De M’Ba Simon Toega, à Djikofè en passant par Sonré, Wapassi, Saaba, Kossodo, Yagma et Boulmiougou… le développement des habitats spontanés ou zones non-loties s’est fait de manière exponentielle dans les quatre coins de la ville de Ouagadougou, amenant l’autorité à envisager la restructuration. Arrêt sur une vision qui suscite avant-date, de l’espoir et des inquiétudes au sein des populations.
L’harmattan souffle fort en ce midi du 21 novembre 2019 à Tamsin dans les confins de la commune rurale de Saaba. Assis sous un hangar, Denis Bonkoungou est bercé par le bruit des outils d’un mécanicien et par un prêche distillé à fond par la radio du maître des lieux. A chaque passage d’un camion chargé d’agrégats, le sexagénaire essaie tant bien que mal de se protéger de la nuée de poussière que traîne le véhicule. Peu bavard et méfiant, le père de famille hésite à parler de ses conditions de vie dans cette zone non-lotie où il a trouvé refuge, il y a près de sept ans. «Quand je suis venu m’installer ici. Il y avait l’espace à perte de vue. C’est après avoir vendu les terres avec les riches qu’on vient nous parler de restructuration en lieu et place du lotissement», lâche-t-il au bout d’une longue diatribe contre la mal gouvernance. L’ex-migrant rentré du Cameroun, il y a 29 ans, cache mal son scepticisme sur le projet gouvernemental visant à restructurer les zones-non-loties dans les treize chefs-lieux de régions et de la commune de Pouytenga. «J’aurai souhaité qu’on laisse les choses en l’état pour ne pas semer de la discorde entre ceux qui sont nés ici et ceux qui sont venus s’installer. Ce n’est pas tout le monde qui a de quoi se reconstruire une maison», plaide le ressortissant du Passoré. Ses craintes sont partagées par Salif Ouédraogo, 41 ans, père de cinq enfants. «Je ne vois aucun espace suffisamment grand pour accueillir les futurs déguerpis. Si cette politique avait été mise en œuvre, il y a quelques années, il n’y aurait eu aucun problème. Mais avec le développement des sociétés immobilières, ça sera un véritable casse-tête», analyse le maçon. Le projet de restructuration semble être également incompris dans certains quartiers lotis depuis belle lurette, mais qui ont gardé parfaitement l’aspect des zones non-loties à cause des crises provoquées entre autres, par des doubles attributions, des détournements de parcelles et des morcèlements de réserves administratives. «Depuis les premiers lotissements, tous les problèmes n’ont pas encore été résolus. Pourquoi restructurer des zones (non-loties) pour des gens qui vivent en harmonie et qui n’ont rien demandé ?», s’interroge Hamado Compaoré de l’association ‘’Wend Song Sida’’ de Yamtenga. Son épouse Fati n’en peut plus des 18 ans de calvaire marqués par des inondations et le confinement. «Il y a très longtemps que nos époux poirotent dans les non-lotis. C’est le lotissement qui nous intéresse, pas cette affaire de traçages des voies», tranche-t-elle. Soumaïla Sawadogo, un autre militant de Wend Song Sida, n’a pas sa langue dans sa poche. «En réalité, c’est un jeu de dupes. Il ne sert à rien de reporter les problèmes. Le lotissement est meilleur. Même si ce sont des parcelles d’une centaine de mètres carrés, il y a la possibilité de construire en hauteur», martèle-il.
