Avec un bassin de 140 000 km2, le fleuve Mouhoun est victime depuis quelques années de cas de pollution avec la mort d’espèces aquatiques et d’ animaux qui s’y abreuvent. L’action anthropique en est la principale cause.
Siby, commune rurale des Balé, abrite l’un des sites d’orpaillage les plus importants de la province. Dans le village de Kalio, situé à environ 10 kilomètres du fleuve Mouhoun, les orpailleurs mènent leurs activités d’extraction artisanale de l’or depuis près d’une dizaine d’années dans la forêt qui longe le cours d’eau (1000 kilomètres).
Ce lundi 28 août 2023, malgré l’interdiction par le ministère en charge des mines de toute activité d’orpaillage en période d’hivernage, le site grouille de monde. Des vrombissements de machines par-là, de la musique par-ci, le site n’a rien perdu de son ambiance habituelle. Des bassins et des fosses reliés par des tuyaux, des tas et sacs de minerais sont perceptibles un peu partout sur les lieux.
Pendant que certains travaillent dans les galeries, d’autres s’attellent à extraire l’or des minerais en utilisant des substances nocives pour la flore et la source d’eau. « Les fosses que vous voyez servent à extraire l’or par le cyanure », souffle un orpailleur. Pour Issa (nom d’emprunt), un artisan minier sur le site depuis trois ans, cette pratique est courante. Selon lui, la plupart des orpailleurs qui utilisent ce produit ignorent sa dangerosité. L’objectif est « d’extraire le maximum d’or. Le reste … », lâche-t-il.
L’utilisation du cyanure a causé un désastre environnemental, le 6 juillet 2021. Ce jour-là, les populations de Poura (province des Balé) ont découvert une grande quantité de poisson, ainsi que du bétail, morts sur les rives du fleuve, informe un communiqué du gouverneur de la région de la Boucle du Mouhoun. Dans un premier temps, le ministère en charge de l’eau réfute la thèse de pollution par le cyanure, imputant le drame à l’augmentation de la turbidité de l’eau.
Mais dans un second temps, le département de l’eau annonce que des enquêtes sont en cours pour déterminer les causes réelles du drame. Certains riverains, cités par l’Agence d’information du Burkina (AIB), confient que des produits chimiques drainés depuis le site d’or de Siby seraient à l’origine de ce désastre.
Abdoul Aziz Sankara, président du Conseil villageois de développement (CVD) et membre du conseil de veille de Sékako (commune de Siby) témoigne : « Ce jour-là, il y a une famille qui partait au champ avec ses bœufs de trait. Face à une flaque d’eau, les animaux ont bu l’eau et deux bêtes sont mortes sur-le-champ et d’autres quelques mètres après ». Il ajoute que trois heures après, l’eau étant drainée vers le fleuve, la population a constaté la mort de poissons.
Bouma Bassolé est agriculteur à Sékako. Ce jour-là, il dit avoir perdu trois de ses bœufs qui s’étaient abreuvés à une flaque d’eau. Selon Abdoul Aziz Sankara, les membres du comité de veille ont remonté la source de la catastrophe et découvert qu’elle venait de produits chimiques déversés sous des grottes dans la forêt.
L’orpaillage, les pratiques agricoles et industrielles : danger !
Le 28 janvier 2021, le gouverneur de la région de la Boucle du Mouhoun alertait par communiqué l’Agence des eaux du Mouhoun sur un possible changement de couleur de l’eau du fleuve dans sa partie Zamo-Boromo. L’Agence dépêche aussitôt une mission pour faire l’état des lieux de la situation. Celle-ci révèle que le problème est l’une des conséquences des méthodes artisanales d’extraction de l’or sur les berges.
« Les sédiments et les eaux issues du traitement sont rejetés directement dans le fleuve, entraînant ainsi une augmentation de la turbidité et le changement de la couleur de l’eau. Les mesures de la turbidité de l’eau sur le terrain et les évaluations au laboratoire, notamment des métaux lourds comme le fer pouvant être associés à l’or ont confirmé le caractère polluant des rejets des eaux usées issues du lavage des minerais à proximité du cours d’eau », explique l’Agence des eaux du Mouhoun dans son rapport de 2016 sur la cartographie des sites d’orpaillage de son espace de compétence.
Le 12 février 2023, par communiqué, le président de la délégation spéciale de la commune de Poura, Momini Sawadogo, informait les populations d’une nouvelle forte mortalité de poissons constatée dans le fleuve. Selon l’ingénieur en génie rural, Ibrahim Aka, directeur de l’eau et de l’environnement à l’Agence des eaux du Mouhoun, l’orpaillage est plus prononcé dans le Mouhoun inférieur c’est-à-dire la zone de Koudougou en descendant vers le sud-ouest. « C’est dans cette zone que nous avons enregistré la mort de poissons l’année dernière. Donc l’orpaillage nous pose d’énormes difficultés », témoigne-t-il.
« L’orpaillage est un phénomène très compliqué à maîtriser dans notre bassin parce qu’il y a plusieurs procédés d’extraction et de traitement. Certains utilisent le mercure et d’autres des méthodes avec de la boue qui est déversée dans le cours d’eau. Quelle qu’en soit la méthode, il y des conséquences », reconnaît Ibrahim Aka. Le président CVD de Sékako explique que les orpailleurs installent leurs machines au bord du fleuve et les produits chimiques utilisés sont reversés dans l’eau à travers les eaux pluviales.
