Lutte contre la désertification : l’agroforesterie, l’arme verte

Dans la commune rurale de Zéguédéguin, située à 45 km de Boulsa, chef-lieu de la province de Namentenga (Centre-Nord), sur l’axe Tougouri-Boulsa, des paysans, sous la houlette de l’association Tiglavim (l’arbre c’est la vie en langue mooré), ont engagé, depuis trois décennies, un véritable combat contre la déforestation qui avance à grands pas dans cette contrée. « Armés » de pioches, pelles, dabas, coupe-coupe, cordes, etc., avec la seule force de leurs biceps, ils se battent au quotidien comme de beaux diables pour ré-végétaliser des sites protégés et des champs agroforestiers et lutter ainsi pour la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Samedi 6 août 2022, il est 10h 21mn. Le soleil commence à distiller ses rayons sur les berges du barrage de Zéguédéguin. Dans cette matinée de la Journée nationale de l’arbre (JNA), des paysans, sous l’égide de l’association Tiglavim (l’arbre c’est la vie en langue mooré) de Zéguédéguin, envahissent un site agro-forestier de 3 hectares (ha), long de 3 km et large de 10 m, situé sur la rive gauche dudit barrage. Objectif : respecter la tradition, vieille de trois décennies, qui se perpétue annuellement, lors des campagnes de reforestation. Agée de 75 ans, Juliette Dabilgou participe à cette opération de plantation d’arbres. Daba en main et front « inondé » de sueur, elle vient de mettre en terre un plant d’acacia nilotica. Sans ambages, elle nous confie ses motivations réelles dans ce combat d’intérêt commun. « L’arbre revêt de nombreuses vertus. Ses fruits servent à l’alimentation ou à la fabrication des produits cosmétiques. Les feuilles, en plus de la consommation et de l’ombre, constituent de la fumure organique pour une bonne productivité agricole. Les branches des arbres sont utilisées pour la toiture des maisons.

Le DP de l’environnement du Namentenga, Romaric Dabiré : « sur un hectare de forêt défrichée, le paysan doit laisser au moins 20 pieds d’arbres à belle vue ».

Le beurre de karité sert à la consommation, à la fabrication du savon et dans les soins médicinaux comme le traitement des luxations, la protection des nouveau-nés », liste entre autres, la septuagénaire. « Armés » de pioches, pelles, dabas, coupe-coupe et cordes, ces paysans creusent des dizaines de trous d’une profondeur de 40 cm disposés en file indienne avec une distance de séparation de 10 m entre les trous et les lignes parallèles. « La corde est utilisée pour mesurer la distance entre les trous et les lignes parallèles. Pour les grands arbres, la distance de séparation entre deux plants est de 10 m. En revanche, elle est de 5 m pour les petits arbres. C’est une manière de réussir la survie des plants», explique le président de l’association Tiglavim, Felix Dabilgou. Pour cette campagne de reforestation, l’association, en complicité avec la population de Zéguédéguin, espère mettre en terre environ 3 000 plants constitués, entre autres, de cacaoyers, d’anacardiers, de papayers, de manguiers, de moringa, de neems, de baobabs, de néré, de karité, de tamariniers, de balanites et d’acacias nilotica. Des mécanismes de protection et d’entretien des plants seront mis en place pour leur survie. « Nous fabriquerons des grilles de protection en fer, en plastique et en bois pour les protéger. Pendant la saison sèche, nous utiliserons les puits et boulis pour l’arrosage. De même, des enfants seront mis à contribution pour la surveillance de ces plants », rassurent Felix Dabilgou et ses camarades.

Engagement communautaire

En dépit de la toute première grosse pluie qui s’est abattue sur la région du Centre-Nord, dans la nuit du 4 au 5 août 2022, ces paysans ont déserté leurs champs de céréales et plaines rizicoles pour célébrer la IVe édition de la JNA qui se tient à Kaya. « C’est en réponse à l’appel de la ministre en charge de l’environnement, Maminata Traoré à un engagement communautaire dans les actions de restauration du couvert végétal…», laisse entendre le Ouid-Naaba de Zéguédéguin. Pour lui, l’institution de la JNA, depuis 2019, au Burkina Faso, est un tremplin pour une prise de conscience communautaire de la lutte pour la protection de l’environnement et de la biodiversité. « Une journée dédiée à l’arbre permettra aux populations de mesurer la portée des espèces végétales dans la vie de l’homme », renchérit le Conseiller villageois de développement (CVD) de Zéguédéguin, Eric Dabilgou qui vient de mettre en terre un plant d’acacia nilotica. Martin Dabilgou pratique la RNA (Régénération naturelle assistée) dans son champ de sorgho rouge associé au niébé. C’est une pratique séculaire qui consiste à épargner et à entretenir dans les parcelles de culture, les régénérations naturelles spontanées à des densités désirées.

