Grossesses non désirées dans les zones non-loties: des rêves brisés par l’ignorance et la précarité

Selon la sage-femme de l’ABBEF, Amida Sama …

Dans les quartiers périphériques de la capitale burkinabè, Ouagadougou, les grossesses non désirées ruinent l’avenir de nombreuses adolescentes. Entre ignorance, pauvreté et absence d’éducation sexuelle, des destins s’éteignent avant même d’avoir commencé. Bien que les efforts de prévention commencent à porter fruit, le phénomène demeure un véritable fléau social.

Jeudi 25 septembre 2025. A quelques jours de la rentrée scolaire, M.O., 18 ans et élève en classe de Terminale D, a l’esprit ailleurs. Assise à l’ombre d’un arbre, dans le quartier Tabtenga de Ouagadougou, son regard est figé sur l’écran de son téléphone. Depuis des jours, elle scrute les réseaux sociaux, cherchant désespérément un nom, un profil et un signe de A.S., rencontré trois mois plus tôt en ligne. Leur brève idylle a porté fruit : M.O. est enceinte. Mais depuis qu’elle lui a annoncé la nouvelle, à la mi-août 2025, l’aide-maçon s’est volatilisé. Plus d’appel, plus de message.

Il est injoignable au téléphone, ses comptes sur les réseaux sociaux, introuvables. M.O. paie ainsi le prix de son ignorance des méthodes contraceptives. Abandonnée par son copain, désormais toute seule, elle ne sait comment s’occuper d’une grossesse. Aujourd’hui, M.O. redoute encore plus que ses parents découvrent sa grossesse. Elle craint d’être expulsée du domicile familial. « Si on me chasse, je n’ai nulle part où aller. Je ne sais comment m’occuper toute seule d’une grossesse. Je n’en ai pas les moyens. Pour mes études, c’est fini. Tout ça, parce que je n’ai utilisé aucun contraceptif. A.S. aussi ne s’est pas protégé », lâche-t-elle, la voix nouée. Son ambition c’était pourtant de devenir comptable, mais ce rêve semble désormais s’effriter.

Un phénomène perturbateur »

… plusieurs méthodes contraceptives sont mises à la disposition des jeunes.

La problématique des Grossesses non désirées (GND) chez les jeunes, notamment en milieu scolaire reste entière. « Malheureusement, nos écoles enregistrent toujours des cas de GND, souvent liées à une sexualité précoce », alerte le Dr Denis Vimboué, directeur régional de l’enseignement secondaire et de la formation professionnelle et technique du Kadiogo. Il décrit ce phénomène comme « relativement perturbateur » du cursus scolaire de la jeune fille, expliquant que, quelle que soit la période de la survenue d’une grossesse, elle perturbe inévitablement l’année scolaire de l’élève, étant donné que la gestation dure neuf mois.

Dr Alfred Tapsoba, médecin-chef du Centre médical avec antenne chirurgicale Sagltaaba, appartenant à l’Association Sagltaaba pour l’épanouissement de la femme et de la jeune fille (ASEEFF), estime que les GND perdurent en raison d’un environnement « très sexualisé » et de l’accès libre à Internet. Selon lui, les adolescents, équipés de smartphones, sont exposés à des contenus inadaptés.

Il souligne aussi l’influence des pairs : à l’école, certains jeunes relatent leurs
expériences, poussant les autres à expérimenter.Simon Yaméogo, chargé du partenariat et de la gouvernance à l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF) partage cette inquiétude. Il ajoute que malgré les efforts de sensibilisation menés par le gouvernement et ses partenaires, les GND continuent de miner le quotidien des jeunes. « Elles détruisent encore trop de vies », insiste-t-il.

Selon l’annuaire statistique du ministère en charge de l’éducation nationale, 8 452 cas de grossesses en milieu scolaire ont été enregistrés au cours de l’année scolaire 2019-2020. 52 % des filles concernées étaient âgées de plus de 18 ans, tandis que 45,5 % avaient entre 15 et 18 ans. Les adolescentes de moins de 15 ans représentaient 2,6 % des cas. Durant la même période, les établissements scolaires de la région du Kadiogo ont enregistré 531 cas de GND, estime Dr Vimboué.

« Si seulement,j’utilisais un contraceptif »

« Malheureusement, nos écoles enregistrent toujours des cas de GND », alerte le Dr Denis Vimboué, directeur régional de l’enseignement secondaire du Kadiogo.

Pour Simon Yaméogo, la situation est encore plus alarmante dans les quartiers périphériques où les jeunes filles sont davantage exposées. Le chargé de partenariat et de la gouvernance de l’ABBEF parle de « phénomène très criant » dans les zones
péri-urbaines de la capitale burkinabè. « De nombreuses conditions n’y sont pas réunies, ce qui explique que cette population soit beaucoup plus exposée », poursuit Simon Yaméogo. Dr Denis Vimboué renchérit que les enfants vivant dans ces quartiers sont particulièrement vulnérables. Ils ne sont pas à l’abri des scènes qui peuvent déclencher des comportements à risques, notamment en matière de sexualité précoce.

