Insertion des malades guéris de la lèpre : ces centres d’accueil qui prolongent la vie des patients

Depuis les années 1970, la léproserie Saint Camille de Paspanga accueille les malades guéris de la lèpre. Ce centre a fait de la réinsertion sociale de cette frange de la population, son cheval de bataille. Même lorsqu’ils parviennent à guérir de cette maladie, la réinsertion sociale est souvent difficile du fait de l’exclusion de la société. Ainsi, la majeure partie des patients du pensionnat n’a pas l’intention de retourner dans leur milieu d’origine. Ils disent avoir trouvé une nouvelle famille au sein de laquelle, ils ne se sentent pas stigmatisés. Constat !

Il est 13 heures 30 minutes à la léproserie Saint-Camille de Paspanga à Ouagadougou, l’un des deux centres d’accueil des anciens malades de la lèpre, en cette journée du mardi 19 juillet 2023. Par un beau temps du fait d’une pluie tombée la veille, deux agents de santé soignent les plaies d’un patient et les autres attendent patiemment leur tour. Les occupants de ces lieux appartenant à l’Eglise catholique sont toutes des personnes guéries de la lèpre mais la maladie a laissé des lésions cutanées au niveau des doigts et des pieds nécessitant des soins. Dans la cour du centre, certains pensionnaires, assis en petits groupes d’entretien et de causerie, échangent sous des hangars. D’autres encore sont couchés sur de petites nattes ou dans les dortoirs avec des portes entrebâillées. Karim Ouédraogo est pensionnaire du centre. Originaire de Gourcy, province du Zandoma, région du Nord, il n’entend pas quitter de sitôt le centre parce qu’il lui est difficile de faire face à ses charges élémentaires, notamment alimentaires, de location de maison et autres nécessités. « C’est difficile pour moi, la maladie m’a laissé des séquelles handicapantes pour toute la vie, m’empêchant ainsi de travailler pour subvenir à mes besoins », confie-t-il. Il déplore également que depuis qu’il a contracté la lèpre, plusieurs de ses connaissances l’évitent, y compris ses parents.

Le chargé de l’aumônerie de la léproserie Saint-Camille de Paspanga, le frère Pierre-Marie Bulgo : « Nous voulons donner à nos amis le mieux-être ».

« J’ai appelé mon grand frère pour m’assister au cours de l’intervention chirurgicale pour l’amputation de mon pied gangréné mais il a brillé par son absence », affirme Karim Ouédraogo. Puis, de préciser que cela fait 4 ans que ce dernier ne lui a pas rendu visite. Comme si cela ne suffisait pas, il a été aussi abandonné par sa tendre épouse. « Mon handicap fait que je suis contraint parfois d’aller mendier les matins. Cela m’embête, mais je ne sais pas comment faire pour me nourrir. Ce n’est pas facile », dit-il avec gêne. Son brin d’espoir vient du fait que certains de ses amis volent parfois à son secours. « Ce sont mes anciens collaborateurs, des ouvriers qui me donnent parfois 2 000, 5 000, 10 000 voire 15 000 F CFA pour m’accompagner », renchérit-il. En sus, M. Ouédraogo loue le soutien de l’Eglise catholique à son endroit. D’après lui, cela fait plusieurs années qu’il loge dans le centre gratuitement. Toutes les deux semaines, il reçoit des vivres tels que du riz et autres céréales. Et c’est aussi la maison d’accueil qui l’aide pour ces problèmes de santé. « Les doigts coupés et estropiés, je vis entièrement de l’aide des responsables de la léproserie qui sont devenus mes parents. Sans eux, je ne serai pas en vie actuellement », se convainc-t-il.

Plus de 50 ans au service des nécessiteux

Pascal Kaboré, malade guéri de la lèpre : « Certes, j’ai des infirmités aux mains et pieds mais cela n’est pas une fatalité ».