Il vient de bénéficier de la mise en terre de 25 plants dont 5 cacaoyers et 20 nilotica offerts par l’association Tiglavim, dans le cadre de la célébration de la JNA 2022. Garni de grands arbres de neems, de nilotica, de tamariniers, etc. plantés par le service des Eaux et Forêts de Zéguédéguin, son champ présente déjà en ce début du mois d’août, une bonne physionomie. Ce quadragénaire mesure bien l’importance des arbres dans le rendement agricole. «L’ombrage des arbres empêche l’assèchement rapide du sol et garde l’humidité au niveau des pieds des plants. Leur feuillage constitue également de la fumure organique pour une bonne productivité agricole. Nous utilisons aussi certains arbres épineux pour protéger nos champs contre la divagation des animaux », se convainc Martin Dabilgou. Et de poursuivre : « La différence est nette ! Dans les zones où il y a des arbres, les semis sont déjà aux genoux. Par contre, ils se développent difficilement dans les parties dépourvues d’arbres. Nous serons obligés de transplanter des plants de semences dans ces endroits ». Dans la commune rurale de Zéguédéguin, l’agroforesterie est bien développée dans les champs. « Nous demandons toujours aux paysans de laisser au moins 20 pieds d’arbres à belle vue dans un hectare de champ défriché », souligne le Directeur provincial (DP) en charge de l’environnement du Namentenga, Romaric Dabiré.

Actions de sensibilisation

Pour pallier le problème d’eau en période sèche, les populations ont creusé des boulis pour arroser leurs arbres.

La commune de Zéguédéguin est située à mi-chemin (45 km) entre Boulsa et Tougouri, sur l’axe Boulsa-Tougouri, dans la province du Namentenga, région du Centre-Nord. Son barrage, construit en 1988, a cédé le 15 juillet 2021, isolant davantage cette commune du reste du Burkina Faso.

Malgré ces conditions de vie difficiles, l’éveil de conscience communautaire dans la protection de l’écosystème est à un bon niveau. Et, ce grâce aux actions de sensibilisation des services forestiers et de l’association Tiglavim. Les femmes et jeunes sont en première ligne dans ce combat. Anne Illie, 45 ans, est le leader des femmes de l’association Tiglavim. Suant du front, elle s’active pour mettre en terre un plant de cacaoyer dans le champ de Martin Dabilgou. Elle avoue que les femmes, surtout paysannes, sont les premières bénéficiaires des retombées d’un arbre. Selon elle, la principale source de revenus des femmes vivant en campagne est la transformation des Produits forestiers non ligneux (PFNL). « Cette année, outre l’alimentation, nous avons économisé 225 000 F CFA dans la vente des PFNL. Cette somme a été ensuite répartie entre les femmes sous forme de prêts pour développer de petits commerces », souligne dame Illie. La veuve Juliette Dabilgou vend des boules de soumbala et du beurre de karité au marché de Zéguédéguin. « Chaque jour de marché, je peux écouler 3 à 4 tasses de soumbala et de beurre de karité », se réjouit-elle. A l’entendre, ce petit commerce des PFNL lui permet d’assurer les besoins vitaux de ses sept enfants.

Réhabiliter le pont du barrage

Elle utilise aussi ses bénéfices pour assurer les frais de scolarité de trois de ses enfants et le reste est injecté dans l’élevage de petits ruminants. « Cette année, j’ai pu économiser 100 000 F CFA. J’ai acheté deux béliers à 95 000 F CFA. Je suis en train de les emboucher pour les revendre lors de la fête de Tabaski prochaine », espère-t-elle. Pour amener les gens à prendre conscience des effets néfastes de la déforestation, les femmes de l’association mènent des actions de sensibilisation. « Nous menons quoti-diennement des séances de causerie sur l’importance de l’arbre auprès de nos coépouses dans les 15 villages de la commune. Et, nombreuses d’entre elles adhèrent à la protection des arbres », indique Anne Illie. Quant à la jeunesse consciente de Zéguédéguin, elle met l’accent dans la plantation utile à travers la création de vergers. Notre périple nous conduit dans le verger de Bernard Dabilgou, 40 ans. Débuté l’année passée, son champ-école inspire plus d’un. Grâce au soutien financier de son frère résidant en Italie, il a pu mettre en place un verger d’un ha. « L’année passée, j’ai planté 110 arbres constitués de manguiers, goyaviers, pommes-cannelles, pample-mousses et citronniers.

