C’est un coup dur pour l’ancien Premier ministre tchadien, Succès Masra, économiste rompu piqué par le virus de la politique. L’opposant a été condamné, vendredi 9 août dernier, à 20 ans de prison ferme par le Tribunal de N’Djamena pour « diffusion de messages haineux » et « complicité de meurtre », dans le cadre du massacre de 42 éleveurs à Mandakao, dans le Sud-Ouest du Tchad, courant mai 2025. Le président du parti, Les Transformateurs, doit également payer une amende d’un milliard francs CFA à l’Etat tchadien au titre des réparations. Ses avocats, qui ont dénoncé une « mascarade judiciaire » entendent faire appel, mais encore faut-il que cette action suffise à tirer d’affaire leur client. L’ex-chef de gouvernement a catégoriquement nié les faits, mais le Tribunal a établi sa culpabilité, se fondant sur un audio en langue locale, dans lequel il exhortait ses partisans à s’armer pour se défendre. Une soixantaine d’autres prévenus ont également écopé de 20 ans de réclusion. Jusqu’au bout, les partisans de Masra auront tout tenté pour obtenir sa libération, allant jusqu’à battre le pavé, sans obtenir gain de cause. Ses conseils qui espéraient une intervention du président français, Emmanuel Macron, dont l’image ne se vend pas sur le continent, ont également déchanté. L’ex-Premier ministre lui-même avait observé une grève de la faim pour protester contre son arrestation, avant de jeter l’éponge, l’initiative n’ayant pas non plus prospéré. Dans l’entourage de Masra, on crie à un procès politique, monté de toutes pièces pour neutraliser un ex-allié au chef de l’Etat tchadien, Mahamat Idriss Déby. Les soutiens du patron des « Transformateurs » sont stoïques : il paye pour son retour dans l’opposition après avoir servi le régime en place en tant que Premier ministre de janvier à mai 2024. En vérité, Masra est un opposant dans l’âme. S’il s’était rapproché du maréchal Deby, il n’a pas tardé à reprendre ses distances en contestant son élection en mai 2024.
Masra est connu pour être un opposant depuis Deby père, une position dans laquelle il se retrouve aujourd’hui face au fils. La justice tchadienne a-t-elle été instrumentalisée pour régler des comptes à l’ancien Premier ministre ? On ne saurait répondre par l’affirmative. L’exécutif tchadien s’en défend, évoquant une procédure visant à préserver la paix sociale, après le massacre de Mandakao. Au-delà des spéculations, les responsabilités dans cette affaire devaient être situées, puisqu’il y a eu mort d’hommes. Des citoyens ont été tués à Mandakao et il fallait bien que l’on sache qui a fait quoi. Peu importe la qualité des prévenus, célèbres ou pas, opposants ou proches du régime, riches ou pauvres, cette affaire ne pouvait pas passer par pertes et profits. Masra a-t-il été mêlé intentionnellement dans ce dossier ? Même si les manœuvres de déstabilisation sont courantes en politique, c’est un débat dans lequel, il faut se garder de tomber. On suppose, que la justice tchadienne est suffisamment lucide et responsable, pour démêler le vrai du faux. Tout naturellement, le sort de Masra est à pleurer, mais sait-on jamais. Sa peine pourrait être allégée ou sa relaxe prononcée si un procès en appel venait à se tenir. Les plus optimistes diraient même qu’en cas de confirmation de sa condamnation en appel, il pourrait être gracié un de ces jours. Pour l’instant, l’avenir politique de Masra est hypothéqué avec cette peine de prison. Autant dire qu’il va manquer à la vie politique au Tchad, dont il est inconstablement l’un des acteurs les plus influents.
Kader Patrick KARANTAO