A l’occasion de la Journée mondiale de la paralysie cérébrale célébrée chaque 6 octobre, docteur Julie Kyelem, neurologue avec une sous spécialisation pour la prise en charge des pathologiques neurologiques des enfants et des adolescents a accordé une interview à Sidwaya. Découvrez les manifestations de la paralysie cérébrale, ses causes, ses conséquences médicales et sociales.
Sidwaya (S) : Qu’est ce que la paralysie cérébrale ?
Julie Kyelem (J.K.) : Merci de nous donner l’opportunité de parler d’une pathologie qui nous tient à cœur, qui est de plus en plus fréquente dans notre société et surtout qui est méconnue. La paralysie cérébrale, anciennement on l’appelait infirmité motrice d’origine cérébrale ou infirmité motrice cérébrale. C’est une maladie qui touche le cerveau et survient généralement chez les enfants. Elle entraine des troubles au niveau neurologique. Ces troubles peuvent toucher la motricité, le tonus musculaire, les postures, par exemple la posture assise, la posture debout. Egalement, on peut avoir des troubles cognitifs. Quand on dit troubles cognitifs, c’est le retard du langage et le retard mental. On peut aussi également avoir l’épilepsie qui s’y associe et d’autres troubles à type de troubles de la vision ou la surdité.
S : Comment se manifeste la paralysie cérébrale ?
J.K. : Généralement, les parents constatent que l’enfant a un retard dans les acquisitions motrices. Par exemple, un enfant qui a 4 à 6 mois qui ne tient pas la tête, qui ne tient pas les objets, qui ne manipule pas les objets, qui ne répond pas aux stimuli. Par exemple, il y a la lumière qui passe ou bien, il y a un bruit et l’enfant ne se retourne pas. Donc en ce moment, ça doit inquiéter les parents. Si par exemple, à 12, 15 mois, l’enfant ne tient pas la position assise, il ne commence pas à faire 4 pattes, il ne répond pas à l’appel de son prénom. Ça doit être un signe d’alerte pour les parents. A 18, 24 mois, un enfant qui ne marche pas, qui ne se redresse pas, qui ne se met pas debout même avec appui, ça doit inquiéter les parents. Un enfant qui ne dit pas papa, maman à 18, 24 mois, ça doit inquiéter les parents et les amener à consulter. C’est vraiment le signe d’alerte sur lequel, nous insistons, pour que les parents puissent consulter tôt afin qu’on prenne en charge les enfants assez tôt, qu’on essaie de déterminer quels sont les types de troubles qu’ils ont. Est-ce que c’est des troubles moteurs? Est-ce que c’est la posture et voir à quel moment ces troubles ont pu survenir? Est-ce que c’était avant la naissance, pendant, ou après l’accouchement et pouvoir ainsi faire ce qu’on appelle une prise en charge vraiment globale qui va prendre en compte tous les aspects.
S : Justement, quelles sont les causes de la paralysie cérébrale chez les enfants et les adolescents ?
J.K. : Quand on prend les causes avant la naissance, c’est-à-dire pendant que l’enfant est dans le ventre de la maman, on peut avoir des causes génétiques. Les malformations peuvent induire certaines lésions cérébrales. C’est le cas par exemple, de la trisomie 21. On peut avoir également des mamans qui ont eu des pathologies pendant leur grossesse. Si une maman fait une infection pendant la grossesse et que cette infection touche le bébé pendant qu’il est en pleine croissance dans le ventre, ça peut entraîner des lésions cérébrales que l’enfant va garder. Pendant la naissance, c’est surtout les enfants dont le travail a été long. Les enfants s’épuisent pendant l’accouchement et quand ils sortent, il n’y a pas le premier cri. Les réactions de l’enfant ne sont pas appropriées et souvent c’est des enfants qu’il faut réanimer parce qu’après trois minutes sans oxygène, le cerveau a déjà des lésions. Donc c’est pour cela qu’à la naissance, il faut vraiment que l’enfant crie, l’enfant soit bien rose. Il ne faut pas qu’il y ait des souffrances foetales à la naissance. Les causes post-natales, cela veut dire après l’accouchement, c’est beaucoup plus les infections qui sont incriminées dans notre pays et dans notre région.
S : Vous avez dit que la paralysie cérébrale est de plus en plus fréquente, est-ce qu’on a des chiffres sur la prévalence au Burkina ?
J.K. : Au plan mondial, c’est 1,5 à 2,5 cas sur 1000 naissances vivantes. Donc la paralysie cérébrale touche à peu près 17 millions de personnes dans le monde. Au Burkina, on a fait une étude en 2022, puisque notre service fait ce qu’on appelle une consultation spécialisée pour les enfants et adolescents atteints de pathologies neurologiques. Au cours de ces consultations, on s’est rendu compte qu’il y avait 58% de patients qui consultaient pour la paralysie cérébrale, et leur âge allait de 5 mois à 7 ans. Vous voyez qu’en population pédiatrique, c’est une pathologie qui est fréquente.
