Etat d’urgence : « Cette mesure va rendre plus opérationnelles les FDS», col., Jean-Pierre Bayala

A l’issue du Conseil des ministres extraordinaire du 31 décembre 2018, le gouvernement burkinabé a décrété l’état d’urgence dans certaines parties du pays. Sidwaya a rencontré le magistrat-colonel à la retraite, Jean-Pierre Bayala pour s’imprégner des tenants et aboutissants de cette mesure.  

Sidwaya (S. 🙂 : Qu’est-ce que l’Etat d’urgence ?

Jean-Pierre Bayala (JPB 🙂 : L’Etat d’urgence est une situation de régime d’exception décrétée en cas de troubles graves ou de calamité publique. Tout comme les urgences dans les hôpitaux, ce sont des situations où il y a nécessité d’intervenir immédiatement afin de parer au plus urgent. A travers cette mesure, il s’agit de renforcer les pouvoirs des autorités civiles en matière de police. Bref, il s’agit de prendre des mesures urgentes parce que le pays est dans une situation de crise et de troubles.

S. : En quoi l’état d’urgence permet-il aux forces de défense et de sécurité d’être plus opérationnelles sur le terrain ?

JPB : L’élargissement et le renforcement de leurs pouvoirs d’agir vont sans nul doute contribuer à rendre plus opérationnelles les FDS dans leurs interventions sur le terrain. En effet, grâce à cette mesure celles ayant des rôles judiciaires, peuvent désormais faire des perquisitions à tout moment et à n’importe quelle heure chez toute personne sur laquelle pèsent des soupçons, mais surtout appréhender des individus suspects, sans recourir au procureur. Dans les normes, au-delà de 18 heures, on ne peut pas perquisitionner chez une personne et le temps des garde-à-vue est limité. Mais pendant l’état d’urgence, toutes ces procédures visant à garantir le respect des droits des prévenus sont ignorées. L’autre aspect positif de la mesure est la possibilité de neutraliser la personne suspectée lorsqu’on se rend compte qu’il s’agit d’un terroriste sans autre forme de procès.

S. : Les gens réclamaient depuis longtemps l’état d’urgence, pourquoi c’est maintenant que le gouvernement prend la décision ?

JPB : Je ne peux pas être formel sur le fait que la mesure est prise en retard. Mais il est évident qu’elle aurait pu être plus efficace au moment où les actions terroristes étaient encore concentrées dans le Nord et dans la province du Soum. Même si on se mettait à dos les habitants de la zone du fait des restrictions des libertés et autres effets sur leurs vies, cela ne concernerait qu’une portion du territoire contrairement aux six régions concernées aujourd’hui. On ne peut pas dire que c’est tard, parce dans les faits, il faut franchir certaines étapes pour passer à la prise de mesures fortes comme l’Etat d’urgence pour ne pas donner facilement l’impression aux terroristes qu’ils gagnent du terrain.

S. : Est-ce que cela signifie que nous avons perdu le contrôle de certaines zones concernées par la mesure ?

JPB : Ce n’est pas parce qu’on a décrété l’état d’urgence dans certaines zones qu’on a perdu leur contrôle. Les attaques deviennent de plus en plus récurrentes et de façon répétitive ; ce qui signifie que les assaillants disposent d’assez d’espaces pour entreprendre leurs initiatives. La décision vise à exercer une pression sur eux et réduire l’espace et les opportunités de préparer d’éventuelles attaques. Leur stratégie consiste à semer la psychose par  l’instauration de la terreur afin d’empêcher les populations de vaquer à leurs occupations compromettant ainsi le développement, car sécurité et développement sont intimement liés.  L’autre but poursuivi par les forces du mal est de provoquer une révolte des populations contre leurs dirigeants, toute chose qui les amènera à orienter leur œuvre de destruction vers les biens publics.

S. : On constate que les FDS tombent chaque fois sur des pièges tendus par des assaillants ; est-ce que nous ne tirons pas leçon de ce qui nous arrive ?

JPB. : Cela s’explique simplement par le fait que le mode jusque-là utilisé produit ses résultats sur le terrain. Comme nous n’arrivons pas encore à opposer une résistance à ce mode opératoire, les terroristes ne trouvent aucune nécessité de changer de tactique.

S. : Depuis l’annonce de cette décision le 31 décembre, certains crient à la victoire déjà ? Est-ce que l’Etat d’urgence est une panacée ?

JPB. : Non absolument pas. L’Etat d’urgence implique des mesures de restriction des libertés publiques avec l’institution des couvre-feux qui limitent les heures de circulations des citoyens. Il peut, au contraire, exacerber la situation sur le terrain, s’il n’y a pas une bonne communication entre les FDS et les populations des zones où la mesure est décrétée. Puisque les citoyens seront davantage enfermés chez eux conformément aux heures du couvre-feu, il est à craindre le pire, si les bénéficiaires de ces pouvoirs exceptionnels ne mettent pas un peu de professionnalisme dans leurs agissements, se détachant de certaines tares à l’origine de la perte de confiance des populations. Il faut amener les populations à comprendre que les FDS sont sur place pour leur sécurité et celle de leurs biens et non pas pour les « civiliser » comme le leur demandait le colon. Car seule la confiance avec les citoyens peut rendre plus opérationnels les renseignements et permettre de déjouer des attaques.  Comme on le dit dans le jargon militaire, la guerre se gagne à 95% par le renseignement.

S. : Au Mali, l’Etat d’urgence avait été décrété par les autorités mais cela n’a pas changé grand-chose à la situation. Quelles sont les conditions à réunir pour rendre la mesure efficace sur le terrain ?

JPB. : Le terrorisme est un phénomène qui a un lien avec la mentalité et le comportement.  Changer de mentalité est une œuvre de longue haleine qui nécessite une certaine patience. Aussi, il faut une prise de conscience sur le fait que nous sommes en guerre. Car même si elle est asymétrique, cela ne  tient qu’au fait que les combattants ne se voient pas et ne se connaissent pas. Il faut préalablement établir un climat de confiance entre militaires et populations civiles pour agir en symbiose et espérer atteindre les résultats escomptés.

S. : En représailles aux attaques ayant coûté la vie à six personnes y compris le chef de village à Yirgou, un affrontement entre communautés a fait également plusieurs morts dans le Centre Nord. Est-ce qu’on n’est pas en train  de glisser sur le terrain des conflits communautaires comme c’est le cas au Mali ?

JPB. : Oui, malheureusement ! Les risques de glisser sur le terrain des affrontements entre communautés ont toujours existé. Mais aujourd’hui, s’en prendre aux peulhs comme ce fut le cas à Yirgou dans la comme de Barsalogo, au motif qu’ils sont complices des terroristes est grave et suicidaire pour la vie en communauté. La réaction des habitants est peut-être humaine, mais il fallait à tout prix la contenir. A mon humble avis, dans le contexte actuel, il faut un regain de nationalisme au Burkina Faso.

Entretien réalisé par Beyon Romain NEBIE

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