Avec la protection, l’entretien et la surveillance, 104 ont survécu contre 6 arbres morts, soit un taux de succès de 94,54% », se réjouit-il. Il pratique, lui aussi, l’agroforesterie dans sa plaine rizicole. Pour assurer la survie de ses plants, le jeune Bernard a creusé un puits d’une profondeur de 12 m. « De nombreux jeunes viennent visiter mon verger et m’envient. L’année passée, un jeune, après avoir visité mes arbres, en a planté cinq qui ont tous survécu. Cette année, il est revenu me demander de l’aider à avoir des plants fruitiers. Il m’a promis que même s’il faut vendre ses béliers, il doit impérativement planter une centaine d’arbres. Le fait de planter des arbres inspire d’autres jeunes à lui emboîter le pas », se félicite-t-il. Pour lui, planter un arbre, c’est assurer sa vieillesse. Ce jeune « combattant » n’attend qu’un appui pour réaliser son rêve d’entrepreneur agroforestier. Notre visite guidée nous amène dans le verger d’un hectare clôturé de Rasmané Dabilgou, 68 ans. Il se bat pour reverdir une partie des berges du barrage de Zéguédéguin. Il a bénéficié du soutien des services techniques des Eaux et Forêts pour ériger cette richesse naturelle. Dans son patrimoine vert, on retrouve diverses espèces végétales telles que des manguiers, des goyaviers, des nilotica, des neems, etc. Planter utile Après 5 ans de dur labeur, il juge le bilan satisfaisant. « Mis en terre en 2018, 34 sur 37 plants ont survécu dont certains donnent déjà des fruits, soit un taux de succès de 91,89% », explique, sourire aux lèvres, le vieux Rasmané, avant de poursuivre : «L’année passée, pour la toute première récolte, outre la consomma-tion, j’ai vendu les fruits à 15 000 francs. C’est avec cet argent que j’ai commandé une vingtaine de plants fruitiers cette année ».

A l’entendre, une dizaine de vergers existent dans la ville de Zéguédéguin, mais la majorité n’a pas survécu à cause du manque d’eau. Pendant la saison sèche, Rasmané parcourt des kilomètres à la recherche d’eau pour ses plants. « Mes arbres consomment tous les 4 jours 7 barriques d’eau. Parfois, j’achète la barrique à 700 FCFA », déplore-t-il. En dépit des difficultés rencontrées, l’effort consenti est salué à sa juste valeur par les autorités administratives et coutumières. Pour le DP Dabiré, les initiatives locales contribuent à la restauration du couvert végétal, en ce sens que son ministère de tutelle a entrepris cette démarche de plantation utile qui consiste à planter un peu d’arbres, et à les protéger et à les entretenir. « Si vous mettez 20 pieds d’arbres dans un enclos bien protégé, l’année prochaine, si vous faites l’évaluation, vous aurez la chance d’avoir 80% de réussite », fait-il savoir. C’est pourquoi, il les encourage dans cette initiative. Le Ouid-Naaba, lui, « tire son bonnet » à sa jeunesse, avant de lui signifier que le destin de la Nation est entre ses mains. « Si tu plantes un arbre dans ta vie, ton nom sera immortalisé sur terre même si tu ne mets pas au monde des enfants », soutient-il. De son avis, la préservation des traditions ancestrales est indissociable de la lutte pour la protection de l’environnement.

« L’arbre et la tradition sont interdépendants. Car, la déforestation est l’un des facteurs principaux de la disparition de la tradition. Aujourd’hui, il est difficile de trouver certains médicaments traditionnels du fait de la disparition de certaines espèces végétales », alerte le garant de la tradition. Il souligne que la nature décrypte certains phénomènes heureux ou malheureux. « Prenez le cas du raisinier. La maturité des raisins signale l’installation de l’hivernage. De même, si le raisinier produit uniquement au niveau de son côté Est, cela signale que l’hivernage sera ponctué de sécheresse. Et, les gens prennent des précautions. En revanche, s’il produit dans sa globalité, cela annonce de bonnes récoltes. La vie est toujours difficile dans les zones dépourvues d’arbres : le désert », décrypte le responsable des rites. Pour lui, les arbres sont des refuges de certains esprits.

