Respect des mesures contre la COVID-19: un défi pour les élèves handicapés

Alors que le port du cache-nez dans tous les établissements d’enseignement est devenu obligatoire depuis le 15 janvier 2021, dans les écoles accueillant des élèves avec un handicap, cette mesure- barrière et la distanciation sont difficiles à respecter.

Pendant l’interclasse, entre midi et deux heures, la cour de l’école des jeunes aveugles de l’Union nationale des Associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM) résonne des cris et d’autres bruits des élèves profitant joyeusement de cet intermède avant la reprise des cours. En effet, les après-midis sont dédiés au cours spécifiquement liés à leur handicap visuel. Le visiteur est tout de suite frappé par le fait que les jeux sont surtout caractérisés par le contact physique des élèves entre eux. Ceux qui ne jouent pas, se tiennent la main, qui pour discuter, qui pour déambuler dans la cour. Ce spectacle  est d’autant plus surprenant que le Burkina, à l’instar des autres pays, enregistre une hausse du nombre de personnes testées positives à la COVID-19 et de celui des morts liés à cette maladie avec dans le même temps une grande campagne de sensibilisation sur les mesures barrières contre le virus. Abdoul Aziz Sébré, est maintenant élève en classe de seconde au lycée mixte de Gounghin, mais il revient tous les jours à l’UN-ABPAM où il peut bénéficier des repas offerts par la cantine de l’école. Le coronavirus, il le redoute. « La COVID-19 occasionne des morts donc, elle me fait peur comme tout le monde. Pour l’éviter, il y a les mesures-barrières qu’il faut respecter telles que porter le masque, éternuer dans le pli du coude, se laver régulièrement les mains. Par contre, au niveau de la distanciation physique, c’est difficile pour moi. J’ai besoin de l’aide de mes camardes donc forcément je ne peux pas m’éloigner d’eux. Par exemple pour traverser une voie, un camarade doit me tenir la main, ce qui fait que la distanciation, c’est un vrai casse-tête », témoigne-t-il. Son besoin d’assistance permanente de la part de ses camarades rend Abdoul Aziz Sébré plus exposé à la maladie et cela l’inquiète, en témoigne le son de sa voix qui est pratiquement inaudible et son visage qui se ferme d’un coup quand il évoque sa vulnérabilité. Les plus jeunes pensionnaires de l’école des jeunes aveugles de l’UN–ABPAM, contrairement à leurs aînés, ont plus de mal à parler de l’inadaptation des mesures-barrières pour se protéger de la COVID-19 de leur handicap. Probablement un peu fatigués par les cours de la matinée, les élèves du primaire sont presque tous assis sous le grand hangar au milieu de l’école. Aucun d’eux ne porte un cache-nez. Pourtant lorsqu’on leur en parle, c’est la course pour être le premier à exhiber ce petit bout de tissu du fond du sac.