Koulga Compaoré, une dame de 87 ans et originaire de Zemgogo, dans le Bazèga (Kombissiri) vit pratiquement la même situation. De son avis, cela fait près de 20 ans qu’elle vit dans ce centre où elle bénéficie de la nourriture et des soins médicaux. Mère de plusieurs enfants qui viennent par moments lui rendre visite, Mme Compaoré confie avoir quitté les siens pour vivre au centre parce que les conditions y sont réunies pour le bon-vivre. « Nous avons tous pratiquement les mêmes handicaps. Il n’y a pas d’exclusion ici. Nous avons tous le même train-train quotidien », explique-t-elle. Guiba Barry, 60 ans, mère d’un enfant, est ressortissante de Salgo dans le Ganzourgou (Zorgho). Elle déclare aussi avoir choisi de rester dans ce pensionnat de Saint Camille. « Je suis incapable de travailler pour me nourrir à cause de mes doigts mutilés. Je bénéficie des largesses de mes hôtes, loin des regards stigmatisants des autres », précise-t-elle. Quant à Timbila Yogo, 74 ans, natif de Baskouda, une localité de la commune rurale de Mané, il soutient être guéri de la lèpre mais continue de soigner les lésions aux pieds. Comme les autres, il bénéficie de l’aide pour son épanouissement.

Le religieux camilien, en charge de l’aumônerie de la léproserie Saint Camille de Paspanga, le frère Pierre-Marie Bulgo, explique que sa structure a pour but d’aider les anciens malades de la lèpre pour leur réinsertion sociale depuis plus de 50 ans. A l’écouter, la plupart des malades venaient des provinces pour se soigner à Ouagadougou parce que la prise en charge n’était pas suffisamment décentralisée, comme il est constaté aujourd’hui. De plus, M. Bulgo laisse entendre que parfois sans résidence, ces patients sont accueillis à la léproserie pour les soins. La maladie étant handicapante et avec le regard des autres, la réinsertion n’était pas toujours évidente pour tous, précise le frère Bulgo. « Compte tenu du fait que les concernés sont invalides, il leur est octroyé une aide alimentaire via le concours de certaines institutions, comme le Cathwel », affirme-t-il. Présentement, Saint Camille dispose de deux sites d’accueil : le site de Paspanga et celui de Sakoula. Le site de Paspanga héberge 17 anciens malades et le site de Sakoula, une quinzaine. De l’avis de l’homme de l’Eglise, en dehors des occupants des deux centres, il y a ceux qui ont réussi à réintégrer leur milieu social et ne reviennent au centre que quand il y a des activités.

Des AGR pour les pensionnaires

Au sujet des handicaps, les patients ont par moments les doigts et les orteils rétractés ou coupés, d’autres ont été amputés et quelques-uns d’entre eux se déplacent grâce à des prothèses. Une telle situation fait qu’ils ne peuvent pas mener un certain nombre d’activités, explique le responsable du centre, le frère Pierre-Marie Bulgo. Une frange n’arrive pas à pratiquer une quelconque activité du fait des handicaps assez prononcés. A entendre le frère Pierre-Marie Bulgo, l’insertion socioprofessionnelle de ces malades guéris de la lèpre s’entend « théoriquement » en termes de développement d’Activités génératrices de revenus (AGR) à leur profit. Mais il avoue que la léproserie rencontre des difficultés dans son opération. Malgré cette situation, dit-il, certains bénéficiaires de l’aide se battent pour réussir dans les activités de l’agriculture, l’élevage et surtout la culture maraichère. Toujours dans le cadre de l’insertion de ces cas guéris « qui connaissent une certaine vulnérabilité sociale », il confie que l’Eglise catholique a fait des aménagements sur le deuxième site à Sakoula afin de les accompagner. Ce site de 8 hectares aménagés abrite deux châteaux d’eau alimentés par deux forages, deux bassins et deux poulaillers. Des personnes vivent avec leurs familles dans des maisons électrifiées. En plus des habitants du site, environ 25 autres personnes externes interviennent sur les lieux. Elles pratiquent la culture maraichère, l’élevage des petits ruminants. Pour booster leur capacité de production, ils ont reçu du matériel de jardinage et des semences. D’après Pierre-Marie Bulgo, la plupart des pensionnaires pratiquent le jardinage.

Selon Seydou Diallo, sans l’aide des autres, il allait mendier pour vivre.