Pas de tradition sans arbre

« Pour soigner tradition-nellement certaines maladies, nous utilisons les racines, écorces, feuilles ou fleurs de certaines espèces végétales. Sans arbre, il n’y a pas de tradition », explique Ouid-Naaba. Eu égard aux vertus incommensurables de l’arbre, le Ouid-Naaba exhorte donc chaque Burkinabè à planter de façon utile au moins un arbre durant cette campagne de reforestation. Pour cette saison d’hivernage, l’association Tiglavim, selon Felix Dabilgou, compte mettre en terre environ 3 000 plants sur les 6 750 produits, dans leurs 3 sites forestiers de 8 hectares, répartis en 4 ha, 3 ha et 1 ha, et dans des champs agroforestiers.

Le reste sera vendu aux populations des communes de Zéguédéguin, Boulsa et Boala. Selon lui, le terme « Tiglavim » donné à leur association vient du fait que leurs grands-parents utilisaient les racines, écorces, feuilles, fleurs, fruits et sèves des arbres pour sauver des vies. « Dans certaines religions, pour enterrer un corps, ce sont les branches de sclerocarya birrea (noabga, en mooré) qui sont utilisées pour fermer la petite tombe avant de mettre la terre », justifie Felix Dabilgou. L’association compte 43 membres, dont 10 femmes et 20 jeunes. Grâce aux soutiens techniques et financiers des services forestiers et de certains projets tels que LU-CO-DE-B, Papanam, Front de Terre et SOS Sahel, l’association, de 1994 à nos jours, compte à son actif 189 343 plants produits dont 20 050 plants mis en terre sur les berges du barrage et 2 500 sur ses sites protégés. Les espèces végétales plantées sont, entre autres, l’anacardier, le citronnier, le papayer, le manguier, le goyavier, le kapokier, la pomme-cannelle, le moringa, le neem, le baobab, l’acacia nilotica, etc. En termes de bilan après trente années de dur labeur, ces défenseurs de l’environnement tirent un motif de satisfaction. « Parmi les arbres plantés, environ 100 mille ont survécu. Si vous regardez, toute la ville est embellie des arbres plantés par l’association et les populations », se réjouit Felix Dabilgou.

Une ville végétalisée

L’agroforesterie est bien développée dans la commune de Zéguédéguin.

Et d’insister : « L’année passée, j’ai planté 170 manguiers greffés. Tous ces arbres ont réussi à survivre. La majorité des arbres que nous plantons ont une forte chance de réussir, parce que nous mettons plus l’accent sur l’entretien et la protection ». De ce fait, avec la rupture du pont du barrage, Felix et ses camarades ont développé des initiatives locales pour approvisionner en eau leurs plants pendant la saison sèche. Des puits et des boulis ont été creusés pour stocker un tant soit peu l’eau. « Nous avons d’abord réalisé une piscine de 25 barriques pour conserver l’eau. Nous payons une barrique entre 700 et 800 F CFA. Nous avons aussi creusé un bouli d’une profondeur de 1,5 m. Pour éviter l’infiltration de l’eau, nous avons mis des sachets que nous avons achetés à 20 000 F CFA », affirme-t-il. A vue d’œil, une bonne partie de la ville est embellie de grands arbres. « Si vous restez sur la petite colline, située à l’Est de la ville, vous ne verrez que quelques concessions. Parce qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble des maisons du fait du couvert végétal…», fait remarquer le Ouid-Naaba. Certaines espèces végétales disparues renaissent.

« L’acacia nilotica et le baobab étaient des espèces rares dans la commune. Aujourd’hui, ils sont repandus dans tous les champs agricoles à tel point que personne ne veut encore en planter », renchérit le président Dabilgou. La résurrection des arbres a aussi restauré la faune. « Actuellement, singes, lièvres, serpents et autres reptiles vivent dans les sites forestiers. Les perdrix pondent leurs œufs à l’extrémité de la ville », témoigne Felix Dabilgou. Pour maintenir le cap de lutte pour la protection de l’environnement et de la biodiversité, le vœu le plus ardent des intervenants est la réhabilitation du pont du barrage comme promis par le ministère en charge de l’eau, depuis le 16 juillet 2021. Le renforcement de leurs capacités en matière de protection de l’environne-ment et de biodiversité, la dotation en plants et matériel de plantation et de protection d’arbres figurent dans le cahier de doléances des populations de Zéguédéguin.

Emil SEGDA

Segda9emil@gmail.com

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