S : Telle que vous avez décrit les manifestations de la paralysie cérébrale, on imagine qu’elle a des conséquences médicales. Quelles sont-elles pour les patients ?
J.K. : Les conséquences médicales pour les patients, c’est surtout, les troubles de la motricité qui vont limiter ces enfants dans leurs mouvements. Ce sont des enfants qui vont avoir une perte d’autonomie fonctionnelle. Quand ils ne sont pas pris en charge tôt, ils vont avoir des complications orthopédiques. Ces complications orthopédiques vont être des raideurs, des déformations rachidiennes, des déformations des pieds et des mains qui peuvent nécessiter même qu’on les prenne en charge avec une chirurgie en orthopédie pour mettre le rachis ou bien les membres dans une position anatomique afin de pouvoir faire une rééducation pour que les enfants récupèrent. Donc c’est pour cela qu’on insiste sur les consultations précoces. On peut également avoir une épilepsie qui va se greffer à ces troubles posturaux. Quand les lésions cérébrales sont vraiment sévères, c’est des épilepsies qui vont avoir tendance à être rebelles au traitement. On a des enfants qu’on suit qui ont trois, quatre médicaments antiépileptiques, malgré tout on n’arrive toujours pas à régler le problème de leur crise parce que c’est vraiment des crises qui sont très rebelles, qui sont très fréquentes et qui sont invalidantes.
S : J’imagine qu’il y a autant de conséquences sociales pour les patients eux-mêmes et leurs familles puisque vous parlez de perte d’autonomie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J.K. : Oui, les conséquences sociales aussi sont énormes pour le patient lui-même. Il y a le rejet de la société. Imaginez un enfant qui a quatre, cinq ans, qui ne tient pas la tête, qui ne s’assoit pas. Souvent on les voit se déplacer sur le sol, sur le ventre, donc il y a des mamans qui sont venus ici affolées parce qu’on a qualifié leurs enfants d’enfants

serpents… C’est vraiment stigmatisant et le regard de la société envers ces enfants n’est pas souvent bienveillant. De plus, on a beaucoup de déscolarisation, parce que souvent quand l’enfant a un retard mental et qu’on le met dans une institution scolaire qui ne tient pas compte de ces difficultés, on finit par dire aux parents de garder leur enfant à la maison parce qu’il n’est pas adapté à l’école. Donc, il y a beaucoup d’exclusions sociales qui concernent ces patients. Pour ce qui est des familles, en général, les parents de ces enfants sont anxieux, et dépressifs. On commence les consultations et puis après on sent que les parents se démotivent, donc à chaque fois qu’ils viennent, il faut les remotiver, leur dire non ! On continue le combat ! On continue le combat parce que c’est une maladie au long cours ! En fait, c’est une maladie chronique, donc nous suivons les enfants sur plusieurs années et la prise en charge est vraiment adaptée au cas par cas. La paralysie cérébrale amène également souvent des distensions dans les familles africaines. Beaucoup essaient de dire que c’est la faute d’un tel, la faute de la maman, du papa. Cela génère beaucoup de culpabilité souvent dans les couples et bien souvent, on assiste à des drames familiaux. Tout cela pour vous dire que l’impact social
est tout aussi important que les conséquences médicales.
S : Comment se passe la prise en charge des enfants atteints de paralysie cérébrale au Burkina Faso ?
J.K. : On va dire que c’est une prise en charge qui est multidisciplinaire, parce que sincèrement seul, on ne peut pas y arriver. Donc, c’est une prise en charge qui va faire intervenir les pédiatres, les neurologues, les kinésithérapeutes qui vont prendre en charge ces enfants pour qu’ils aient des acquisitions motrices. Elle va faire intervenir les orthophonistes qui vont aider les enfants à apprendre à s’exprimer. La prise en charge des enfants fait intervenir également les orthoprothésistes parce que pour les enfants qui ont déjà les déformations, ils vont faire des attelles ou des chaussures adaptées à ces enfants pour leur permettre d’avoir des acquisitions, de limiter les rétractions. Elle fait intervenir des ergothérapeutes et même les nutritionnistes parce qu’il y a certains enfants même qui ont des difficultés d’alimentation. Donc on est obligé de faire appel aux nutritionnistes pour aider les mamans dans la composition de leur repas pour que ce soit des repas enrichis, pour éviter que les enfants ne fassent des dénutritions assez sévères. Cela dit, au Burkina, il n’y a pas une filière en tant que telle bien organisée qui permette la prise en charge, des enfants atteints de paralysie cérébrale. Mais nous essayons de travailler de façon collégiale et on sait à qui référer les enfants.
