La question du financement de la vie politique traverse les espaces, qu’ils soient temporels ou géographiques, dès lors qu’ils tendent à l’idéal démocratique. Cet enjeu sous-tend une problématique plus profonde, celle de l’accession au pouvoir, puisque tout régime peut s’afficher démocratique mais ne pas l’être dans ses pratiques car le pouvoir peut se donner, s’acheter et s’hériter. Cette question est aussi épineuse que capitale car le jeu démocratique ne saurait vivre sans être financé. Pour autant, nous ne pouvons faire l’économie de la question de l’origine et de la destination des fonds, nécessaires à l’animation de la vie publique. Un régime démocratique n’en aurait que le nom si le pouvoir politique était monnayé par les plus aisés. Alors, l’argent serait-il en démocratie un « mal nécessaire » ? Voici, pour vous, notre offrande de ce jeudi. Si vous daignez l’accepter sans tenir compte de notre insuffisance.
«L’individu est […] dévoré par des passions tristes comme le ressentiment, la haine, car il n’a jamais assez d’argent et les autres en ont trop. Il n’y a plus aucune limite à ses désirs ; l’amour de l’argent destitue l’amour de la vérité et de la justice, instrumentalisant la raison et rendant l’individu instable. Un tel être ne peut ni se gouverner soi-même ni gouverner autrui de manière juste » (Livre III de la République, Platon). A l’instar de Platon, devons-nous considérer que l’argent nuit sinon annihile toute possibilité d’un gouvernement juste ?
L’ARGENT, QUI A TOUJOURS ENTRETENU UNE RELATION SINGULIÈRE AVEC LE POUVOIR POLITIQUE, EST NÉCESSAIRE EN DÉMOCRATIE
Pharaons égyptiens, empereurs romains, chefs africains, monarques européens, shahs persans, sultans ottomans, empereurs nippons, ont fait de la place qu’ils occupent une vitrine de leur patrimoine dont la frontière entre fortune personnelle et publique a pu s’avérer ténue. C’est par des costumes prestigieux, des résidences cossues, des plafonds dorés, des collections d’art aux dimensions démesurées que le pouvoir s’affirme et s’affiche. Tous, sans exception ont affiché une opulence qui traduit matériellement leur pouvoir. Pour ceux qui douteraient du pouvoir que confèrent ces attributs, posons-nous la question inverse : quelle image aurait-on d’un pays dont le dirigeant paraîtrait dépouillé ? Certainement pas celle d’une puissance honorable. Morale de l’histoire : le pouvoir ne va sans la grandeur.
De la même façon que l’on se demande qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier, faut-il d’abord détenir un capital financier conséquent pour se hisser aux plus hautes fonctions publiques ou faut-il occuper une place de choix dans la sphère politique pour accumuler des richesses ? Pour y répondre, distinguons ceux dont l’engagement pour la chose publique découle du statut qu’ils ont acquis, de ceux qui « font de la politique pour se grandir socialement et accéder à des moyens d’existence qu’ils ne trouveraient […] dans leur profession d’origine » (Olivier Ihl).
Nulle démocratie ne peut vivre sans être financée. Nier l’utilité de ressources financières dans le processus démocratique revient à affirmer que la rencontre et la coordination des électeurs et des candidats politiques peuvent se réaliser sans coût […]. Or la démocratie a un prix. Sans information, sans débat d’idées, sans échéance élective, la vie démocratique ne peut être. Cela demande donc des moyens pas seulement matériels, financés par l’effort collectif. C’est-à-dire, l’effort de chacun et de tous.
Imaginer représenter la volonté populaire sans avoir les moyens de ses ambitions revient à avoir des élus impuissants. Est-ce à dire qu’il faille disposer de grands moyens pour pouvoir gouverner ? Oui et non. En portant son attention sur le financement de la politique qu’il considère comme un « aspect extrêmement important de la condition de l’homme politique », Max Weber distingue celui qui vit
« de » la politique de celui qui vit « pour » celle-ci, incarnés respectivement par le militant et le notable. Si le premier dispose de moins de fonds que le second, sa position dans la société lui permet d’imaginer de nouvelles formes de mobilisation qui auront pour objectif d’offrir aux citoyens « des biens plus immatériels : visions du monde, croyances, ou motifs d’espérance ». Quant au notable, il peut assurer sa visibilité puisque : « de par [sa] situation, [il] est en mesure de diriger un groupement quelconque, […] contre un salaire nominal ou honorifique ».
