Jules Tapsoba, Secrétaire exécutif du FAFOA: « L’essor de l’économie numérique pose de nouveaux défis pour les administrations fiscales du monde »

Le secrétaire exécutif du FAFOA, Jules Tapsoba : « le FAFOA doit aider ses membres à adapter leurs systèmes fiscaux aux réalités de l’économie numérique afin de ga- rantir une taxation équitable des entreprises du numérique ».

Economiste et expert fiscaliste, précédemment conseiller spécial du Premier ministre du Burkina sur les questions de finances publiques et ex-assistant technique et coordinateur du Programme d’appui à la transition fiscale en Afrique de l’Ouest (PATF), Jules Tapsoba, est depuis septembre 2024, le secrétaire exécutif du Forum des administrations fiscales ouest-africaines (FAFOA/WATAF). Membre du groupe d’experts du FMI et consultant pour de nombreuses institutions internationales comme la Banque mondiale, l’Union européenne, l’UNICEF, USAID… M. Tapsoba totalise plus d’une vingtaine d’années d’expériences en finances publiques, fiscalité et relations économiques internationales. Dans cette interview accordée à Sidwaya, il revient, entre autres, sur sa mission et les défis qu’il est appelé à relever à la tête du FAFOA/WATAF, le rôle de la coopération entre les administrations fiscales dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et les flux financiers illicites.

Sidwaya (S) : Cela fera environ 8 mois qu’à la suite de votre nomination, vous avez été porté à la tête du secrétariat exécutif du Forum des administrations fiscales ouest-africaines (FAFAO). Quelles sont vos missions ou attributions à la tête de cette organisation sous-régionale ?

Jules Tapsoba (J.T) : Avec ma nomination au poste de secrétaire exécutif du FAFOA, je passe d’un rôle d’expert technique à un rôle de leadership, assumant ainsi la responsabilité de diriger et de gérer l’ensemble du Secrétariat. Mes nouvelles attributions comprennent la représentation du FAFOA sur la scène internationale, la gestion des ressources humaines et financières, et la mise en œuvre du plan stratégique et des plans opérationnels de l’organisation sous-régionale pour un fonctionnement optimal au profit des 16 Etats membres du FAFOA.

Pour ce qui est de l’organisation, elle est indépendante et a pour mission de promouvoir une administration fiscale efficace et efficiente dans les Etats de l’Afrique occidentale. Je tiens à préciser que le FAFOA couvre toute l’Afrique de l’Ouest y compris la Mauritanie, car très souvent certains acteurs le confondent à un démembrement de la CEDEAO. Le FAFOA travaille à l’amélioration de la coopération entre les administrations fiscales ouest-africaines, à l’échange de bonnes pratiques, à l’amélioration des performances et à la définition d’une orientation stratégique pour les administrations fiscales de la région.

Les principaux objectifs du FAFOA sont, entre autres, encourager une collaboration étroite et le partage d’informations entre tous les Etats membres en vue d’améliorer la qualité de l’administration fiscale, veiller à ce que tous les Etats membres de l’Afrique de l’Ouest s’expriment d’une seule voix sur les questions de politique et d’administration fiscales dans le cadre du Forum africain sur l’administration fiscale (ATAF) et d’autres organisations fiscales internationales, œuvrer pour que les besoins et les expériences des Etats membres soient pris en compte dans les décisions prises par les organisations des administrations fiscales aux ni- veaux international et multilatéral, travailler avec les institutions sous-régionales pour disposer de structures efficientes dédiées à la fiscalité.

Le FAFOA a été créé le 12 septembre 2011 à Abuja, au Nigeria. Au-delà du renforcement des capacités de ses membres, il vise l’amélioration des services aux usagers pour un développe- ment inclusif des pays d’Afrique de l’Ouest. Cela signifie que le secteur privé qui est le moteur de la croissance économique occupe une place dans la gestion du partenariat de l’organisation. Le FAFOA est ouvert à tous les pays de l’Afrique de l’Ouest en qualité de membres, mais également à toute adhésion de pays en dehors de l’Afrique de l’Ouest en tant que membres associés.

Les partenaires au développement peu- vent être aussi membres du FAFOA. Pour adhérer au Forum, il suffit de ratifier l’Accord, de payer sa contribution annuelle et de participer activement aux activités du FAFOA. A ce jour, les pays membres du FAFOA sont : le Burkina Faso, le Bénin, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo.

S : Vous êtes le premier secré- taire exécutif francophone du FAFOA. Comment êtes-vous arrivé à ce poste ?

