
Leader reconnue dans le domaine des services financiers digitaux, la Burkinabè Sabine Mensah s’impose comme une voix majeure de l’inclusion financière sur le continent. Son parcours, riche d’expériences au sein d’organisations multilatérales et du secteur privé, l’a conduite aujourd’hui au poste de Directrice générale adjointe de AfricaNenda Foundation. A Accra, lors de la Conférence et des Prix d’excellence des médias d’Afrique de l’Ouest (WAMECA), elle a pris part à un panel réunissant plusieurs acteurs clés autour d’un sujet au cœur des transformations du continent : le rôle des infrastructures publiques numériques dans le développement inclusif en Afrique de l’Ouest. Dans cet entretien accordé au Journal de tous les Burkinabè, la diplômée de l’Institut franco-américain de Management en France et de la Central Michigan university aux Etats-Unis revient sur l’importance du numérique dans le développement des Etats africains.
Sidwaya (S) : Pouvez-vous présenter AfricaNenda Foundation à nos lecteurs ?
Sabine F. Mensah (S.M) : AfricaNenda Foundation est une organisation philanthropique qui accompagne les Etats, les régulateurs et les banques centrales dans le déploiement de systèmes de paiement instantanés inclusifs en Afrique. Nous défendons l’idée que l’accès et l’usage des services financiers sont un droit pour tous les Africains. C’est pourquoi nous travaillons avec les Etats pour mettre en place des systèmes permettant, grâce au téléphone mobile le plus basique, un accès simple et universel aux services financiers.
S : Quelle est sa mission ?
S.M : La mission d’AfricaNenda Foundation est d’accompagner les acteurs de l’écosystème des paiements dans la mise en place de systèmes de paiement nationaux et de veiller à leur interopérabilité.Ainsi, qu’il s’agisse d’un compte mobile, bancaire ou dans une microfinance, il devient possible d’effectuer des transactions financières avec n’importe qui, même depuis le téléphone le plus basique. Nous encourageons cette interopérabilité entre mobile et compte bancaire et aidons les banques centrales et les Etats à la mettre en œuvre. Enfin, il est essentiel que ces services restent abordables. Grâce à ce mécanisme, l’inclusion financière peut se diffuser dans tous les pays, y compris dans les zones rurales reculées, souvent les moins équipées en infrastructures.
Nous sommes convaincus que ce sont ces systèmes qui, s’ils sont réellement inclusifs, abordables et accessibles à tous, peuvent accélérer l’inclusion financière en Afrique. C’est le sens de notre mission. Pour y parvenir, nous travaillons étroitement avec les gouvernements, les banques centrales et d’autres acteurs clés, en mettant à leur disposition nos ressources techniques. Grâce à nos experts en économie numérique et en systèmes de paiement, nous contribuons au renforcement des capacités, accompagnons la mise en œuvre des projets et soutenons leur budgétisation.
S : Quel rôle jouent les infrastructures publiques numériques dans la stratégie numérique des Etats africains ?
SM : Les infrastructures publiques numériques jouent un rôle comparable à celui des infrastructures physiques. Prenons l’exemple des routes : elles relient les communautés, stimulent le commerce et créent des opportunités de développement. Les « rails numériques » ont le même objectif pour nos Etats : connecter les citoyens, les entreprises et le gouvernement. Ces infrastructures permettent de digitaliser les paiements et favorisent le développement du secteur privé, au bénéfice de la
population. Notre ambition est de contribuer à l’essor économique des communautés et à ce que chacun puisse tirer parti de la révolution digitale pour son propre développement.
S : Aujourd’hui, quelles sont les populations les plus touchées par l’exclusion financière dans nos Etats ?
S.M : Les zones rurales sont malheureusement celles qui restent le plus souvent en marge, faute d’une couverture suffisante en réseau GSM ou en internet. Pour les établissements bancaires, ouvrir des agences dans des zones à faible densité de population demeure difficile et peu rentable. Heureusement, la technologie mobile permet aujourd’hui de dépasser ces contraintes. Elle abolit les frontières physiques et rend les services financiers accessibles directement depuis la poche de chacun. Encore faut-il que ces
services soient véritablement inclusifs. La technologie offre également des solutions de paiement hors ligne : même en cas de coupure ou
d’absence de connexion, la transaction peut être enregistrée et validée dès que le réseau est rétabli. Ce type d’innovation montre qu’il est possible de construire des systèmes plus résilients et adaptés aux réalités du terrain.