S : Qu’en est-il du coût de la prise en charge d’un enfant atteint de paralysie cérébrale, surtout avec la large gamme de spécialistes qui doit intervenir pour améliorer son bien-être ?
J.K. : La prise en charge est quand même onéreuse, parce que déjà quand ils viennent en consultation, il y a des examens à faire pour poser les diagnostics. Il y a le scanner cérébral, l’électroencéphalogramme, les tests psychométriques qu’il faut faire pour essayer de voir est-ce qu’il n’y a pas des troubles mentaux associés, des troubles cognitifs qu’il faut tiper. Est-ce que c’est un problème de langage ? En ce moment l’orthophoniste aussi a un bilan qu’il fait avant de faire la prise en charge. Donc, c’est une prise en charge qui est codifiée. Cela fait que c’est assez onéreux. Bien sûr, il y a le ministère de la santé qui nous permet quand même de prendre en charge les enfants de moins de cinq ans dans les structures publiques. Donc cela devient vraiment coûteux pour eux et souvent on assiste à des abandons. Il y a des parents qui finissent par abandonner la kinésithérapie, l’orthophonie parce que ça leur coûte cher.
S : Est-ce qu’on peut en guérir ?
J.K. : Il y a des enfants qu’on récupère sur le plan des acquisitions motrices, du tonus. Il y a des enfants qui marchent. Bien sûr, c’est ceux qui viennent tôt et cela dépend aussi de la sévérité des lésions cérébrales. Ceux qui n’ont pas des lésions cérébrales sévères, on arrive quand même à en récupérer une bonne partie. Maintenant ce qui reste, c’est l’adaptabilité à l’école classique que nous connaissons. Souvent, même quand on arrive à avoir les acquisitions motrices et qu’on dit aux parents, on peut espacer les suivis, c’est des enfants qui nous reviennent à 6-7 ans parce que l’enfant est arrivé au niveau CP, au niveau CE1 et on se rend compte
qu’il y a maintenant des difficultés d’adaptation scolaire. C’est d’ailleurs pour cela que je dis toujours aux parents lorsqu’ils viennent en consultation pour la première fois que c’est un combat et leur combat est le nôtre et on va y arriver pas à pas, parce que le processus, il est long. Ce sont des enfants qui vont grandir. Ils ont leur place dans la société. Donc, il faut qu’on se batte pour eux. Sinon, cela va être des enfants qu’on va laisser-pour-compte.
S : Dans le cadre de la Journée mondiale de la paralysie cérébrale, vous avez lancé un plaidoyer. Quelles sont vos attentes ?
J.K. : Déjà, le fait d’en parler à travers les différents médias, cela va lever un peu un voile pour qu’on sache qu’on a des cas. Il faut maintenant réfléchir à comment les prendre en charge de façon globale. Donc, nos attentes, c’est que d’ici à cinq ans, dix ans, on puisse avoir des institutions qui vont être à la fois hôpital et école. Et dans cette institution, il y a le volet santé qui va être pris en charge. Cela veut dire
qu’il y aura des pédiatres, des kinésithérapeutes, des orthophonistes affiliés à ces structures pour la prise en charge sur le plan médical. Et en même temps, on a des éducateurs spécialisés pour le volet scolaire et les autres aspects. Ce serait vraiment intéressant à terme si on arrive à avoir une institution qui va regrouper cette prise en charge globale, aussi bien médicale que les aspects psychosociaux. Cela va permettre qu’il n’y ait plus d’errance des parents. S’ils vont dans ces structures, ils savent que l’enfant va pouvoir toucher tous les différents professionnels, aussi bien de santé
que les professionnels en termes d’éducation scolaire. Cela va permettre qu’ils soient beaucoup plus motivés aussi, beaucoup plus enclins à accompagner leurs enfants dans le processus.
S : Vous l’avez dit, les parents d’enfants atteints de paralysie cérébrale sont des combattants. Quel est votre mot à leur endroit ?
J.K. : Nous encourageons les parents à consulter tôt. Ce n’est pas une fatalité. Cela peut arriver à tout le monde. Cela peut toucher toutes les couches sociales. Nous les encourageons à rester motivés parce que c’est une maladie chronique. Ce sont des enfants que nous suivons longtemps, pendant des années. Donc, chaque fois qu’ils viennent, on s’encourage toujours à rester. Il faut qu’on y aille, mais dans la main, pour le bien-être de nos enfants.
Entretien réalisé par Nadège YE