LA COURSE AU FINANCEMENT PEUT INCARNER UNE MENACE POUR LE JEU DÉMOCRATIQUE
Bien des démocraties sont devenues démocraties avec l’influence de notables dans l’espace politique. Leur capital financier et culturel leur permet d’influer voire de guider les politiques publiques. Pour autant, nous ne pouvons-nous satisfaire de régimes dans lesquels les décisions se prennent seulement dans des couloirs ouatés. La question du « qui finance la démocratie ? » est primordiale. D’autant que la bonne santé d’une démocratie se mesure moins à la quantité de ses financements qu’à leur allocation. La tendance globale va vers des sphères politiques grandement guidées par une logique pécuniaire. Si les fonds engagés en 2016 par le magnat de l’immobilier Donald Trump expliquent en partie sa victoire, ils sont loin d’être suffisants. Mais son succès énonce pleinement la question de l’achat du pouvoir. Se serait-il hissé au sommet de l’Etat fédéral s’il n’avait pas contribué personnellement à ses frais de campagne ? Nul ne peut y répondre d’autant que la candidate Hillary Clinton a rassemblé peu ou prou le même ordre de grandeur de fonds.
L’exemple américain soulève des questionnements qui valent pour nous. La possibilité d’injecter des fonds privés pour réussir en politique traduit la relation parfois opaque qu’entretiennent le et la politique, l’économie et la finance. Les plus aisés achètent-ils le pouvoir ?
Non, depuis que nous sommes organisés en société, il existe « trois sources de pouvoirs : la force, l’argent et les lois ». L’argent prend de plus en plus de place, étouffant la force et les lois. L’économiste Julia Cagé déplore : « plus on donne de l’argent, plus on a de chances de voir son candidat remporter la victoire ». Les chiffres, lorsqu’ils sont publics, sont vertigineux : « 10% des Français les plus riches donnent 53% des dons et cotisations versés aux partis politiques ». Quant aux Etats-Unis, « 0,01% des Américains ont contribué pour 40% au financement de la campagne de 2016 ». La place que prend l’argent dans la course au pouvoir fait peser un risque de « ploutocratisation du personnel politique » (Olivier Ihl) où le pouvoir serait exclusivement aux mains de ceux qui détiennent le capital social, économique, financier et intellectuel.
Bien que ces exemples soient peu parlants, ils doivent nous alerter sur les risques que fait peser le pourtant nécessaire financement de l’espace public. Une démocratie n’est pas en meilleure santé lorsqu’elle bénéficie de financements inépuisables. Les régimes démocratiques ont moins besoin d’argent que d’une bonne allocation de leurs ressources.
Ayant en commun avec les Etats-Unis de nous réclamer de la démocratie, nous sommes face aux mêmes aléas. Que les financements soient abondants ou non, émanant de cercles d’intérêts particuliers ou non, à la seconde même où il est question d’argent, le lien entre celui qui donne et celui qui reçoit est asymétrique. A l’instant même où nous percevons des fonds, nous devenons redevables. C’est tout l’intérêt de la problématique posée. Face à cela, que faire ? Se résigner ? Non. Le seul principe qui doit nous guider est celui d’« un citoyen, une voix ».
In fine nous devons rester prudents et patients. L’histoire nous rappelle que la richesse a longtemps dépendu de la propriété terrienne. Ce sont les philosophes des Lumières, pourtant proches des sphères politiques sinon en faisant partie, qui ont insufflé un élan d’égalité en dessinant les contours d’un système plus juste. Bien que « le pouvoir et la richesse habitent la même maison depuis toujours », cela doit renforcer nos songes d’un espace politique financé et partagé par tous, quelle que soit la taille notre porte-monnaie.
Mamadou Banakourou TRAORE