Haro sur les sociétés immobilières
Son camarade Arouna Nana n’est pas plus tendre : «Les maires ont simplement offert nos parcelles à d’autres personnes, estimant que nous ne sommes pas dignes d’en posséder». Pour les animateurs de Wend Song Sida, il faut urgemment apurer le passif foncier, arrêter les constructions qui se poursuivent malgré la suspension des lotissements et s’opposer à «l’accaparement» des vastes espaces par les sociétés immobilières. Pour le président du Syndicat national des promoteurs immobiliers du Burkina (SNAPIB) Sibiri Julien Wend Panga Ouédraogo, il s’agit d’un faux-procès contre les membres de sa structure. «S’il y a quelqu’un qui réside au Burkina Faso et qui estime que les promoteurs immobiliers empêchent les maires de lotir, il se trompe lourdement. Si les maires se réservent de lotir, c’est parce qu’ils craignent des problèmes», avance le patron de la société immobilière internationale Wend Panga. De son avis, si un promoteur immobilier prend une portion de terre dans un espace donné pour le proposer aux citoyens, des parcelles nues et des maisons, cela n’empêche pas la mairie de lotir la superficie restante. Il réfute également toute notion d’accaparement, car les espaces sont cédés, selon lui, aux promoteurs immobiliers par les propriétaires terriens en échange d’argent ou de parcelles aménagées. A en croire Julien Ouédraogo, les promoteurs immobiliers ne roulent pas sur l’or, car pour 4ha acquis auprès des propriétaires terriens, il faut leur céder 20 parcelles sans oublier les investissements pour les routes, les caniveaux, l’eau et l’électricité. «Si la population observe de près ce que nous réalisons, elle comprendra que nous ne spolions personne et que nos marges de bénéfices sont modestes», explique Julien Ouédraogo. Eugène Ilboudo dont la famille possède des terres à Saaba confirme ce marchandage. «Si les propriétaires terriens désirent tant de parcelles, il faut que les sociétés immobilières leur concèdent. Sinon, ils ne pourront pas acquérir des terres», explique-t-il. Toutefois, Eugène Ilboudo soutient que des propriétaires terriens qui avaient refusé de céder leurs terres, sont revenus sur leurs décisions, à cause de la forte pression exercée par certains membres de leurs familles. Rasmané Zoungrana, originaire aussi de la commune de Saaba, déplore l’attitude de l’Etat qui ne tiendrait pas, selon lui, ses promesses après la cession des terres par les autochtones. Il cite, en exemple, les 150 ha que sa famille aurait cédés à la Société nationale d’aménagement des terrains urbains. Non seulement les parcelles promises aux propriétaires terriens se sont avérées très petites et n’ont pas atteint le nombre requis, assure M. Zoungrana. Malgré tout, il dit préférer travailler avec les organismes étatiques car les sociétés immobilières n’ont pas souvent leurs papiers en règles. Justement c’est ce dernier point qui semble fortement attrister le promoteur de Wend Panga international. En effet Julien Ouédraogo ne s’explique pas pourquoi le gouvernement met parfois jusqu’à cinq ans pour délivrer les autorisations nécessaires quand il ne refuse pas tout simplement de les signer. «Si le gouvernement refuse de délivrer les autorisations nécessaires aux promoteurs immobiliers et se lance au même moment dans la restructuration des zones non-loties, ça veut dire qu’il encourage le développement des habitats spontanés», argumente-t-il. A l’en croire, la levée de la suspension du lotissement (Ouaga et Bobo, ndlr), la poursuite de l’apurement du passif du foncier et la délivrance des autorisations nécessaires aux promoteurs immobiliers, suffisent de régler le problème du logement au Burkina Faso, sans passer nécessairement par la restructuration. Néanmoins, il se dit prêt à offrir ses services pour la réussite du projet. «Partout où nous sommes passés, nous avons résolu les problèmes d’infrastructures, d’inondations et d’accès à l’eau et à l’électricité. Donc nous sommes également en mesure d’aménager correctement des non-loties sans créer des conflits», relate-t-il. Pour le directeur général de l’urbanisme, de la viabilisation et de la topographie, Gueswendé Marc Ouédraogo, le projet de restructuration a toujours été ouvert à n’importe quel investisseur pour peu qu’il présente un «projet sérieux» et bénéfique pour les populations. Selon M. Ouédraogo, il n’y a pas de refus de délivrer des autorisations, car c’est l’Etat lui-même qui a décidé d’organiser l’activité immobilière en 2008 en faisant voter une loi. Pour être en règle, les sociétés immobilières doivent fournir un certain nombre de documents au nombre desquels, un projet immobilier qui est l’intention de réaliser des logements et un arrêté d’approbation qui est délivré une fois que l’auteur montre sa capacité financière, la technologie à utiliser, l’étude d’impact environnemental… Il y a également l’autorisation de lotir et le plan d’aménagement, poursuit Gueswendé Marc Ouédraogo. C’est seulement après l’obtention de l’arrêté d’approbation que le promoteur doit aller mobiliser des terres auprès des tiers si le gouvernement ne lui en fournit pas. «Dans la pratique, il y a beaucoup de promoteurs qui nous mettent devant le fait accompli. Ils viennent à la fois avec le projet immobilier et des terres déjà mobilisées. Conformes ou pas au schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, cela ne regarde pas souvent beaucoup d’entre eux», déplore M. Ouédraogo. En réponse à ceux qui estiment que les sociétés immobilières se sont déjà accaparées tous les espaces « lotissables », M. Ouédraogo fait observer qu’il y a une différence entre une terre mobilisée et une terre aménagée. « Quand le promoteur achète de la terre auprès d’un propriétaire terrien, il n’y a eu qu’un changement de propriétaire. On ne peut pas dire sur cette base qu’il y a plus de terre. Si l’Etat veut toujours faire un projet, il peut toujours purger les droits auprès du propriétaire immobilier en lieu et place des propriétaires terriens», assure l’expert. Le DG a également mis en garde les nombreux promoteurs immobiliers qui n’ont pas les autorisations nécessaires, mais qui se livrent à des lotissements illégaux pour vendre des parcelles. Il a expliqué que le gouvernement encourage la promotion immobilière et non la promotion foncière, vu qu’une ville comme Ouagadougou possédait en 2011, près de 400 mille parcelles avec seulement 50% de mise en valeur.