A Ouidtenga, un quartier en périphérie de Ouagadougou, les habitations de fortune, souvent sans clôture, laissent transparaître une promiscuité et une précarité. Orpheline, F.S. y vit chez un ami de son défunt père. ll y a quatre ans, une grossesse non désirée a mis un terme à son parcours scolaire, son rêve d’enseigner avec. Agée à l’époque (en 2021) de 15 ans et inscrite en cours du soir en classe de 6e, la jeune fille s’éprend d’un autre « élève », B.S., un commerçant d’une trentaine d’années, en classe de 3e. « Il s’occupait de moi, me donnait l’argent de poche et m’offrait des cadeaux.

Il m’a dit qu’il voulait que je lui fasse un enfant, comme la preuve de mon amour pour lui », raconte-t-elle, le regard fuyant, la voix rauque. Naïve et vulnérable, F.S. cède à ses avances. Quelques semaines plus tard, les premiers signes de grossesse apparaissent : vertiges, nausées, fatigue … Informé, son « prince charmant » réfute toute responsabilité, abandonnant la jeune fille à son triste sort. Avec 4 ans maintenant, Saoudata, la fille née de cette grossesse, grandit sans avoir connu son père biologique. Sa mère, F.S., n’a jamais pu obtenir de reconnaissance de paternité de la part de B.S. Une situation qui complique l’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, pourtant indispensable pour son avenir civique, administratif et scolaire.

« Si seulement, j’utilisais un contraceptif, je n’aurai jamais connu cette honte », dit-elle.
Dans les zones à habitats spontanés communément appelées « non loties », les GND sont un problème majeur de santé publique, exacerbées par la vulnérabilité et l’ignorance des jeunes filles, explique Karim Ouédraogo, ancien conseiller municipal de Toudbwéogo, un quartier non loti de Ouagadougou.

Vulnérables et ignorantes

Il précise que de nombreuses filles, scolarisées ou déscolarisées, déjà actives sexuellement, ne se mettent pas sous contraception. Etant issues de familles démunies, plusieurs hommes profitent de leur précarité, assène M. Ouédraogo, un jeune très engagé pour la promotion des droits de santé sexuelle et de reproduction dans ce quartier
périphérique. « Plusieurs jeunes vivant dans les zones non loties n’ont pas accès à l’information sur la planification familiale.

Les campagnes de sensibilisation menées par les associations se limitent généralement aux quartiers du centre-ville », regrette Karim Ouédraogo. Il déplore également l’absence ou le fonctionnement à minima de centres d’écoute ou d’espaces dédiés, où les jeunes pourraient se rendre en toute discrétion pour recevoir des conseils adaptés et choisir une méthode contraceptive qui leur convient.

Des propos confirmés par Simon Yaméogo de l’ABBEF. Il évoque, de son côté, la méconnaissance de l’existence et/ou la mauvaise utilisation des contraceptifs. « Il y en a qui ne savent même pas qu’il faut se protéger lors des rapports
sexuels. D’autres le savent mais ne savent pas comment le faire », soutient-il.

Des pesanteurs socioculturelles

Quant à Amida Sama, sage-femme à la clinique de l’ABBEF, elle pointe du doigt l’inaccessibilité de certains établissements scolaires, notamment en zones péri-
urbaines, lors des campagnes de sensibilisation. A cette contrainte s’ajoutent, selon elle, des pesanteurs socioculturelles, comme le refus ou la réticence des parents face à

Le médecin-chef au CMA Sagltaaba, Dr Alfred Tapsoba : « la contraception relève d’abord d’un droit fondamental ».

l’éducation sexuelle de leurs enfants. « Nous refusons parfois de voir les enfants grandir. Nous persistons à croire qu’un enfant reste un enfant. Or, celui-ci grandit et commence à comprendre les réalités de la vie. Il est donc crucial d’en discuter avec lui. Tout comportement ou toute manière d’être est la conséquence d’une action éducative ou de son absence. Si l’enfant est abandonné, il adoptera un certain type de comportement. S’il est conseillé, cela ne garantit pas le succès pour tous, mais c’est essentiel », renchérit Dr Denis Vimboué.

Le médecin-chef du CMA Sagltaaba, Dr Tapsoba Alfred, souligne également le manque d’éducation sexuelle au sein des familles. Selon lui, la majorité des parents,
absorbés par leurs activités quotidiennes, n’ont pas le temps d’aborder ces sujets avec les progénitures. « L’adolescent se tourne vers les réseaux sociaux ou ses camarades pour découvrir la sexualité. En voulant essayer pour voir ce que ça donne, beaucoup se retrouvent confrontés à une grossesse non désirée », regrette-t-il.

