L’utilisation des produits chimiques sur les surfaces agricoles est de plus en plus mise en cause. Conscients de leurs effets néfastes sur l’environnement, certains producteurs burkinabè optent pour l’agriculture biologique et agroécologique, à travers des intrants naturels qui leur permettent de booster leur rendement et de préserver les terres pendant des décennies.
Louis Marie Bakouan est un agriculteur à Dydir dans la région du Centre-Ouest. Il dispose d’un champ de deux hectares où il cultive du mil, du maïs, du haricot et des légumes. Il utilise une portion de l’espace, pour la production de chou, tomate, oignon et poivron sans intrants chimiques. Malheureusement, la technique n’a pas donné, car le sol a subi la ‘’fureur’’ des produits chimiques.
Les techniciens de l’agriculture expliquent la situation par le fait que si le sol a déjà fait l’objet de l’utilisation de pesticides, le producteur doit le rétablir avec de la fumure organique ou du compost. S’il s’agit des intrants non homologués qui ont été appliqués, le temps de la rémanence du champ peut aller à 10, voire 30 ans. Estimant que ce délai est trop long, M. Bakouan se trouve un autre site d’un hectare pour la maraîcher-culture.
Ce vendredi 17 juin 2022, nous l’avons trouvé tout jovial sur son site, en train d’admirer la physionomie de certaines spéculations qu’il a semées, il y a deux semaines de cela. « Chaque année, avec ce site, je constate une grande différence, par rapport à celui où j’utilise les produits chimiques. Le rendement est intéressant avec les intrants naturels », s’enthousiasme-t-il. Il confie que la production de la fumure organique nécessite un effort physique. En plus, elle prend énormément du temps.
A entendre le sexagénaire, il faut disposer de l’herbe fraiche, de la bouse de vache, de fiente de volaille et des feuilles de certains arbres. Ensuite, il faut mélanger l’ensemble et l’arroser permanemment afin qu’il pourrisse rapidement. « C’est vraiment lent, mais si la technique du compostage est réussie, elle représente l’or pour nous, parce que nous ne dépensons pas beaucoup d’argent.
Tout est naturel et nous produisons sain et sans perte », justifie-t-il. Le président de l’Association féminine de Watinoma, Hado Ima, producteur résidant à Koubri, localité située à une vingtaine de Kilomètres de Ouagadougou, renchérit que la fumure organique préserve la fertilité du sol. « Nous avons eu des propositions d’intrants bio pour un essai sur notre site de trois hectares, mais nous avons refusé, parce que, même s’ils sont homologués, nous nous abstenons.
Nous ne faisons confiance qu’à ce que nous produisons comme intrants naturels, car nous sommes regardants sur nos terres et nous voulons les préserver », lance-t-il. Pour lui, il n’est pas question de dépendre de l’extérieur, du moment que les producteurs burkinabè possèdent des richesses à l’intérieur du pays. Il confie que tous leurs engrais et pesticides sont produits naturellement par les femmes de l’association. Bioprotect qui est un groupement d’intérêt écono-mique, travaille avec des milliers d’agriculteurs qui produisent également des intrants naturels adaptés aux sols et cultures du Burkina Faso.
Le président de l’Association pour la protection de l’environnement et le développement rural (APEDR), Sayouba Bonkoungou souligne que dans la province du Passoré, l’association dispose de plusieurs fermes agroécologiques exploitées par des groupements féminins. Avec des techniques qui leur sont enseignées, des femmes fabriquent des engrais liquides et solides biologiques.
Les intrants chimiques, un ‘’mal’’ nécessaire
Les défenseurs de l’utilisation des intrants chimiques estiment que ces produits constituent la clé du développement agricole, dans la mesure où ils permettent d’accroitre les rendements et de lutter contre les nuisibles. Des agriculteurs avancent que les aléas climatiques et la rareté des pluies sont l’une des raisons qui les poussent à utiliser ces intrants.
Le producteur Louis Marie Bakouan, confie qu’avec les bio-pesticides, il faut une quantité énorme de pesticides naturels et si les agriculteurs veulent appliquer sur de grandes superficies, le travail devient très pénible, d’où le recours selon lui, aux intrants chimiques. L’ancien directeur général de la préservation de l’environnement et du développement durable, actuellement directeur de recherche au CNRST/INERA, Pr Paul Savadogo clarifie que lorsqu’un champ ne reçoit pas une quantité importante de pluviométrie, le peu d’eau que le sol retient doit être utilisé par les plantes de manière efficiente.
L’apport de certains engrais chimiques en ce moment permet de booster mieux la production. Il fait savoir qu’il y a certains prédateurs, comme les chenilles légionnaires et les termites qui se développent en période de sécheresse. « S’il y a l’eau en abondance, ces organismes n’ont pas assez de force, mais dès qu’il y a un déficit hydrique, ils sont vigoureux pour attaquer les plantes et les agriculteurs sont obligés de traiter avec les pesticides chimiques», détaille-t-il.
