Trait de plume: l’introuvable esprit sankariste

Aujourd’hui mardi 15 octobre 2019. Il y a trente-deux ans, le capitaine Thomas Sankara et douze de ses compagnons mouraient au cours d’un coup d’Etat militaire. Trente-deux ans, après ; que reste-t-il de l’héritage du Burkinabè entré dans l’histoire de l’humanité pour ses idées, et sa forte personnalité ?
Ce 15 octobre 1987, un jeudi, la nouvelle qui fait le tour du monde endeuille bien de personnes. Le président Sankara est mort au cours d’un coup d’Etat militaire. Le désarroi sont grand, la stupeur et l’incompréhension qui accompagnent cette «trahison» est à l’aune des espoirs que l’instigateur de la révolution inspirait. Le tiers-monde perdait alors un digne représentant qui savait charmer, et qui, fort de ses convictions, plaisait même à ceux qui ne partageaient pas son idéal.
Comme pour toute personne aimée ou détestée, le temps prend le dessus sur la douleur de la mort et finit par s’imposer comme un remède. Seuls demeurent les actes posés, qui rappellent le disparu. Et Sankara n’échappe pas à cette donne. En tant qu’humain, politique et militaire, trente-deux ans après sa mort, il y a bien des regrets qui habitent les Burkinabè pour qui, si le fils prodige était là, bien de choses ne se seraient pas passées, ou, se seraient passées autrement. Bien sûr, des hommes et des femmes se sont appropriés les idées de Sankara, mort à 38 ans, en pleine jeunesse, en ont fait un bréviaire et ont décidé de poursuivre son œuvre. Mais, à dire vrai, Sankara a mis la barre si haute que vouloir lui ressembler est une gageure dont l’accomplissement ne court pas les artères de la vie.
Le fait d’avoir accepté le sacrifice suprême, alors qu’il n’ignorait pas, un complot de ses proches contre sa personne, le distingue du commun des mortels. «Restez, c’est moi qu’ils veulent» avait-il lancé à ses camarades lors de la fusillade qui lui a coûté la vie.
Au-delà de ce côté héroïque, il y a bien l’héritage politique de l’homme qui lui est consubstantiel. Sankara avait fait le choix de la précarité, et s’était écarté de tout ce qui faisait ostentatoire dans une société où le «m’as-tu vu» était bien la référence ? Pouvait-il surmonter seul toutes ces attitudes qu’il n’arborait pas ?
En tous les cas, son idéal demeure. Ils ne sont pas nombreux à l’incarner. Ceux qui se sont pressés de revêtir la camisole Sankara, ont trouvé un habit soit trop grand, soit trop étroit qu’ils ne peuvent pas porter. Ils restent des originaux dans le sens de la copie, mais loin de l’original. Ce qui fait dire à bien de Burkinabè, qu’il nous faut encore du temps pour espérer avoir un autre Sankara.
Pourtant, certains gestes du père de la Révolution démocratique et populaire sont à notre portée, pour peu, que l’on se laisse aller à l’esprit de la communauté de destin. Où sont passés les travaux d’intérêt commun dans un pays, où des gens préfèrent nuitamment déposer leurs ordures dans les six-mères du quartier ? Où est passé l’engagement patriotique quand, on remplit les caniveaux, chaque année, en attendant que la prochaine saison des pluies vienne les charrier devant la porte du voisin et inonder tout le quartier ? Parfois on cherche le sankarisme dans le macroscopie, or, le Sankarisme se trouve dans l’abécédaire de la vie. Combien de personnes dans notre pays prennent pour exemple le président Paul Kagamé, mais qui éprouvent d’énormes difficultés à faire comme «leur» Sankara.
Pas grand monde, pas même les «enfants» de Sankara, ceux nés après le 15 octobre 1987, ou avant sur qui aurait pu reposer cet espoir de voir un jour l’esprit sankariste. En regardant sa famille politique, vient cette appréciation de feu le président Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire sur les Arabes, de qui il disait : «Vous vous entendez sur vos mésententes».
Malheureusement, le dire des sankaristes, n’aura rien d’abusif. Trente-deux ans, c’est toujours la même rhétorique, mais l’incapacité de se donner un leader, qui portera le flambeau. Trente-deux ans après, l’une des consolations reste le fait que du bois sortent les noms de tous ceux qui ont assassiné l’espoir. Mais la vraie victoire, c’est qu’il a inscrit son nom au panthéon des grands Hommes.

Jean Philippe TOUGOUMA

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