Marché des cycles du théâtre populaire : une caverne d’Ali Baba

Le marché des cycles sis au théâtre populaire de Ouagadougou, est un véritable concentré de débrouillards et de riches commerçants. Si ce vaste endroit de vente et de réparation des deux roues, traîne une mauvaise réputation de gîte pour voleurs, escrocs et receleurs, il vit surtout sous la hantise des inondations et des risques grandissants d’incendies, du fait de ses effectifs croissants.

En cette matinée du début du mois d’août 2019, le marché des cycles du théâtre populaire, au secteur n°5, quartier Samandin dans l’arrondissement n° 1 de Ouagadougou, connaît son brouhaha habituel. Ce bruit assourdissant en provenance des ateliers de réparation et les vrombissements de motos qui vont dans tous les sens, sur des chemins sinueux, que leurs conducteurs semblent être les seuls à maîtriser, constituent l’habituel fond sonore. Dans les allées fortement rétrécies, difficile de se frayer un chemin au milieu des tas de marchandises. Laborieux également de faire un pas sans être interpellé par un‘’cocsaire’’, ces nombreux intermédiaires qui se disputent les potentiels clients. Au milieu de nulle part, se dresse une mare artificielle au contenu verdâtre.

Le Cissin Zak-Naaba Tigré invite les commerçants à penser à l’avenir du marché.

A ses pieds, des jeunes gens lavent des motos sans se soucier de la forte odeur nauséabonde qui s’y dégage. «Cela fait une vingtaine d’années qu’on se débrouille pour manger et payer la scolarité de nos enfants», indique Salif Dipama, dévisant sous un hangar de fortune à quelques pas de la mare. Le cinquantenaire se met par la suite, à regretter le temps, où ils étaient pratiquement les seuls, en dehors des stations-services, à proposer ce type de prestation à Ouagadougou. «Mais, de nos jours, les clients sont rares, car on lave partout aux abords des routes, à cause du manque d’emploi pour les jeunes», poursuit-il. Son compagnon Boureima Congo est davantage préoccupé par l’enclavement progressif de la fosse par des nouvelles boutiques. Ce qui fait que le camion municipal ne peut plus y accéder pour vider, laissant l’eau stagnée parfois pendant plus de deux ans.

Même à l’aide d’une motopompe louée à l’occasion, la vidange de la fosse fait grincer des dents, car le chemin de passage de l’eau est désormais occupé par de nouveaux arrivants, explique Boureima Congo. Tout comme Salif Dipama, le peintre Issa Couraogo se désole de la rareté des clients et de la multiplication des acteurs. «Maintenant, on travaille juste pour manger. Il est difficile de faire des économies pour renforcer son atelier», relate le jeune homme de 30 ans. Le mécanicien Salfo Ouédraogo, fort de sa trentaine d’années d’expériences, estime qu’il faut savoir tenir, car tout travail comporte des épreuves. Ses voisins Soumaïla Ouédraogo et Adissa Konseiga en sont des exemples vivants. Après douze ans d’apprentissage auprès de son père et de ses frères, la jeune mère évolue en solo depuis le début de l’année, dans la vente des pièces détachées. Soumaïla Ouédraogo exerce aussi dans la même activité, après avoir commencé comme apprenti mécanicien le 15 août 1995. Assis sur une banquette, le soudeur Jean-Paul Sam fulmine à cause d’un énième délestage. «Voyez-vous, j’ai des commandes et cela nous retarde beaucoup. Mais, les factures demeurent toujours élevées», peste-t-il. Depuis 2006, Boukari Bonkoungou dit Gilbert vend des motos et des pièces de rechange.

«A vrai dire, ces derniers temps, il y a pas de marché», confesse-t-il. Pour Irissa Nikièma, cela s’explique certainement par la situation sécuritaire du Burkina Faso. «On ne peut pas demander aux autorités de se focaliser sur les difficultés du commerce, alors que des individus sans foi ni loi, tuent des hommes, laissant des veuves et des orphelins. Comment allons maintenir un pays, si on extermine les bras valides ?», s’interroge le septuagénaire. Outre les vendeurs de mobylettes, de vélos, les mécaniciens, les soudeurs, le marché de cycles du Théâtre populaire ou ‘’TP’’, renferme d’autres acteurs. Ce sont notamment les restauratrices qui proposent des plats divers aux milliers de travailleurs, chacun selon sa bourse. Au milieu de ses fourneaux, Zalissa Bonkoungou supervise le transvasement du riz chaud et la cuisson de divers mets, dévoués à quatre servantes. Peu bavarde, Mme Bonkoungou assure que la clientèle est au rendez-vous. A une centaine de mètres plus loin, Charlotte Sawadogo propose du riz, du poulet, du poisson et d’autres plats. Selon la sexagénaire, ça s’achète petit à petit, car les affaires de ses clients sont au ralenti.

Inondations et incendies redoutés

La soudure et le commerce du carburant font craindre des incendies.