Pour Pr Savadogo, bien que ces produits chimiques homologués donnent des résultats en termes de productivité agricole, ils ont des conséquences sur la santé humaine et l’environnement. Loin d’être une contradiction, ces pesticides à son avis, sont un mal nécessaire, parce que si le Burkina Faso arrête de les utiliser, les rendements seront moindres et il sera difficile de nourrir plus de 20 millions d’habitants. C’est la raison pour laquelle, le ministère en charge de l’agriculture a homologué ces produits chimiques.
Des tests sont faits pendant plusieurs années, avant que le produit ne soit homologué, pour s’assurer si les effets sont moindres ou pas. Etant donné qu’aucun médicament n’est sans effet et que tout est question de molécule et de dose, le directeur de recherche confie que les produits homologués sont aussi toxiques, seulement qu’ils sont moindres par rapport à ceux non homologués.
Il souligne que le vrai problème est la porosité des frontières qui pousse des commerçants véreux à faire entrer frauduleusement ou par la contrebande, ces produits dangereux. Lesquels produits, dit-il, détruisent rapidement les insectes nuisibles, parce qu’ils sont à des concentrations élevées où les molécules sont plus toxiques.
Face à cette situation incontrôlée, Pr Savadogo pense que la promotion de l’agriculture bio, c’est pour le futur. L’idéal aurait voulu selon lui, que ces engrais chimiques soient remplacés, par ceux qui vont avoir de moins en moins d’innocuité sur la santé humaine, animale et environnementale.
Les ‘’amoureux’’ de la terre
Les producteurs qui sont dans le bio et dans l’agroécologie, reconnaissent que la terre sur laquelle ils cultivent, a besoin d’être préparée pendant toute l’année, pour la rendre fertile. Le coordonnateur des femmes pour l’agroécologie de l’Association féminine de Watinoma Adbila Ima, indique que cette pratique préserve l’environnement, restaure les sols, protège les animaux, le producteur lui-même et son entourage.
Le président de ladite association, Hado Ima, souligne qu’avec les intrants chimiques, le sol est fréquemment sec et il a besoin suffisamment d’eau. A l’en croire, avec le problème d’accès à l’eau pour les populations au Burkina Faso, il serait mieux que les agriculteurs optent pour l’agroécologie et la culture biologique, pour sauver les terres cultivables. « Nous ne sommes pas des agronomes, nous sommes des amoureux de la terre. Nous avons beaucoup voyagé dans le monde et nous avons vu que cette pratique est meilleure.
Pourquoi ne pas l’essayer chez nous », s’interroge M. Ima. Il soutient que si des étudiants qui préparent leur thèse en agroécologie, s’intéressent à son site, c’est parce qu’il y a un avenir dans cette technique de cultiver, avec des intrants naturels. Issue d’une famille d’agriculteurs, la directrice de Bioprotect, Martine Sawadogo, a foi en l’agriculture biologique. Elle se convainc qu’avec l’agroécologie, toutes les spéculations peuvent être produites. « J’ai pris une clairière abandonnée depuis plus de 40 ans.
Je l’ai ressuscitée en mettant plus de 40 tonnes de compost et j’ai produit de la pomme de terre sur ce site », avoue-t-elle. Elle affirme que les intrants chimiques sont volatiles et ne permettent pas de retenir l’eau au sol pendant une longue durée. « Le produit chimique ne nourrit que la plante, il n’entretient pas le sol. Lorsqu’il pleut, l’eau reste en surface et le producteur se retrouve avec du sable », regrette-t-elle. Pour elle, la plante a besoin de l’engrais NPK pour grandir.
L’agroécologie, la mère protectrice de l’environnement
Revisitant son cours de chimie, Mme Sawadogo explique que le N c’est l’azote qui permet à la plante de se développer et qui se retrouve dans la paille. Le P, le phosphore qui est également contenu dans la paille et dans les déchets des animaux. Le K qui est le potassium se trouve dans les herbes. « Nous disposons de tout ce qui est naturel pour produire bio, pourquoi s’acharner sur les pesticides et les engrais chimiques qui détruisent nos terres », s’indigne-t-elle.
Le directeur de recherche au CNRST/INERA, Pr Paul Savadogo, en donnant la relation qui existe entre les produits chimiques et la dégradation des sols, précise que le sol possède des compartiments à savoir, solide, liquide, chimique et biologique. Au niveau du compartiment chimique, il y a le Potentiel hydrogène (PH). Celui-ci peut être plus ou moins acide ou encore basique, alors que les plantes, à son avis, ont besoin de se développer à des PH neutres. « Avec le produit chimique, le PH va chuter ou monter, selon la basicité ou l’acidité du produit et du coup, perturber l’ensemble de l’écosystème », prévient-il.
