Récupération des terres dans le Plateau central: La touche de Ablacé Compaoré sur la plaine de Betta

La région du Plateau central figure parmi les localités du Burkina Faso où l’on rencontre des terres dégradées du fait des actions anthropiques et des effets climatiques. Mais, Ablacé Compaoré, agro-écologiste hors-pair, a su, avec ingéniosité, redonner vie à la plaine de Betta, à 30 kilomètres de Ziniaré, chef-lieu de la région.

La cinquantaine bien sonnée, marié et père de sept enfants, Ablacé Compaoré est un « génie » de l’agro-écologie dans la commune rurale de Betta, à 30 kilomètres de Ziniaré (Plateau central). Le natif de Koulgandgo, village situé à cinq kilomètres de la commune, surnommé à ses débuts, le « fou », participe activement à la Gestion durable des terres (GDT), dans la localité, à travers la récupération des terres dégradées. Il pratique, l’agriculture sans produits chimiques dans sa ferme d’une superficie de cinq hectares. L’on y trouve de l’oignon, des légumes, des arbres fruitiers tels que le baobab, l’oranger, le papayer et le moringa. L’élevage, non plus, n’a pas de secret pour cet ingénieur et formateur en agro-écologie (diplôme reçu en 2008), une discipline qui allie agriculture et préservation de l’environnement grâce à des pratiques agricoles et forestières purement naturelles. En décembre dernier dans cette bourgade du Plateau central, un froid règne sur le « temple » agro-écologique de l’ingénieux Ablacé Compaoré. Des cris d’oiseaux se font entendre de l’intérieur alors que dehors, un calme olympien s’étale aux alentours de la ferme. Nous sommes accueillis par M. Compaoré pour une visite guidée de son patrimoine agro-écologique qui force l’admiration. A l’entrée de la ferme, se trouve un espace récupéré qui sert de témoin aux visiteurs. « Quand j’ai des visites, elles commencent par cette terre dure qui a été récupérée », indique-t-il. Avec un véhicule, Ablacé Compaoré dit avoir transporté, avec ses collaborateurs, cinq fois, de la terre pour récupérer la partie dégradée. « Quand nous recevons des élèves, nous leur montrons cela et ils ont décidé, à un moment donné, d’y dessiner la carte du Burkina Faso à l’aide de cailloux », explique-t-il dans un large sourire.

Reverdir la terre des ancêtres

Aussi, le quinquagénaire reconnaît qu’il appartient aux Burkinabè de reverdir le Burkina Faso, « terres de nos ancêtres ». C’est pourquoi, il soutient, s’être retrouvé entièrement dans la paysannerie après son Certificat d’études primaires (CEP). « J’ai travaillé deux ans et demi en Côte d’Ivoire dans les plantations de café et de cacao. Quand je suis revenu au Burkina Faso en 1993, je me suis lancé dans le mouvement associatif dans mon village », révèle-t-il. Ce mouvement, décline-t-il, est l’Association interzone pour le développement en milieu rural (AIDMR) qui regroupe 47 villages dans les régions du Plateau central, du Centre-Nord, du Centre-Ouest. La structure existe dans cinq provinces (Oubritenga, Bam, Namentenga, Sanmatenga et Ziro). Coordonnateur de l’AIDMR, il explique que le but de l’Association est de développer des techniques culturales de manière naturelle pour éviter l’utilisation abusive des produits chimiques qui affectent la santé humaine et animale, dégradent considérablement les terres et réduisent le rendement des cultures. « C’est dans cet objectif que nous avons initié de produire en évitant de détruire l’environnement et les écosystèmes qui le composent », laisse-t-il entendre. Nanti de connaissances approfondies sur les techniques de cordons pierreux, de zaï, de demi-lune et d’agroforesterie comme la Régénération naturelle assistée (RNA), Ablacé Compaoré connaît l’agriculture du bout de ses doigts. Sa ferme comprend un bassin équipé d’un sous-sol, d’une profondeur de 50 centimètres qui permet non seulement de faire de la pisciculture, mais d’arroser des arbres fruitiers à savoir l’oranger dont la production est estimée à plus de 250 oranges. L’irrigation a, pendant longtemps, été amorcée par une pompe manuelle que la ferme, abritant également un centre de formation agro-écologique, s’est dotée en 2007. Pour Ablacé Compaoré, cette pompe fut la toute première trouvaille de la ferme pour s’assurer de la disponibilité de l’eau en tout temps. Toutefois, le pompage à la main, selon ses explications, réduit les activités d’irrigation et les besoins divers en eau, d’où la nécessité d’utiliser une pompe solaire photovoltaïque.