La structure des Camilliens agit beaucoup plus à Ouagadougou. Elle n’a pas d’actions particulières dans les autres provinces du Burkina Faso, même si ses activités caritatives concernent toute personne sans distinction d’origine, de religion ou d’ethnie. Selon M. Bulgo, certains malades, une fois dans l’un des centres d’accueil, trouvent parfois que l’environnement est agréable pour leur existence. Pour ce faire, ils y restent pour éviter la stigmatisation dont ils sont victimes chez les siens. C’est ce qui explique, selon lui, la présence de certains dans ces lieux depuis 30 ans et qui ne sont pas prêts de repartir car ils ont trouvé une famille, un autre monde où il fait bon vivre. Seydou Diallo, âgé de 73 ans, handicapé moteur, est l’un d’entre eux. Ressortissant de Déou, une localité du Sahel burkinabè, il dit être venu dans le centre d’accueil de Sakoula à cause de l’altruisme des propriétaires. « Je vis ici avec ma femme et mes deux enfants. Regardez-moi. J’ai été invalidé par la lèpre. Sans l’aide des autres, je ne peux pas travailler pour subvenir à mes besoins », explique-t-il. A l’entendre, sa famille fait le jardinage et l’élevage de petits ruminants pour subvenir à ses besoins. Cependant, il déplore le fait que leur culture maraichère soit exposée aux animaux en divagation car l’espace n’est pas clôturé.

Organiser les victimes de la lèpre

Seydou Diallo appelle donc les bonnes volontés à appuyer les Camilliens pour la construction d’une clôture. Par ailleurs, il déplore que la pression exercée par un nombre élevé d’utilisateurs entraine une pénurie d’eau qui ne contribue pas à un développement efficient des productions. Valérie Kaboré, mère de 4 enfants, venue de Ziniaré, dit avoir rejoint son mari dans le centre d’accueil. « La maladie l’a handicapé et il ne peut plus travailler », témoigne-t-elle. Elle produit dans cet espace de la laitue, de la courge, de l’ aubergine, du chou, du piment et de l’oignon. Pour elle, la vente de ces légumes et l’aide octroyée par la structure hôte permettent de faire face aux dépenses financières de sa famille. « Nous rendons grâce à Dieu pour cet accompagnement inestimable. Il nous évite d’aller mendier pour vivre », reconnait-elle. Quant à Kouka Sawadogo, un autre habitant du centre, il déclare être accompagné depuis 30 ans. Il est le chef d’une famille de six personnes. En saison sèche, il produit les légumes pour les vendre sur les marchés de la place et en hivernage, il cultive de l’arachide, du sorgho et d’autres céréales. Il remercie la léproserie Saint Camille pour l’avoir sorti de la misère car par son action, il arrive à se prendre en charge. Il en est de même pour Amadé Sawadogo qui a d’abord résidé au centre de Paspanga où il faisait du jardinage non loin des berges du barrage n°3 de Tanghin. Mais avec les capacités réduites de l’espace, il s’est déporté à Sakoula où un site est aménagé pour pratiquer le jardinage. Malgré ses doigts et orteils coupés, M. Sawadogo mène un combat pour sa survie avec le soutien des religieux.

Les malades guéris de la lèpre cultivent de la laitue et des légumes à Sakoula.

Contrairement aux pensionnaires des centres, Pascal Kaboré est chez lui à Dapoya. Guéri de la maladie, il garde des séquelles (infirmité aux mains et plaies aux pieds) qu’il continue de soigner grâce à la léproserie. Il gère une échoppe de vente de carburant et d’huile. En sus, il fait le lavage de motocyclettes. Pour booster ses activités, M. Kaboré assure avoir reçu des Camilliens, un kiosque d’une valeur de 250 000 F CFA. Le centre a également promis à M. Kaboré une somme de 200 000 F CFA afin de renforcer son travail dont il a entamé la procédure. La dermatologue vénérologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sanou Sourou de Bobo-Dioulasso, Dr Yéri Lydie Tioyé affirme qu’elle n’a pas connaissance d’un centre d’insertion sociale à Bobo-Dioulasso et régions environnantes, à l’image de ceux de Ouagadougou. A ce titre, elle préconise d’organiser les acteurs concernés en association pour permettre de mener des actions dans ce sens. « Cette frange de la population a besoin d’être appuyée pour lui permettre de jouer son rôle socialement », plaide-t-elle.

Evariste YODA

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