J.T : J’ai été désigné comme secrétaire exécutif du FAFOA à la suite d’un processus de recrutement qui s’est déroulé en mars- août 2024, sous la conduite du secrétariat exécutif et du conseil du FAFOA. A la fin du processus, mon recrutement a été validé par l’Assemblée générale du FAFOA/WATAF. Ma nouvelle mission est prévue pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Le processus de nomination du Secrétaire exécutif est géré par le conseil du FAFOA.

S : Pour accéder à ce poste, avez- vous bénéficié de l’appui des autorités du Burkina Faso, votre pays d’origine ?

J.T : Bien évidemment! Dans mon discours d’acceptation prononcé à Bissau, en Guinée Bissau, j’ai remercié Mme Eliane Djiguemdé, directrice générale des impôts du Burkina pour le soutien et le suivi du processus de recrutement entamé depuis le mois de mars 2024. Pour mon tout premier voyage dans la région en tant que secrétaire exécutif du FAFOA, je me suis rendu à Ouagadougou, en octobre 2024, pour témoigner toute ma gratitude et ma reconnaissance au ministre de l’Economie et des Finances, Dr Aboubacar Nacanabo, qui n’a ménagé aucun effort malgré son emploi du temps très chargé pour nous recevoir et nous donner des conseils pour le succès des actions du FAFOA dans la région.

Nous avons également bénéficié du soutien remarquable du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération pour l’exécution des activités du FAFOA/WATAF à Ouagadougou et dans la sous-région. Les autorités burkinabè nous ont apporté des soutiens multiformes, à travers, entre autres, les recommandations officielles au- près du secrétariat exécutif du FAFOA, la mise en avant de mon expertise et de mes expériences auprès des autres Etats membres en Afrique de l’Ouest, les démarches administratives pendant le processus de candidature.

S : Quels sont les principaux défis à court, moyen et long terme du FAFOA ?

J.T : Vous me posez une question multidimensionnelle. Comme toute organisation humaine, le FAFOA est confronté à un certain nombre de défis qui peu- vent être catégorisés en court, moyen et long terme. A court terme, les défis sont l’exécution efficace du plan de travail, la participation active des membres aux comités créés et aux activités, le paiement des contributions annuelles pour tous les Etats membres et le renforcement des relations avec les partenaires.

A moyen terme, les défis portent sur l’harmonisation des politiques fiscales en Afrique de l’Ouest, le développement d’outils régionaux pour faciliter l’administration de l’impôt, la lutte contre l’évasion fiscale et les flux financiers illicites, la fiscalité de l’économie numérique. Il faut noter que l’essor de l’économie numérique pose de nouveaux défis pour les administrations fiscales du monde entier. Le FAFOA doit aider ses membres à adapter leurs systèmes fiscaux aux réa- lités de l’économie numérique afin de garantir une taxation équitable des entreprises du numérique.

Pour ce qui concerne les défis à long terme, on peut citer la transformation digitale des administrations fiscales, le renforcement des capacités et de l’expertise régionale, la promotion d’une coopération fiscale internationale plus équitable. Le FAFOA doit s’engager dans la promotion d’une coopération fiscale internationale plus équitable, notamment en ce qui concerne la fiscalité des entreprises multinationales.

En collaboration avec l’ATAF et l’Union africaine, il doit travailler avec tous ses partenaires internationaux pour défendre les intérêts des pays d’Afrique de l’Ouest et garantir que les règles fiscales internationales soient justes et équitables. Le succès du FAFOA dépendra de sa capacité à relever ces défis et à mettre en œuvre des solutions efficaces. La collaboration étroite entre les Etats membres, le renforcement des capacités des administrations fiscales et le développement de partenariats stratégiques seront essentiels pour que le FAFOA puisse atteindre ses objectifs et contribuer à l’amélioration de la gouvernance fiscale en Afrique de l’Ouest.

S : Comment envisagez-vous contribuer à relever ces défis ?

J.T : La contribution de tous les acteurs sera de mise pour l’at- teinte des objectifs définis. L’équipe du secrétariat s’appuie sur les stratégies du FAFOA pour surmonter les défis aux- quels il est confronté. Le défi majeur reste celui d’optimiser la mobilisation des ressources in- ternes pour un financement du développement endogène des Etats membres. En tant qu’organisation sous-régionale, il s’agit de faciliter la mise en place d’outils régionaux de gestion de la fiscalité, de travailler à l’harmonisation des politiques fis- cales, en contribuant à l’adoption de directives harmonisées, le renforcement du rôle des parlementaires et des organisations de la société civile, la mutualisation des expériences et bonnes pratiques. Le FAFOA encourage le partage d’expériences et de bonnes pratiques entre les administrations fiscales des Etats membres. Cela permet aux pays d’apprendre les uns des autres et d’adapter les solutions aux contextes nationaux.