Une irrigation permanente

« En 2011, le centre a organisé son premier atelier de formation, d’une semaine, à l’agro-écologie avec une cinquantaine de participants regroupant des Burkinabè, des Maliens et des Togolais ». Aux dires de M. Compaoré, la difficulté d’avoir de l’eau pour la douche et l’arrosage, s’est posée. C’est ainsi que le choix pour une petite pompe solaire d’une valeur de 400 000 F CFA, s’est opéré, juste le temps de remplir un bassin de 9 m3. « Cette pompe a tenu pendant trois ans et avec l’appui de l’entreprise française SOGEA SATOM, en 2014, nous avons installé une bonne pompe solaire, d’un montant de sept millions F CFA, munie de trois panneaux solaires de 200 W reliés directement à un puits de 48 m alimentant trois polytanks respectivement de 5 m3, 3 m3 et 2 m3 soit, au total 10 m3 », ajoute-t-il. Cette pompe solaire d’une forte pression facilite l’irrigation, à l’aide de tuyaux, de jeunes plantes fruitières notamment des papayers estimés à plus de 300 pieds dans le jardin agro-écologique, l’irrigation goutte-à-goutte ayant montré ses limites, aux dires de l’ingénieur. « Quand la production annuelle va être lancée, l’on pourra récolter, à la fin, près de cinq tonnes de papayers », rassure Ablacé Compaoré. Les papayers dont les pieds (2m x 4m pour un pied soit 8 m2) sont clairsemés et associés à des légumes sur l’ensemble de l’espace agro-écologique. Des polytanks servent à une irrigation permanente de productions locales telles que l’oseille, les feuilles de baobab et le Moringa. L’agro-écologiste appuie qu’en saison sèche, les populations soient approvisionnées par les planches de Moringa, des pépinières et de l’huile de tournesol, plante qui produit de belles fleurs prisées par les abeilles. « Ici, c’est une bande pour préserver la semence de patate douce dans une planche creusée à plus de 30 cm avec du compost pour que l’on ne soit pas confronté, en saison propice, à rechercher la semence de patate douce », nous montre le fermier.

Une école pour des femmes

Une autre initiative, rappelle-t-il, est de faire des parcelles comprenant chacune six planches au profit de dix femmes du village, aidées par un jeune de l’association, choisi pour arroser les arbres et remplir les matériels de stockage d’eau pour les femmes. « Il y a aussi un bassin de 4 m3 utilisé tous les soirs, principalement par les femmes pour irriguer leurs plants d’oseilles, d’oignons, etc. C’est une expérimentation lancée en 2018 et en contrepartie, les femmes entretiennent les arbres fruitiers qui procurent de l’ombrage pour leurs légumes », relate-t-il. Pour réussir leur travail, raconte Ablacé Compaoré, tous les quinze jours, les femmes sont formées à la production du compost par l’intermédiaire d’ouvriers chargés de convoyer les excréments d’animaux et la paille vers les fosses de compostage au profit des dix femmes. Par la suite, ce fumier organique est répandu dans leurs parcelles en lieu et place de l’engrais chimique purement interdit. La ferme de Ablacé Compaoré a un espace récupéré et aménagé d’un hectare. Il confie que les quatre hectares restants à récupérer sont réservés à des élèves et étudiants qui viennent découvrir des pratiques agro-écologiques à travers un « pan vacancier » (fin Août à septembre). « En 2019, au nombre de 33 élèves, ils sont venus du Burkina Faso, du Mali  et du Togo et ont passé une semaine dans le centre pour s’initier à l’agro-écologie et la connaissance de la terre, à travers des notions et des pratiques sur comment faire pousser une plante et un arbre », laisse-t-il entendre. Avec ses visiteurs de 2019, l’agro-écologiste, soutient avoir lancé un projet de mise en place d’un bosquet de 105 pieds de baobab d’un hectare sur un existant de 350 pieds de baobab en pépinière. « Imaginons 105 pieds de baobab dans 40 ans, il y aura forcément des traces », se convainc-t-il. En novembre 2019, la ferme agro-écologique de Ablacé Compaoré a reçu la visite de la coordination nationale de l’Initiative de la Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel (IGMVSS) en compagnie de médias. Comme bien d’autres visiteurs, l’ingénieur affirme qu’ils ont découvert des merveilles.

