René Tassembédo, économiste-financier : « Beaucoup de ministères n’ont pas de référentiel interne sur le genre »

Dans cet entretien, l’économiste-financier, expert-formateur en budgétisation axée sur les résultats et en gestion des politiques économiques sensibles au genre, René Tassembédo, explique le concept de budgétisation sensible au genre et donne son appréciation sur son implémentation au Burkina Faso.

 

Sidwaya (S) : Que recouvre le concept de budgétisation/budget sensible au genre ?

René Tassembédo (R.T.) : Commençons par définir le budget et le genre. Le budget est l’ensemble des ressources financières que l’on peut avoir au cours d’une année et les activités/actions que l’on peut réaliser avec. Ces deux éléments doivent être présentés dans un document unique de telle sorte que les ressources (ou recettes) en termes de montant soient égales à leur utilisation (ou dépenses) en termes de montant également.

Le genre consiste à identifier et à mettre en œuvre des activités et des actions en vue de résoudre des problèmes spécifiques ou communs des femmes et des hommes de manière à réduire les inégalités de bien-être et d’épanouissement entre les deux sexes.

La Budgétisation sensible au genre (BSG) consiste donc à utiliser le mode de mobilisation et d’allocation des ressources financières aux activités/actions pour résoudre les problèmes spécifiques ou communs des femmes et des hommes tout en réduisant les inégalités de développement qui existent entre les deux  sexes.

S : Comment met-on en application une budgétisation sensible au genre ?

R.T. : La Budgétisation sensible au genre (BSG) s’applique à chaque étape du processus budgétaire ; c’est-à-dire pendant l’élaboration, l’exécution, le suivi-évaluation et le contrôle. De toutes ces phases, c’est l’élaboration qui détermine tout, surtout au moment de la préparation.

En effet, résoudre les problèmes spécifiques aux femmes et aux hommes signifie que les causes spécifiques sont connues. Il faudrait donc bien analyser les problèmes de manière spécifique en fonction des sexes et de proposer des solutions spécifiques sous forme d’actions/activités à financer dans le cadre du budget annuel en vue de réduire les inégalités de développement ou de bien-être entre les femmes et les hommes.

Au niveau des recettes, il faut analyser les domaines qui vont être concernés par les nouveaux impôts et taxes et ceux qui bénéficieront des facilitations en mettant l’accent sur les sexes des personnes qui y évoluent en terme de représentativité. Il s’agira de voir par la suite si ces changements en terme de taxation contribuent à réduire les inégalités liées au sexe et non les perpétuer.

Chaque ministère dans son domaine d’intervention identifie les solutions aux problèmes spécifiques des femmes et des hommes et alloue les ressources nécessaires pour les résoudre.

La spécificité des domaines d’intervention font que les ministères ne peuvent pas appliquer la BSG de la même manière.

Le Burkina Faso étant dans une approche de budgétisation par programme depuis 2017, le principe retenu est que c’est le ministère qui est responsable de la coordination et du suivi de la politique du gouvernement en matière de genre qui a l’obligation d’avoir un programme spécifique dédié au genre. Les autres ministères contribuent par des actions et des activités qui sont inscrites dans les programmes budgétaires propres à leur domaine.

Pendant les autres phases (exécution, suivi-évaluation et contrôle), il faut veiller et s’assurer du respect des engagements pris au moment de l’élaboration. C’est ce qu’on appelle la discipline budgétaire qui signifie en termes simples que l’on ne doit pas abandonner totalement un domaine prioritaire retenu au moment de l’élaboration pendant l’exécution du budget.

Un autre aspect important dans le processus c’est la définition des niveaux de changement que l’on compte atteindre (les indicateurs et leurs cibles) en termes d’amélioration de conditions des femmes et des hommes ou de réduction des inégalités entre les deux sexes.

S : Quelle appréciation faites-vous de la prise en compte de la budgétisation sensible au genre au niveau du budget de l’Etat ?

R.T. : La BSG est une réalité au niveau du budget de l’Etat depuis le 1er janvier 2019, étant donné sa consécration dans la circulaire et l’obligation de produire des documents techniques pour attester son application. En terme d’appréciation, on peut dire que des efforts sont faits, mais il reste beaucoup à faire surtout au niveau de l’incidence réelle de l’approche sur la réduction des inégalités liées au sexe.  Il faut noter également que c’est une réforme qui est en train de suivre son chemin et en matière de gestion axée sur les résultats, on apprend et on améliore par la pratique.

S : Qu’en est-il au niveau des budgets des communes ?

R.T. : Au niveau communal, les travaux ont commencé mais on est en phase de production et de perfectionnement des outils. Des activités de renforcement des compétences sont en train d’être conduites dans certaines collectivités territoriales.

S : Quels sont les obstacles à la budgétisation sensible au genre ?

R.T. : En termes de difficultés ou d’obstacles, il faut souligner la faible appropriation du concept genre au niveau des ministères et institutions. Un autre aspect est l’absence d’une analyse genre sous forme de diagnostic des programmes budgétaires. En effet, comme nous l’avons dit plus haut, le genre consiste à solutionner les problèmes spécifiques aux hommes et aux femmes. Pour solutionner un problème, il faut bien connaître ses causes et c’est le diagnostic qui permet cela. Nombre de ministères n’ont pas de référentiel interne sur le genre et les statistiques ne sont pas désagrégées par sexe.

Le processus budgétaire n’est pas assez participatif surtout pendant la phase de préparation-élaboration. Pourtant, la participation est une des conditions de réussite de la BSG.

A ces difficultés, il faut ajouter la faiblesse de la coordination et du suivi-évaluation du processus à l’intérieur des ministères.

Au niveau du MINEFID, le processus n’est pas implémenté dans le système d’information, ce qui ne facilite pas le suivi.

S : Quelles solutions pour une meilleure budgétisation sensible au genre au Burkina Faso ?

R.T. : Il faudrait poursuivre et renforcer les actions de sensibilisation et de renforcement des compétences.

Il faudrait que chaque ministère et institution conduise un diagnostic genre dans son domaine d’intervention et procède à l’élaboration de son référentiel sur la thématique. Que ce soit au niveau des ministères sectoriels ou du MINEFID, qu’il y ait pendant l’élaboration ou la préparation du budget des plages pour consulter surtout les organisations qui travaillent dans le domaine du genre.

Les cellules genre doivent inscrire le suivi de la BSG au titre de leurs priorités et que les ministères et institutions les associent de manière active au moment de l’élaboration des budgets.

Le MINEFID devrait également accélérer l’implémentation de la BSG dans le système d’information.

Au niveau ministériel et national, il faudrait conduire des évaluations périodiques et renforcer la communication sur la réforme.

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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