Des raisons objectives

Autre école, autre constat. Le Centre d’éducation et de formation intégrée des sourds et entendants (CEFISE Benaja), est une école qui accueille des élèves sourds et malentendants et des élèves entendants. A notre passage, le jeudi 13 janvier 2021, la classe de CM1 est en plein cours de mathématiques. L’enseignant, Laurent Dipama, s’évertue à donner aux élèves, des astuces pour le calcul mental. Le cache-nez descendu, il parle fort, en même temps qu’il signe ses explications. « On demande toujours aux élèves de porter les cache-nez dans la classe. Mais l’enseignant est obligé de descendre le sien pour que les élèves sourds ou malentendants puissent suivre les cours », se justifie-t-il. La classe de M. Dipama est organisée en 14 groupes de 6 élèves chacun. Dans chaque groupe, Il y a un chef qui coordonne tout. Un secrétaire qui est chargé de noter toutes les questions que l’on pose pour que le groupe discute afin de trouver la bonne réponse. Un autre est chargé du matériel : les ardoises, la craie, les éponges. Un autre s’occupe de la gestion du temps. Avec une telle organisation, il est difficile de respecter la distanciation physique. Aussi, l’enseignant exige de ses élèves, le port du masque pour éviter de recevoir les postillons. Avec une telle organisation, difficile de respecter la distanciation physique, une des mesures- barrières édictées pour barrer la route à la COVID-19. Loin d’être le résultat d’un laxisme de la part des chefs d’établissements accueillant des élèves handicapés, le non-respect du port du masque ou de la distanciation physique tient à des raisons objectives. « Le port du cache-nez est un gros problème qui n’est pas perçu par les autres. Pour un enfant sourd qui a besoin de voir les lèvres bouger, puisque ses repères sont les signes de la face, comment fait-il lorsque son interlocuteur porte un masque ? », S’inquiète la directrice générale du CEFISE, Thérèse Kafando. A travers les mouvements des lèvres, l’élève sourd suit correctement le message notamment les cours, la preuve est que certains élèves répondent à leur nom, même quand on ne signe pas, juste en lisant sur les lèvres de l’enseignant. De plus, il y a ceux qui n’entendent pas bien et ont besoin qu’on élève la voix, alors que le cache-nez étouffe un peu la voix.
Une explication corroborée par Abrahim Sakandé, un élève sourd de la classe du CM1 au CEFISE. « Parmi les mesures barrières, c’est porter le cache-nez qui me dérange beaucoup. Je n’aime pas du tout. Et puis je suis fatigué de le porter depuis tout le temps. En plus je n’arrive pas à lire sur la face des gens qui me parlent », se plaint-il. Du côté des élèves aveugles, la Directrice de l’école des jeunes aveugles, Suzanne Tapsoba/Compaoré, affirme que la direction de l’école a bien expliqué aux enfants dès la rentrée des classes qu’ils ne pouvaient plus se guider comme avant ni se toucher. « Ici, les enfants ne voient pas et leurs repères sont corporels. Si tu veux conduire un enfant, tu ne peux pas le faire sans le toucher, il faut l’attraper pour cela et eux-mêmes entre amis, ils ne peuvent pas jouer ensemble sans se toucher parce que c’est le seul vrai contact pour eux », dit-elle. Concernant le port obligatoire du cache-nez dans l’enceinte de l’école, la sensibilisation a été bien faite telle que voulue par le ministère en charge de l’enseignement, mais, reconnaît Mme Tapsoba, les enfants ont refusé. « Certains disent qu’ils ne peuvent pas respirer. D’autres les mettent sur leurs yeux. Aussi, il faut savoir que beaucoup d’enfants reconnaissent leurs affaires par l’odeur, alors que le cache-nez atténue l’odorat. Nous avons aussi constaté que le rendement des élèves baisse lorsque nous les obligeons à porter le masque », soutient la Directrice de l’école des jeunes aveugles. La directrice du CEFISE a envisagé de diviser les classes avec le système de double flux pour accueillir une partie des classes dans la matinée et l’autre en soirée. Une idée qu’elle a dû abandonner vu l’impact sur les coûts de fonctionnement de l’établissement qui pratique des tarifs sociaux. « Nous avons fait le choix d’offrir l’éducation au maximum d’enfants handicapés. Cela fait que nous sommes un peu désorientés devant la distanciation physique. A la maternelle et au primaire, ce sont les mêmes enseignants, mais arrivés au secondaire nous payons deux fois : pour l’enseignant et pour l’interprète. Si on doit scinder la classe en deux pour réduire le nombre on devra multiplier la prise en charge des enseignants par deux alors que les frais de scolarité n’ont pas changé », commente-t-elle. Sa collègue de l’école des jeunes aveugles est plutôt confrontée à un problème de garde des enfants. « Pour respecter la distanciation, une solution intermédiaire serait de recevoir les enfants par groupe le matin et le soir. Mais la difficulté est là. Les enfants vivent dans des familles d’accueil, les parents partent travailler les matins. Qui va rester pour le garder en attendant le soir pour qu’il puisse aller à l’école », fait-elle remarquer.