Transparence jusqu’au bout
Pour le responsable, les citoyens qui payent ces parcelles douteuses, le font à leurs risques et périls parce qu’ils ne peuvent en aucun cas, disposer de papiers administratifs. C’est pourquoi, les citoyens qui accueillent à bras ouverts le projet de restructuration des zones non-loties, demandent au gouvernement de mener le processus avec toute la transparence qui sied, de leur délivrer après l’opération les papiers nécessaires et de reloger ceux qui seront touchés par les démolitions. «Nous ne sommes pas contre la restructuration annoncée. Mais si après douze ans de vie dans le non-loti, on se retrouve sans toit, ça serait vraiment dommage. Il ne nous resterait plus qu’à retourner au village pour cultiver», avertit Fati Sana/Kaboré, vendeuse de bouillie à Djikofè. Pour le boutiquier Pierre Bonkoungou, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Voilà pourquoi, il invite les uns et les autres à savoir raison garder. De l’avis du Cheick Issiaka Ouédraogo de Djikofè, si le processus de restructuration se déroule comme annoncé, cela va permettre à chacun, de préserver son abri. «Vivre sans adduction d’eau potable et d’électricité, nous peine énormément. Je suppose qu’après la restructuration, toutes ces commodités vont venir», soutient Pengwendé Aimé Rouamba à Sonré. Brahima Wandaogo qui réside à Wapassi et qui se dit un peu déçu par cette décision, souhaite que les voies soient larges pour désenclaver véritablement les habitats spontanés. «La terre n’est pas extensible à souhait. L’Etat ne peut attribuer que ce qui est disponible. La restructuration est une bonne chose. Mais ceux qui veulent des parcelles pour vendre, ne penseront certainement pas comme moi», tacle Madi Ouédraogo, habitant à Yamtenga. Pour l’iman de son quartier Abdoul Wahab Sawadogo, ce n’est pas obligé qu’un homme ait une parcelle, mais un endroit où dormir. Il a invité le gouvernement à ne pas abandonner les populations mais surtout à faire de la lutte contre la pauvreté, sa priorité. «Mieux vaut restructurer que de nous laisser sans routes, sans eau et sans électricité», répond le résident de M’ba Simon Toega, Madi Compaoré. «Mais s’il n’y a pas de dédommagement pour les maisons qui seront cassées, mieux vaut laisser la situation telle quelle pour ne pas entraîner une crise», prévient-il. Le directeur général de l’habitat, Gueswendé Marc Ouédraogo, préfère parler plutôt de compensation à caractère social. «L’indemnisation s’applique à celui qui est dans les règles. Si l’Etat consent déjà à faire la restructuration et à trouver une parcelle à chacun, c’est déjà une action hautement sociale à saluer», avance-t-il. De l’avis de l’expert, le plan d’aménagement adopté, permettra une récupération foncière à l’interne qui permettra de loger les déguerpis. Ensuite, le ministère compte faire appel à des investisseurs privés pour réaliser des immeubles aux abords des grandes voies qui seront dégagées. Ces partenaires devront céder deux à trois unités de logement qui serviront également à satisfaire les demandes, ajoute le DG de l’Habitat. Enfin, le ministère compte en dernier ressort, aménager une trame d’accueil pour pouvoir reloger tout le monde. Gueswendé Marc Ouédraogo assure que l’objectif, à terme, est d’offrir les mêmes commodités (routes, caniveaux, infrastructures sociales, eau, électricité…) aux habitants des zones restructurées que ceux des zones loties. D’ailleurs, il note que la différence entre lotissement et restructuration est très mince. Le lotissement concerne les terrains nus sans obligation de tenir compte des réalisations. La restructuration se fait dans des zones habitées (loties ou pas) avec pour contrainte de préserver le maximum de constructions existantes. «J’imagine que les conclusions sur les travaux d’apurement du passif, va déboucher sur des besoins supplémentaires en parcelles pour satisfaire les plaignants. Parallèlement, l’engagement du processus de restructuration devrait permettre de dégager des solutions pour régler certains problèmes de l’apurement», détaille-t-il.
La lenteur observée dans la mise en œuvre de la restructuration est due à la sensibilité du dossier et au contexte national difficile, soutient Gueswendé Marc Ouédraogo. Mais il assure que parallèlement des mesures alternatives ont été prises pour avancer. Il s’agit notamment des concertations avec les géomètres, les architectes, les ingénieurs et les appuis techniques aux collectivités désirant s’engager dans la restructuration.
Tilado Apollinaire ABGA
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