Dans le compartiment biologique, il y a des êtres vivants à la surface ou dans le sol, qui peuvent être des escargots, des vers de terre, fourmis, termites et autres types d’insectes, qui ont une fonction très importante dans la fertilisation du sol. « Si les produits sont appliqués, même si ces insectes ne vont pas mourir, ils vont fuir et le compartiment biologique sera détruit », précise-t-il. Le chercheur souligne qu’il y a des microbes dans le sol qui sont invisibles à l’œil nu et qui sont extrêmement importants, car ils décomposent toutes les matières organiques en des éléments plus petits que la plante utilise comme aliment.
Selon lui, l’aliment de la plante est généré par ces organismes vivants et s’ils sont détruits, le sol devient stérile et la plante aura du mal à se développer. Martine Sawadogo de Bioprotect soutient que la terre coûte cher au Burkina Faso, plus qu’au Niger, en Côte-d’Ivoire et au Togo et elle doit être préservée pendant plus d’une trentaine d’années, pour que la génération future puisse en profiter. Le ‘’pays des Hommes intègres’’, a une superficie de 274 200 km2 et elle précise que même s’il n’y avait pas le terrorisme, cette superficie était déjà réduite en 1/3, avec des sols dégradés, à travers l’utilisation des produits chimiques.
« La terre est notre fonds de commerce et la pratique de l’agroécologie est comme la mère protectrice de l’environnement », fait-elle savoir. Le chercheur, Pr Savadogo estime qu’avec déjà les cultures hors sol, tout sera obsolète à l’avenir et il n’y aura plus de surfaces cultivables. La directrice de Bioprotect, quant à elle indique que le bio est comme une pratique ancestrale, qui doit être ‘’ressuscitée’’. Elle dit regretter le fait que le Burkina Faso enseigne ces produits dangereux dans les curricula et dépense chaque année des milliards pour leur acquisition, pendant que l’Europe est en train de promouvoir la production bio.
Toute invention humaine a des conséquences
Le directeur de recherche au CNRST/INERA, Pr Paul Savadogo, affirme que des techniques de production de la fumure organique existent au niveau de la recherche, qui puissent amener le ‘’pays des Hommes intègres’’, à atteindre l’autosuffisance alimentaire. La politique du Burkina Faso a encouragé pendant longtemps cette production à travers les fosses « compostières », le biogaz et les fosses à biogaz, qui produisent aussi d’autres types de compost.
« Nous sommes conscients qu’il faut développer toutes ces techniques, mais la difficulté, c’est la quantité, car celle produite n’est pas suffisante pour pouvoir amender tous les sols qui en ont besoin et les paysans n’arrivent pas non plus, à appliquer les doses recommandées », s’inquiète-t-il. L’ancien directeur général en charge de l’environnement, soutient que les produits chimiques nuisent à la santé environnementale, animale et humaine. Il note que la science travaille à bannir ces produits dangereux.
Tout comme les engrais et pesticides chimiques, il confie que l’utilisation des produits biologiques comporte aussi certains dangers. En science et surtout en environnement, il y a le principe de précaution et celui de l’amélioration continue. « Pendant qu’on trouve une solution, il ne faut pas tout de suite dire qu’elle est une solution miracle, car elle peut avoir aussi des conséquences. Raison pour laquelle, il faut continuer la recherche pour une amélioration », suggère-t-il.
Et d’ajouter qu’aucune invention humaine n’est sans conséquence. « Si nous voulons une agriculture sans impact, ne faisons pas l’agriculture. Laissez les Hommes vivre de cueillette et de chasse, parce que le risque zéro n’existe pas. En matière scientifique, rien n’est acquis, tout s’améliore », se convainc-t-il. En dehors de l’utilisation des bio pesticides et fertilisants, le président de l’APEDR, Sayouba Bonkoungou, souligne qu’il existe des techniques mécaniques de gestion durable des terres, tels, le zaï, les demi-lunes, les cordons pierreux, la pratique de la Régénération naturelle assistée (RNA), qui permettent de maintenir la fertilité des sols et à accroitre la productivité agricole.
Le directeur de recherche au CNRST/INERA, Pr Paul Savadogo fait savoir que les demi-lunes et le zaï sont des connaissances endogènes qui ont été reprises par la recherche et mécanisées de nos jours. Des technologies existent à travers les recherches au niveau de l’agriculture, qui tardent à être vulgarisées, par manque de financement. Il précise que c’est l’agriculture familiale qui nourrit les Burkinabè et ceux qui la pratiquent ne disposent pas de moyens pour aller vers les nouvelles technologies.
Pour enlever cette ‘’épine’’ du pied, le chercheur Savadogo souligne que l’agroécologie et l’agriculture bio sont des solutions en expérimentation. Des connaissances ont été accumulées au niveau de la recherche et nécessitent d’être partagées avec les populations pour pouvoir atteindre les objectifs de l’autosuffisance alimentaire, la préservation de la santé animale, environnementale et humaine.
Afsétou SAWADOGO