Privilégier le lavage
des mains

Conscientes que l’inobservation du port du cache-nez rendu obligatoire une fois de plus depuis le 15 janvier 2021 à travers une circulaire signée du secrétaire général du ministère de l’Education nationale et de la Promotion des langues nationales, les responsables des établissements d’enseignement inclusifs misent sur le lavage des mains. A l’image de l’Ecole nationale des jeunes aveugles qui a multiplié les dispositifs de lavage des mains. « Pour nous, le lavage n’a rien de nouveau. C’est une vieille habitude pour les élèves, en témoignent les dispositifs anciens, juste derrière le bloc administratif. Mais avec la COVID-19, nous avons augmenté leur nombre. En plus maintenant dans chaque classe, nous avons 4 pots de gel hydroalcooliques. Et ce n’est pas tout ! Dorénavant, les parents n’ont plus accès à la cour de l’école, ils doivent déposer les enfants à la porte. Pour les élèves de la maternelle, les monitrices les accueillent avec du gel », soutient-elle. Nous avons pu constater par ailleurs que le matin, chaque élève arbore un cache-nez et dans la cour, les adultes portent des masques de protection. A CEFISE Benaja, la directrice reconnaît qu’en dépit des efforts pour le port du cache-nez, les résultats sont mitigés. En effet, dès le début, les ateliers de tissage et de couture ont confectionné des cache-nez en tissu traditionnel pour toute l’école avec un surplus distribué gracieusement aux voisins de l’établissement. Pourtant, l’école tient toujours une rencontre hebdomadaire pour rappeler l’obligation de porter un cache-nez. Mais elle se réjouit que les enfants acceptent de se laver régulièrement les matins, c’est-à-dire dès le matin et à chaque fois qu’ils quittent la classe et veulent y revenir. A la tête de la direction de la promotion de l’éducation inclusive, de l’éducation des filles et du genre au ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, Rasmata Ouédraogo a bien conscience que des difficultés existent dans le respect des mesures-barrières pour les élèves handicapés. « Les difficultés sont réelles. La réflexion impliquant tous les acteurs, ministère en charge de l’éducation, de la santé, praticiens des écoles inclusives est en cours pour adapter les gestes barrières aux élèves handicapés », selon Mme Ouédraogo. En attendant, la directrice en charge de l’éducation inclusive invite les patrons d’établissements à poursuivre la sensibilisation. Elle invite par ailleurs les parents d’élèves à s’impliquer davantage dans la sensibilisation. « L’école est dans la société et nous assistons malheureusement à un relâchement quant au respect des mesures-barrières à tous les niveaux. C’est pourquoi, l’école et la famille doivent parler le même langage dans la sensibilisation », a-t-elle recommandé. L’optimisme de la directrice en charge de l’éducation inclusive se fonde sur le succès des actions déjà menées par le département ministériel à l’endroit des écoles inclusives. De concert avec les établissements et avec
l’appui de plusieurs partenaires, le MENAPLN a adapté les messages de sensibilisation aux personnes sourdes et transcrit ces messages en braille pour les personnes aveugles. Des fascicules de sensibilisation adaptée à ces handicaps ont aussi été élaborés au profit des élèves. La traduction en langage des signes des cours de rattrapage dispensés à travers la télé aux élèves en classes d’examen est aussi une action à l’actif du ministère en charge de l’éducation.

Nadège YE

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N’oubliez pas les personnes vulnérables !

Un certain nombre de mesures pour se protéger du coronavirus est inadapté aux élèves vivant avec un handicap. Cette situation rend les élèves et même les adultes aveugles ou sourds particulièrement vulnérables à la COVID-19. Dans le cas où, le Burkina Faso viendrait à recevoir des doses de vaccin contre cette maladie et envisagerait une vaccination à grande échelle des personnes les plus fragiles, il serait bien d’y associer les élèves et les personnes vivant avec un handicap.

N.Y

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