous-région et la communauté internationale avec un engagement et une compétence rarement égalés. Ici au Burkina, il est le père de la planification du développement et de la prospective, visions façonnées et mise en œuvre lors de son passage au ministère de plan et des travaux publics de 1966 à 1971. Toujours au plan national, il a participé aux cotés de feu l’intendant Tiemoko Marc Garango, à la conception de la Caisse Nationale des Dépôts et des Investissements (CNDI) en 1973 dont il assuma brièvement la direction générale. 50 après, nous sommes revenus à leur idée. Au plan sous régional, lui, l’intendant Garango et d’autres sont les architectes de la création de la Banque Ouest Africaine de Développement dont l’importance aujourd’hui n’est plus à démontrer. C’est lui en tant que premier Président de 1975 à 1981, qui a imaginé et mis en œuvre le modèle financier et organisationnel de la banque.

Au plan international, il a œuvré quand il servait à la Banque Mondiale (1981-1983) pour que la Société Financière Internationale, bras armé de la banque mondiale pour le secteur privé, s’engage et finance le secteur privé africain, ce qui n’était pas le cas à l’époque. Aujourd’hui la SFI participe au capital de centaines d’entreprises du continent. En tant que Directeur du bureau Afrique du PNUD, il a été un artisan majeur de la réorientation des programmes de développement vers ce qu’on appelle aujourd’hui « la lutte contre la pauvreté ». C’est aussi dans

cette fonction qu’il s’illustra dans l’organisation des Tables rondes de bailleurs de fonds, qui consistait à mettre tous les partenaires d’un pays autour de la même table, chose qui ne se faisait pas auparavant. J’ai pu personnellement mesurer l’impact qu’il a laissé au bureau africain du PNUD lorsque j’ai rejoint l’institution en 1999 comme Directeur général adjoint. Tous les cadres du bureau Afrique que je rencontrais me disaient toujours COMBIEN ils avaient été impressionnés par l’intelligence, l’imagination et la capacité d’analyse de Pierre claver Damiba. Ils le citaient comme le meilleur des directeurs qu’ils aient eus. A la tête de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique de 1992 à 1994, il a beaucoup œuvré pour apporter des réponses innovantes au besoins en capacités émergents sur le continent. A cette immense contribution publique, il faut ajouter ce qu’il a apporté comme consultant international à la fin de sa carrière. Et j’en oublie sans doute. C’est donc au total une contribution immense et de qualité, qu’il a apporté à son pays, sa sous-région et au monde du développement.

Pierre Claver Damiba était incontestablement ce qu’on appelle « une intelligence ». Sa vivacité d’esprit est restée intacte malgré le poids de l’âge. Il a d’ailleurs été sollicité de par le monde pratiquement jusqu’il y a un an. Quelque part, je trouve dommage que les pouvoirs publics successifs de notre pays depuis les années 80, n’aient pas su trouver le moyen de mieux exploiter cette intelligence hors norme. C’est vraiment dommage. Certes nul n’est indispensable, mais tous les gens ne sont pas utiles au même niveau. »

Seglaro Abel Somé, économiste, ancien Ministre de l’économie, des finances et de la prospective : « Sa famille, le Burkina Faso, l’Afrique et le monde entier perdent un grand intellectuel »

 

« Des sentiments de tristesse teintés de fierté et d’admiration. Sa famille, le Burkina Faso, l’Afrique et le monde entier perdent un grand intellectuel ! Un esprit vif, alerte, un grand économiste, planificateur et prévisionniste hors pair comme on n’en rencontre pas couramment. Son affection, ses conseils et ses visions manqueront à ses proches et à la Nation entière. Il a été utile pour toutes les communautés qu’il a servies et pour cela, je pense que nous devons tous en être fiers. Il a joué sa partition avec brio sur cette terre et ma prière est que le Très Haut le reçoive auprès de lui. Personnellement, j’ai de l’admiration pour son parcours intellectuel et l’humilité dont il a constamment fait preuve dans les rapports que j’ai eus avec lui dans le cadre professionnel et familial.

Je retiens de Monsieur Pierre Claver DAMIBA, le grand travailleur avec des grands talents de conception, d’écriture et d’orateur persuasifs. Généralement, il y en a qui sont de bons orateurs mais ont une écriture moyenne et à l’inverse, il y a ceux qui écrivent bien mais sont de moins bons orateurs. Lui, il avait les deux qualités.

Les documents dont il est l’auteur sont très bien écrits. Clarté, pertinence, cohérence, densité et originalité notamment, les caractérisent tout comme ces qualités ont toujours transparu de ses exposés invariablement éloquents et convaincants. Ainsi l’ai-je vu à l’œuvre à partir de 2002, à travers ses prestations, en tant que consultant international, au profit du Centre d’analyse des politiques économiques et sociales (CAPES) où j’ai assumé le poste d’expert en économie des institutions. Il a été le véritable coach du traitement de la thématique du renforcement des capacités par le CAPES de 2002 à 2009, à travers sa conduite en 2002 de l’étude fondatrice sur le renforcement des capacités au Burkina Faso et son accompagnement de tous les travaux qui ont suivi (études, ateliers, conférences, séminaires…) jusqu’à l’adoption en 2009, par le Gouvernement, de la Politique nationale de renforcement des capacités (PNRC), sous l’initiative du CAPES. Il est celui qui nous a initié à la juste compréhension de la notion de « renforcement des capacités » par le concept de « compact », signifiant que le renforcement des capacités va au-delà de la formation et englobe en plus, les comportements, les systèmes, la logistique et les motivations. En d’autres termes, le renforcement des capacités a trois points d’entrée : les institutions, les ressources humaines et les ressources matérielles.

En mes qualités de Coordonnateur de la Cellule permanente du mécanisme institutionnel chargé de conduire le processus de révision du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), de juin 2009 à décembre 2010, de Secrétaire exécutif du Secrétariat technique national de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (STN/SCADD), de septembre 2011 à mai 2016, de Coordonnateur du Secrétariat technique du dispositif d’élaboration du Plan national de développement économique (PNDES) et de Président du Groupe de travail chargé de la préparation de la Conférence des partenaires du Burkina Faso pour le financement du PNDES, de mars à décembre 2016, je puis attester de ses apports substantiels à la l’élaboration des référentiels-clés d’orientation des politiques publiques nationales. Je veux parler de l’Étude nationale prospective (ENP) Burkina 2025, du CSLP, de la SCADD et du PNDES.

Je formule le vœu que l’œuvre de Monsieur Pierre Claver DAMIBA fasse l’objet d’une diffusion appropriée auprès des différents acteurs du développement national, ayant la conviction que son leg intellectuel, utilisé à bon escient, apportera une plus grande efficacité dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de nos politiques publiques. Et je reste disponible personnellement, pour y contribuer. »

Propos recueillis par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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