Au ‘’TP’’, la rareté des clients fait partie d’un lot de difficultés auxquelles sont confrontés, débrouillards et riches marchands. Ce sont notamment la promiscuité, les inondations répétitives et les risques grandissants d’incendies. En effet, circuler au marché « TP » relève d’un parcours de combattant. La principale voie qui longe le marché du Nord au Sud est presque complètement obstruée. Celle qui se trouve à son côté Ouest et longeant le stade Rné-Monory, est dans le même état. A l’intérieur, difficile de se frayer un passage. Au milieu des allées, quand ce ne sont pas des terrasses surélevées qui débordent, ce sont des marchandises qui y sont simplement exposées. «Nous avons érigé des hautes terrasses pour nous protéger des inondations. Mais malheureusement, ça encore bloqué le passage des eaux», soutient Soumaïla Ouédraogo.

Selon Boukari Bonkoungou dit Gilbert, les inondations répétitives, causent beaucoup de pertes et créent souvent des mésententes avec les clients, car les papiers des motos sont souvent détériorées. Pour l’un des responsables du marché, Moussa Nana, les inondations ne doivent surprendre personne, car dès le début, chacun savait qu’il s’installait dans un bas-fond. «C’est dommage de se plaindre de l’eau tout en bloquant les accès qui permettront aux pompiers d’intervenir en cas d’incendie», averti l’Imam Cissin Zag Naaba Tigré, un autre responsable du marché. Ses craintes sont partagées par Moussa Nana. «Dans le marché, il y a du carburant en vente, des pièces détachés en caoutchouc, des cartons, des soudeurs utilisant le gaz ou l’électricité. En cas de catastrophe, riches comme pauvres, nous serons dans la tourmente», prévient M. Nana. Du côté des vendeurs de carburant et des soudeurs, on est moins alarmistes. Le vendeur de carburant et d’huile de vidange, Ablassé Zagré, assure faire de son mieux pour éviter la catastrophe. Il fait remarquer que des motos se sont embrasées dans le marché sans que ça ne soit leur faute. «Depuis une trentaine d’années, je prends des précautions, car je tiens avant tout à ma propre vie. Il y a des marchandises de plusieurs milliards ici.

Il ne faut pas qu’à cause de ma seule personne, tout cela parte en fumée», se défend Issa Tiemtoré, chalumeau en main. Le soudeur explique qu’il n’intervient que sur des motos aux réservoirs vides. Son collègue Daouda Barro compte sur ses extincteurs pour étouffer les éventuels débuts d’incendies. Mais, il mise surtout sur ses 25 ans d’expériences pour éviter toute imprudence. Jean Paul Sam sollicite un accompagnement pour délocaliser son atelier hors du marché, afin de se consacrer également à la réalisation de portes et de fenêtres. «Pour éviter les problèmes, je ne confie pas la cuisson des repas à mes servantes. Je m’en charge personnellement», indique la restauratrice Charlotte Sawadogo. Selon Moussa Nana, pour se prémunir des incendies, une centaine de hangars avaient été aménagés au Sud du marché pour abriter uniquement les soudeurs. Mais compte tenu de la forte demande, les mécaniciens et les vendeurs de cycles s’y sont également installés. Après l’incendie vite circonscrit du 18 août 2018, Moussa Nana souhaite que les commerçants entendent raison.

Un repère de voleurs et de receleurs ?

En plus des risques d’incendies et des inondations à répétition, le marché des cycles traîne une triste renommée de nid de voleurs, de receleurs et d’escrocs. Cela s’explique en partie par les fréquentes décentes de la police ou de la gendarmerie, à la recherche de présumés voleurs de motos ou de falsificateurs de documents. Aussi, en cas de perte de motos, beaucoup d’anonymes prennent aussi attache avec les responsables du marché pour les aider à retrouver leurs biens. «Si vous perdez un âne ou une bouteille de gaz, vous n’allez pas les rechercher au TP. C’est donc normal de rechercher une moto volée dans un marché de vente d’engins, même si ça nous fait mal au cœur», tempère le Cissin Zak-Naaba Tigré. Pour Irissa Nikièma, les présumés voleurs se comptent maintenant au bout des doigts car d’après lui, les occupants du marché ont engagé une lutte sans merci contre eux. «Si 100 voleurs arrivent ici, s’ils ne sont pas paresseux, au moins, les 80 abandonneront, car ils voient comment les autres s’en sortent en travaillant», ajoute M. Nikièma. Moussa Nana déplore l’attitude de la police et de la gendarmerie qui selon lui, s’attribuent tous les lauriers lors de la présentation des suspects, sans «jamais» mentionner le concours des commerçants du « TP ». «Ils nous disent de ne pas en parler car les voleurs risquent de ne plus venir. Mais c’est justement ce que nous souhaitions : que les voleurs ne viennent plus dans notre marché !», poursuit-il.