D’après les confidences de certains acteurs de l’orpaillage, le mercure, le cyanure, le zinc et l’acide sulfurique sont les plus utilisés pour extraire l’or. Cela a développé une contrebande de ces produits chimiques. Dans la nuit du 9 au 10 septembre 2021, la douane a saisi 11,5 tonnes de cyanure estimées à 29 900 000 F CFA. Le CVD affirme que des produits chimiques ont été découverts à un point où des trafiquants traversent le fleuve habituellement pour rejoindre le site d’orpaillage.
L’action humaine à l’origine
Le rapport de 2016 de l’Agence de l’eau du Mouhoun (AEM) classe le fleuve Mouhoun parmi les cours d’eau les plus menacés avec 12 sites d’orpaillage enregistrés à ses environs. « Depuis le sous-bassin du Mouhoun inférieur amont jusqu’au sous-bassin Mouhoun inférieur aval en passant par le sous-bassin Bougouriba, l’ensemble des cours d’eau constitués par la partie du fleuve Mouhoun dans cette zone sont tous vulnérables », lit-on dans le rapport.
Le directeur provincial de l’eau et de l’assainissement des Balé, Abdoulaye Sory, confie que depuis fin 2019, trois cas majeurs de pollution des eaux du Mouhoun ont été relevés. « Pour chaque cas, les autorités ont toujours promis de mener des investigations pour déterminer les causes. Nos démarches pour obtenir les résultats de ces investigations auprès du ministère en charge de l’eau et de l’environnement sont restées sans succès »,fait-il savoir.
Mais le directeur provincial de l’eau et de l’assainissement des Balé pense que les pollutions sont toutes d’origine humaine. Les plus en vue sont l’orpaillage et l’agriculture. D’après des données relevées sur le fleuve, argumente le directeur provincial, il y a des périodes où, le taux de turbidité est élevé, notamment en début de saison des pluies. « A cette période, les agriculteurs commencent à mener des activités sur les champs qui sont autour du fleuve. Avec les premières pluies ça se charge et on constate des cas de mort de poissons », explique Abdoulaye Sory.
Outre l’activité de l’orpaillage et celle agricole, l’ingénieur de génie rural, Ibrahim Aka, pointe du doigt les activités industrielles, notamment dans la ville de Bobo-Dioulasso. Il révèle que des affluents drainent souvent des eaux pluviales de mauvaise qualité à cause de certains produits déversés dans la nature. « Nous avons eu à faire des prélèvements et nous nous sommes rendu compte que l’activité industrielle porte un coup au fleuve à travers la rivière Kou. », soutient Aka.
Toutefois, prévient le directeur provincial en charge de l’eau des Balé, « après analyses, il est difficile de prouver scientifiquement que c’est tel ou tel produit chimique qui est à l’origine de la pollution. En effet, certains produits chimiques en contact avec l’air, perdent en quantité, ce qui fait que quelque temps après les faits, si vous faites vos analyses, vous allez trouver une quantité infime du produit dans l’eau pour créer une pollution ». Néanmoins, dit-il, à chaque cas de pollution, un comité d’urgence au niveau provincial mène des activités de sensibilisation, d’information et de recherche de la cause.
De la veille pour prévenir
Dans ces événements relevés ces quatre dernières années, du poisson (des tonnes) et de nombreux animaux morts ont été enregistrés. Même si, selon le directeur provincial en charge de l’eau des Balé, aucun cas de décès ni de maladies liées directement à ces pollutions n’a été relevé sur des personnes, elles ont cependant un impact sur la vie des populations.
« L’eau courante de Boromo est pompée à environ 90% du fleuve donc quand il y a un cas de pollution, le pompage s’arrête et l’approvisionnement en eau potable diminue », laisse entendre Abdoulaye Sory. Afin de limiter les cas de pollution du fleuve Mouhoun, l’ingénieur en génie rural Aka estime qu’il faut une concertation avec les orpailleurs dans le but de les amener à réduire l’utilisation des produits chimiques dans les activités d’extraction de l’or.
« Il y a eu des partenaires qui nous ont aidés avec du matériel d’extraction d’or sans produit chimique et nous comptons promouvoir cette pratique. Nous avons également 13 comités de veille qui dénoncent un certain nombre de pratiques néfastes », signifie Ibrahim Aka. A sa suite, Abdoulaye Sory fait savoir qu’il y a des solutions qui sont mises en œuvre, notamment en collaboration avec l’Agence des eaux du Mouhoun à travers des activités de sensibilisation, de formation et aussi de veille.
« Nous essayons de veiller à ce que les agriculteurs qui sont au bord du fleuve n’utilisent pas de produits chimiques dans l’agriculture », dit le directeur provincial. Pour un meilleur suivi d’éventuels cas de pollution, il préconise un bon équipement en matériel fiable. Quant à l’orpailleur Issa, il plaide pour plus de sensibilisation des artisans miniers. Si « le fleuve disparaît, nous aurons des difficultés pour mener à bien notre activité », reconnaît-il.
Joseph HARO