Nous allons nous appuyer sur les acquis de notre prédécesseur, M. Babatunde Oladapo, pour relever ces différents défis, car comme le dit un proverbe de chez nous, « c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle ». Permettez-moi d’utiliser une fois encore votre canal pour adresser au premier secrétaire exécutif du FAFOA toute ma considération pour l’énorme travail qu’il a abattu à la tête de l’organisation durant les treize années écoulées. Sous sa houlette, plusieurs jalons ont été posés, notamment dans les domaines de la coopération régionale, le soutien à la mise en œuvre du PATF, du Dialogue politique de haut niveau (HLPD) organisé chaque année, du renforcement des capacités et de l’expertise, de la coopération internationale et du plaidoyer.

S : Avec ces acquis, peut-on dire que l’évasion fiscale à grande échelle a régressé dans la région et si possible dans quelles pro- portions ?

J.T : L’évasion fiscale est, par nature, une activité clandestine et difficile à quantifier avec précision. Les estimations de son ampleur reposent souvent sur des modèles et des hypothèses, et varient considérablement, selon les sources. En l’absence de données chiffrées concernant l’Afrique de l’Ouest, il est difficile d’affirmer avec certitude si l’évasion fiscale à grande échelle a régressé en Afrique de l’Ouest et dans quelles proportions, d’où la nécessité d’effectuer des évaluations ex-post pour une meilleure quantification. Cependant, les efforts déployés dans le cadre du PATF pour renforcer les capacités de lutte contre la fraude, améliorer la coordination et le partage d’informations, et mettre en place un accord régional d’échanges d’informations, laissent entrevoir une possible amélioration de la situation.

S : Qu’entendez–vous faire au niveau du FAFAO pour consolider ces avancées sur le front de la lutte contre la fraude fiscale dans la région ?

J.T : Plusieurs initiatives du FAFOA peuvent contribuer à consolider les avancées dans la lutte contre la fraude fiscale. Dans le domaine de la recherche et de l’analyse, nous avons la réalisation d’études ciblées. Le FAFOA mène des recherches sur des sujets clés liés à la fraude fiscale, tels que l’évasion fiscale des entreprises, les prix de transfert, la fiscalité de l’économie numérique et les flux financiers illicites. Ces études permettent d’identifier les faiblesses des systèmes fiscaux et de formuler des recommandations concrètes pour les améliorer. Le FAFOA utilise aussi les données des pays membres pour produire des analyses comparatives et identifier les tendances en matière de fraudes fiscales.

L’analyse des données permet de mieux comprendre les mécanismes de la fraude fiscale et d’élaborer des stratégies de lutte plus efficaces. Le FAFOA participe aussi à la diffusion des connaissances, à travers la vulgarisation des résultats de ses recherches et analyses par le truchement des publications, des bulletins d’information, des blogs et des ateliers. Le partage des connaissances et des bonnes pratiques contribuent à renforcer les capacités des administrations fiscales et à sensibiliser les décideurs politiques à l’importance de la lutte contre la fraude fiscale. Le FAFOA contribue également au renforcement des capacités des acteurs à travers l’organisation des formations spécialisées, des partages d’expériences, l’assis- tance technique.

Dans le domaine de la coopération régionale, le FAFOA offre une plateforme de dialogue et d’échanges d’informations entre les administrations fis- cales des pays membres y compris les organisations régionales, soutient l’harmonisation des politiques fiscales dans la région, notamment en matière de TVA, de prix de transfert et d’échanges d’informations, etc. Enfin, le FAFOA contribue à l’engagement des parties prenantes, en encourageant le dialogue avec les organisations de la société civile, le secteur privé et les universités sur les questions fiscales, en participant à des campagnes de sensibilisation du public sur l’importance de la lutte contre la fraude fiscale et les conséquences négatives de l’évasion fiscale sur le développement économique et social; en menant des plaidoyers auprès des décideurs politiques, notamment les parlementaires et les sénateurs pour la mise en œuvre de réformes fiscales visant à lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fis- cales.