La Grande muraille verte émerveillée

Toujours, au plan agricole, l’équipe de l’IGMVSS a été émue par la culture sous serres, pratiquée, de l’avis de M. Compaoré, en Europe, souvent, pour avoir de la chaleur. Sous nos cieux, indique-t-il, il faut s’adapter au climat pour, par exemple, produire du piment et de la salade sur une superficie de 70 m2. En bon connaisseur des techniques agronomiques et écologiques, il démontre qu’avec cette forme de culture, il faut parfois laisser passer des insectes pour connaitre réellement leur rôle, car parmi eux, il y a des colonisateurs et des ravageurs. « En écologie, nous apprécions la qualité d’un fruit ou d’un légume par l’attaque d’un insecte qui connaît ce qui est bon et mauvais ». Il renchérit que l’on n’a pas besoin de les chasser avec des produits chimiques toxiques, en atteste l’existence dans sa ferme, de l’Origan de France, une plante à la fois alimentaire et phytosanitaire qui repousse certains insectes sur les cultures. Au plan de l’élevage, M. Compaoré témoigne que beaucoup de personnes viennent visiter des espèces de tortues qui, malheureusement, ne sont pas dans leur biotope. En conséquence, déplore-t-il, les œufs pondus sont écrasés par les femelles elles-mêmes. « Ici, c’est de la pierre et l’on prévoit de remettre de la terre sur une hauteur raisonnable, car il faut une certaine profondeur pour la tortue de poser ses œufs et les laisser éclore seuls », montre-t-il du doigt. Des poussins de moins d’un mois qui ont besoin de l’éclairage pour bien manger tout le temps et ne supportant pas le froid, eux, obtiennent la chaleur par chauffage de bois. Dès que les poussins sortent des coquilles d’œufs, explique M. Compaoré, ils sont « internés » à l’éleveuse et « la poule repart avec le coq ». Dans cet univers, des poussins de plus d’un mois et des poules en couvaison dans de nombreux pondoirs sont observés. Une trentaine de lapins adultes et leurs petits très bien vaccinés, selon Ablacé Compaoré, font également partie des espèces animales élevées. L’embouche bovine n’a également pas de secret pour le spécialiste en agro-écologie. En effet, toutes les deux semaines, les « étables » de bœufs sont nettoyées et les bouses sont transportées à la zone de compostage. Des compartiments d’embouche bovine, avec des précautions d’isolement, sont construits pour éviter d’éventuels conflits entre les animaux. « Ça, c’est un compartiment pour un seul taureau », lance-t-il. Le centre agro-écologique de Betta n’est pas la seule propriété de l’AIDMR, car il existe un deuxième site créé un an après le premier, au bas du village de Betta où se pratique intensivement la production maraîchère et fruitière, confie Ablacé Compaoré. Le terrain, à la création de l’Association en 2000, sans couvert végétal, fait-il comprendre, est de nos jours, un modèle de réussite agro-écologique qui oblige les paysans des autres contrées à suivre son exemple. Par ailleurs, foi de Ablacé Compaoré, l’AIDMR fait partie d’un vaste réseau d’initiatives de Gestion durables des terres (GDT). Elle est membre du Réseau sahélien des initiatives agro-écologiques (RSIA) regroupant des organisations burkinabè, béninoises, maliennes et togolaises.

                                                                                   Boukary BONKOUNGOU

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.