Le vendeur de cycles assure avoir contribué à arrêter une centaine de personnes qui tentaient d’écouler des motos volées. Il présente alors un registre où sont consignées les identités des présumés propriétaires, les références des motos supposées volées et les dates de retrait à son niveau. La police nationale n’a pas souhaité commenté ces affirmations, pour dit-elle, ne pas mettre en péril, son mode opératoire de recherche d’engins volés. Les motos entrées frauduleusement sans être dédouanées, seraient aussi en baisse, d’après les interviewés. «Au début, les motos non dédouanées entraient en grande quantité. Les enfants liquidaient ça pour chercher des bénéfices dérisoires de 5000 F CFA et même moins que cela. Mais maintenant, ces motos sont rares, car avec la chute des prix, les clients préfèrent acheter des motos en règle», confie Moussa Nana. En tout état de cause, Boukari Bonkoungou dit Gilbert invite les douaniers à contrôler uniquement au niveau des frontières et à éviter les courses-poursuites en ville. «Une fois que la marchandise arrive en ville ou dans ce marché, les douaniers doivent être cléments car chacun se débrouille pour nourrir sa famille», plaide-t-il.

L’exaspération des riverains

Le marché du théâtre populaire à ses débuts en 1994, comptait quelques centaines de vendeurs et de réparateurs. Mais au fil des ans, ses effectifs ont explosé. La plus grande vague de nouveaux occupants est arrivée en 2003, après l’incendie du grand marché de Ouagadougou (Rood Woko). Depuis lors, comme une pieuvre, le « TP » déploie ses tentacules dans toutes les extrémités, avalant les habitations environnantes à coup de location et de rachat. Le mythique théâtre populaire de Samandin qui n’est plus que l’ombre de lui-même, est maintenant cerné de toutes parts. Même le reste du verger de manguiers qui a survécu à la construction du marché, est en train d’être happé avec un appétit vorace. Cette avancée fulgurante sur plusieurs centaines de mètres, provoque le courroux de nombreux riverains.

Affaissée dans un fauteuil au milieu de sa vaste cour, située à quelques mètres au Sud-Est du marché, la maman catéchiste à la retraite, Justine Ouédraogo, tempête. «Ils laissent traîner les ordures et ne respectent pas les riverains. En plus, nous manquons de sommeil. Mais quand on leur fait des observations, ils rétorquent qu’ils sont là pour chercher de l’argent comme si nous, nous ne savons pas en chercher», insiste-t-elle. Son voisin Ablassé Tapsoba partage son agacement. «Ce sont nos maisons qu’ils sont en train d’envahir et toutes nos rues sont d’ailleurs débordées jusqu’à tel point, qu’il est difficile de se frayer un passage avec une voiture», ajoute M. Tapsoba. Le professeur de physique-chimie à la retraite condamne aussi les nuisances sonores qui les obligent à se procurer des ouvertures vitrées. «Entre eux-mêmes, ils ne manquent pas de se cogner. Ce ne sont pas nos enfants qu’ils vont épargner», s’insurge-t-il à propos des excès de vitesse dans les rues environnantes. Ablassé Tapsoba souhaite que la mairie ou la police municipale mette de l’ordre. En attendant cette éventuelle intervention, son fils Lamine Tapsoba dit avoir réussi à chasser ceux qui se cachaient pour se soulager dans sa cour, grâce au «bon chien» qu’il a «bien dressé».

Au niveau de la cour de El Hadj Adama Yanogo, exceptée la façade principale, tout le pourtour a été loué. «Il y a des gens qui ont loué les devantures de leurs cours, si bien qu’ils ne peuvent plus recevoir grand monde en cas de cérémonie. C’est en ce moment qu’ils se rendent compte qu’ils ont commis une erreur», explique-t-il. Pour désengorger le marché, M. Yanogo propose d’aménager le bas-fond qui se trouve à côté pour surtout réinstaller ceux qui ont occupé la voie principale. De l’avis de Moussa Nana, cela n’est pas utile, car les commerçants devront vider les lieux dans une vingtaine d’années. «Des gens nous ont assursé que l’Etat nous a définitivement attribué ce terrain. Mais je leur ai répondu que compte tenu du fait, qu’il existe un papier qui nous attribue ce terrain pour 50 ans. A l’échéance, c’est obligé qu’on parte. Même si c’est après notre mort, le marché déménagera», foi de Moussa Nana. Nous avons approché l’Agence de développement économique et urbain et la Direction de l’assiette fiscale de la commune de Ouagadougou pour vérifier d’une part, l’authenticité du bail de 50 ans et d’autre part, recueillir les mesures prises par la municipalité pour gérer les inondations récurrentes et prévenir les risques avérés d’incendies. Elles ont refusé de s’exprimer sans l’aval du maire central, Armand Béouindé.

C’est alors que nous sommes rentrés en contact avec le Direction de la communication de la mairie de Ouagadougou.
Malgré le questionnaire que nous avons envoyé à notre corps défendant et les promesses de nous mettre en contact avec des responsables, au bout d’une quinzaine de jours de relances, nos efforts n’ont pas payé.

Tilado Apollinaire ABGA
abgatilado@yahoo.fr/gmail.com

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