S : Au Burkina, comme d’autres pays de la région, l’accent est de plus en plus mis sur la digitalisation des procédures fiscales pour limiter les fraudes et favoriser davantage une mobilisation  optimale  des  recettes fiscales. Cet outil émergent au service des administrations fis- cales nationales est-il si efficace dans des contextes où l’accès à Internet n’est pas toujours garanti pour les contribuables, mêmes pour ces administrations fiscales ?

J.T : La digitalisation des procédures fiscales est présentée comme un outil puissant pour lutter contre la fraude et augmenter la mobilisation des recettes fiscales au Burkina Faso et dans d’autres pays de la région. Cependant, son efficacité est remise en question dans des contextes où l’accès à Internet est limité, tant pour les contribuables que pour les administrations fiscales elles-mêmes. L’accès à Internet reste un défi majeur en Afrique de l’Ouest. D’après le site www.datareportal.com jusqu’en janvier 2024, seul 42,3% de la population de l’Afrique de l’Ouest ont accès à Internet. Le manque d’infra- structures numériques adéquates et le coût élevé de l’accès à Internet limitent la portée de la digitalisation fiscale. De plus, les administrations fiscales elles-mêmes peuvent rencontrer des difficultés d’accès à Internet de manière fiable et sécurisée.

La digitalisation est néanmoins un axe prioritaire pour les administrations fiscales de la région. Le FAFOA promeut activement la transformation digitale des administrations fis- cales et encourage l’utilisation des technologies numériques pour améliorer l’efficacité et la transparence de la gestion fis- cale. Des initiatives, telles que la mise en place de plateformes de paiement en ligne et de systèmes de déclaration électro- nique, sont en cours dans plusieurs pays.

Des efforts importants de renforcement des capacités sont nécessaires, malgré le développement des initiatives nationales. Pour garantir l’efficacité de la digitalisation fiscale, il est crucial de former les agents des administrations fiscales à l’utilisation des nouvelles technologies et de sensibiliser les contribuables aux nouvelles procédures en ligne.

La complémentarité entre les approches digitales et traditionnelles est importante. Dans un contexte où l’accès à Internet est limité, il est aussi essentiel de maintenir des canaux traditionnels de communication et de paiement des impôts quitte à les abandonner progressive- ment. La digitalisation ne doit pas exclure les contribuables qui n’ont pas accès à Internet. En somme, la digitalisation fiscale est un outil prometteur pour améliorer la gestion fiscale en Afrique de l’Ouest, mais son efficacité dépend de plusieurs facteurs, notamment l’accès à Internet. Les administrations fiscales doivent adopter une ap- proche pragmatique qui tient compte des réalités du terrain et qui garantit l’inclusion de tous les contribuables.

S : Comment renforcer le rôle du FAFOA comme acteur clé de la gouvernance fiscale en Afrique de l’Ouest ?

J.T : Le FAFOA-WATAF est l’institution de référence en matière de fiscalité en Afrique de l’Ouest. Afin de confirmer cela, nos efforts seront centrés sur l’amélioration de la gouvernance interne du FAFOA. Le bon fonctionnement de l’organisation est essentiel à la réussite de sa mission. Il est important de poursuivre les efforts de renforcement des structures internes, de l’organisation des tâches, de la gestion financière et des ressources humaines du FAFOA. Ensuite, il faut développer des partenariats stratégiques. La collaboration avec d’autres organisations internationales, des centres de recherches, les universités et les acteurs du secteur privé est cruciale pour maximiser l’impact du FAFOA. Dans le nouveau plan stratégique défini avec les acteurs, nous envisageons jouer un rôle important en développant et en entretenant ces partenariats.

Enfin, il importe de promouvoir la voix de l’Afrique de l’Ouest sur la scène internationale. Le FAFOA, doit être un porte-parole efficace des intérêts de ses Etats membres dans les fora internationaux sur la fiscalité. Nous allons atteindre cet objectif en participant activement aux débats et en défendant les positions communes des Etats membres en Afrique et au ni- veau des Nations unies. Avec l’appui des différents comités (la fiscalité internationale, TVA, dépenses fiscales, TADAT, etc.), mes prochaines actions à la tête du Secrétariat exécutif du FAFOA seront déterminantes pour l’avenir de la gestion fis- cale en Afrique de l’Ouest. Je compte sur les médias comme le vôtre pour être la caisse de résonance des multiples actions du FAFOA pour un développe- ment durable au sein de l’Afrique de l’Ouest tel que libellé par notre slogan : S’engager pour le développement.

Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

 

 

 

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