Agée de 15 ans, C.C., élève en classe de 4e, vend des fruits de saison dans les rues de Toudbwéogo pendant les vacances. Entretenant une relation amoureuse avec K.T., 27 ans, elle se rend régulièrement chez ce dernier, avec qui elle a des rapports intimes. Lorsqu’elle se confie à sa mère et lui exprime son désir de se mettre sous contraceptif, comme lui a recommandé une amie, sa génitrice se braque.

Mais l’aventure de C.C. et K.T. prend une autre tournure après plusieurs mois, quand le jeune, sans emploi, se rend sur un site d’orpaillage pour tenter sa chance. Peu après son départ, C.C. constate l’absence de ses menstrues. Au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), le diagnostic confirme sa grossesse de deux mois. Contacté par téléphone, K.T. reconnaît la paternité … mais, met brutalement fin à leur relation. Désormais pleine d’amertume, C.C. ne s’en cache point :
« J’aurais dû placer un contraceptif ».

La contraception, un rempart

La sage-femme de l’ABBEF, Amida Sama, atteste effectivement que l’adoption de méthodes contraceptives aurait évité à C.C. et à de nombreuses autres jeunes filles, de tomber dans le piège des grossesses non désirées. « La conception est un moyen efficace pour réduire les GND. Nous offrons des services de planification familiale. Il s’agit de l’offre
des méthodes contraceptives, disponibles gratuitement pour tous les jeunes », fait savoir Mme Sama. Elle cite, entre autres, le stérilet ou les dispositifs intra-utérins, la pilule contraceptive, l’implant. Du même avis, Dr Alfred Tapsoba va plus loin : « la contraception relève d’abord d’un droit fondamental. Chacun (e) doit avoir accès à une information claire pour choisir librement la méthode qui lui convient ».

Au CMA Sagltaaba, poursuit le médecin-chef, les agents de santé sensibilisent aux différentes options de planification familiale, en tenant compte du statut et des besoins de chaque personne afin de favoriser un choix réellement éclairé. « La contraception fait partie des solutions pour réduire les GND. Confrontés à une hyper-sexualisation et à une sexualité précoce, les méthodes contraceptives jouent un rôle essentiel chez les jeunes. Elles permettent, à la fois, de prévenir les infections sexuellement transmissibles et de limiter les risques de GND », argue le médecin généraliste.

Le chargé du partenariat et de la gouvernance à l’ABBEF, Simon Yaméogo, estime que les jeunes filles des quartiers non lotis sont plus exposées aux GND.

Rencontrée dans un centre de santé privé, à Nioko 2, T.S. ne souhaite pas connaitre le sort de ses consœurs qui ont été victimes de GND. En complicité avec son copain, la collégienne est venue se mettre sous contraceptif. « A la rentrée, je ferai la classe de 3e. Je ne souhaite pas qu’une grossesse vienne stopper mes études », déclare l’adolescente.

De 1 101 cas en 2018-2019, à 365 cas en 2023-2024

En plus de l’adoption de contraceptions, Simon Yaméogo de l’ABBEF plaide pour une réelle implication des parents dans l’éducation sexuelle des jeunes filles. A l’image de M.O., F.S., … il a vu les vies de plusieurs filles brisées, suite à des GND, avec son lot de déscolarisation, de stigmatisations, d’abandons, d’avortements.

C’est le cas de D.I., aide-ménagère. Sa vie a basculé lorsqu’elle est tombée enceinte de E.O. En pleine année scolaire alors qu’elle est en 3e, et expulsée du domicile familial, elle est obligée de se rendre dans le village de E.O. pour accoucher. « Depuis lors, je n’ai plus mis les pieds dans une classe », dit-elle, priant les jeunes filles de s’éduquer
sexuellement. Le gouvernement et ses partenaires, incluant diverses
associations, dont l’ABBEF et l’ASEEFF, intensifient leurs efforts pour réduire les GND. Ces actions se concrétisent par des activités péri et parascolaires, notamment à travers des journées socioculturelles et des séances de sensibilisation par des théâtres-fora organisées au sein des établissements.

Selon le directeur régional de l’enseignement secondaire du Kadiogo, Dr Denis Vimboué, ces campagnes de sensibilisation portent leurs fruits, comme en témoigne la « tendance à la baisse » des GND dans la région, passant de 1 101 cas durant l’année scolaire 2018-2019, à 365 cas durant la période de 2023-2024. Malgré cette avancée significative, Dr Vimboué insiste sur le fait que 365 cas restent encore trop nombreux, car la scolarité de ces élèves est menacée. « C’est une avancée, mais ce chiffre reste élevé. L’objectif est d’atteindre zéro cas. Tant qu’un seul cas persiste, la mission d’éducation n’est pas remplie », martèle Dr Vimboué. Il rappelle que les GND peuvent engendrer des difficultés socio-économiques majeures et causer la perte de talents essentiels au développement du pays. Il appelle donc à une mobilisation générale, soulignant qu’un enfant mal encadré est exposé aux dérives.

Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com

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