S : Selon vous, quel est le niveau du développement des infrastructures publiques numériques en Afrique ?
S.M : Les infrastructures publiques numériques deviennent une
priorité pour nos Etats, et c’est une très bonne chose. Elles permettent aux entreprises et aux citoyens d’interagir plus facilement avec l’Etat, notamment pour les paiements de prestations sociales, donnant ainsi accès à des services financiers aux populations vulnérables. Pour les gouvernements, la digitalisation facilite la collecte des taxes et la mobilisation des ressources. C’est tout un écosystème qui se construit pour inclure chacun en Afrique.
S : Quelles initiatives sont actuellement mise en œuvre pour renforcer les infrastructures publiques numériques ?
S.M : Au sein d’AfricaNenda Foundation, notre mission est de soutenir tous les pays africains dans leur transformation numérique. Nous apportons assistance technique et renforcement des capacités, en tenant compte de la vision et des investissements de chaque pays dans les infrastructures publiques numériques. Par exemple, nous avons soutenu dès le départ la BCEAO pour la mise en place du système de paiement SPI, aujourd’hui pleinement opérationnel et avons aidé le Rwanda à faciliter le paiement instantané « eKash ». Nous sommes partenaires de plusieurs pays africains pour construire des systèmes inclusifs et efficaces.
S : Quelles innovations préconisez-vous ?
S.M : L’outil numérique ne vaut que s’il améliore la vie de ceux qui
l’utilisent. Le mobile, par exemple, a révolutionné l’accès bancaire en Afrique : la banque dans votre poche est déjà une innovation majeure. Cela permet aussi de développer de nouveaux systèmes de crédit, numérisés, qui donnent accès au financement à une majorité de personnes. Nous encourageons ce type d’innovation, en partenariat avec les Etats, les institutions financières et les
régulateurs, pour créer un cadre permettant aux fintechs d’offrir des services aux populations reculées. Grâce à notre assistance technique, AfricaNenda espère voir émerger des services encore plus innovants.
S : Quels sont les grands défis à relever pour garantir une inclusion durable dans les infrastructures publiques numériques ?
S.M : Parmi les grands défis, le premier est l’investissement dans l’infrastructure de connexion pour couvrir l’ensemble du territoire, pas seulement les centres urbains. Le second concerne l’identification : sans identité numérique, pas de compte bancaire possible, et celle-ci facilite l’interopérabilité avec les systèmes de paiement. Le cadre réglementaire constitue également un enjeu : il doit rester flexible pour permettre aux innovations d’atteindre le terrain. Enfin, la sensibilisation des populations est essentielle : il ne suffit pas de proposer des solutions numériques, encore faut-il que les utilisateurs sachent les utiliser, se protéger et comprendre les mécanismes de lutte contre la fraude.
S : Quelle appréciation faites-vous de l’évolution de ces technologies au Burkina Faso ?
S.M : Je suis très fière déjà. Je porte les couleurs du Burkina Faso partout où je vais en Afrique. Je pense que nous avons beaucoup d’opportunités. La dématérialisation en cours au niveau des services est un avantage comparatif avec la numérisation des services et des paiements dans les services étatiques. Je pense aussi que nous avons vraiment une belle opportunité de pouvoir utiliser la révolution digitale pour faire un saut vers une transformation digitale inclusive.
S : Quel appel avez-vous à lancer pour renforcer l’inclusion numérique au niveau national ?
S.M : Je dirais que la technologie n’est plus un problème dans le fait qu’elle offre des solutions qui peuvent nous aider à faciliter l’accès aux services financiers et à leur utilisation. En tant que consommateur, nous devons être à l’affût de l’information. Il faut qu’on soit tous aguerris dans un univers instantané et digital.
Je lance un appel aux pouvoirs publics à prioriser les investissements dans les infrastructures publiques numériques parce qu’elles peuvent être un tremplin de développement pour accélérer la transformation numérique.
Interview réalisée par
Oumarou RABO
De retour d’Accra (Ghana)