La commune rurale de Doulougou est située à une cinquantaine de km de Ouagadougou. Sa proximité avec la capitale suscite de l’intérêt pour des investissements fonciers et immobiliers, au point de créer des situations d’irrégularités et des litiges qui menacent la cohésion sociale.
Le problème foncier au Burkina est une bombe sociale. Cette phrase revient sur les lèvres toutes les fois que le sujet abordé concerne l’accaparement foncier au Burkina Faso. Ce 13 décembre 2022, c’est l’ex-maire de la commune rurale de Doulougou, Hamadou Ilboudo qui répète la prophétie fatidique lorsqu’il nous reçoit au sujet de la situation foncière dans la collectivité territoriale qu’il a dirigée jusqu’au coup d’État du 24 janvier 2022.
D’une superficie de 584 km2, la commune rurale de Doulougou compte 37 villages et environ 27 000 âmes. L’ex-maire Ilboudo est plutôt pessimiste sur la manière d’appréhender la question foncière. Il est même porté à plaindre la personne qui devra assainir le domaine.
A l’échelle de la commune qu’il a dirigée, plusieurs situations de conflits liés au foncier gangrènent la cohésion sociale, avec des habitants qui s’observent en chiens de faïence. Gombila Compaoré, ressortissant du village de Kalpongo, est résolument « prêt à tout » pour défendre la portion de terrain qui leur reste, son frère et lui.
« Je veux ma terre. Rien ne sera construit ou planté ici. Je détruirai tout ce que je verrai ici», clame-t-il. En août 2021, ce vigile domicilié à Ouagadougou apprend que des personnes se sont rendues sur leur terre familiale et ont pris les dimensions du terrain.
Quelques mois après, il découvre des bornes encadrant les deux hectares et demi de superficie qui leur appartiennent encore dans son village natal. Des plants épineux ont également été plantés sur la ligne de clôture du champ.
M. Compaoré entreprend aussitôt de détruire bornes et plants et signale au chef de Kalpongo cette violation de leur propriété foncière. Les investigations indexent des habitants de Koupèla, un village voisin et les personnes incriminées reconnaissent effectivement avoir vendu le terrain.
A la question de savoir pourquoi, Gombila Compaoré n’obtient pas de réponse précise. Néanmoins, les vendeurs estiment qu’en tant que fils de la même localité, l’affaire peut trouver une issue à l’amiable. Seulement, le processus traine et Gombila Compaoré s’impatiente. Il craint de se faire avoir à l’usure. L’acheteur que nous avons contacté indique ne pas vouloir se mêler du règlement de ce différend.
Les vendeurs lui avaient assuré avoir les droits sur le terrain et promis qu’il ne sera confronté à aucune difficulté. En tout état de cause, bien qu’il ne soit pas passé par les services municipaux de Doulougou dans la procédure d’acquisition de ce terrain, il estime avoir pris ses précautions en faisant constater la transaction par un huissier avant de régler les 6 millions 500 mille francs CFA que demandaient les vendeurs.
Constatant le dilatoire des vendeurs de son terrain, Gombila Compaoré, appuyé du chef de son village, Kalpongo Naaba, hausse le ton et met à contribution le chef de Koupèla. Acculés, les vendeurs finiront par céder. Le 20 décembre dernier, ils se sont engagés à rétrocéder le terrain au véritable propriétaire et vont s’entendre avec l’acquéreur pour lui trouver un autre terrain.
Plus de 1 700 hectares vendus en 2021
Gombila Compaoré peut s’estimer chanceux de récupérer sa propriété après »seulement » une année de conflit. Les cas d’espèce sont légion dans le département et donnent lieu à des dénouements plus ou moins malheureux.
Roger Zoungrana et les siens, ressortissants de Samsaongo, un autre village du département, sont présentement en conflit ouvert avec une personne qui entreprend des réalisations sur une portion (3 hectares) de leur terrain.
Cette personne, originaire de Manga, prétend avoir régulièrement acquis la superficie alors qu’aucun membre des familles propriétaires du domaine querellé ne se reconnaît dans une quelconque transaction. Le vendeur dans cette autre affaire est encore une tierce personne, Tanga Michel.
Mais ici, l’acquéreur n’entend pas rester en marge du conflit qui a éclaté et entend bien faire valoir ses droits de propriétaire foncier, brandissant pour preuve un croquis du site qu’il s’est fait délivrer à l’issue des levées topographiques.
Il a donc convoqué Roger Zoungrana et sa famille au commissariat de Ipelcé lorsque ces derniers ont déterré les poteaux qu’il avait fixés en vue de clôturer le terrain avec du
grillage. L’affaire suit son cours et les propriétaires ont à leur tour requis les services d’un huissier de justice pour constater les violations de leur domaine. Pendant ce temps, l’harmonie sociale est entamée. « Il n’y a plus de salutation entre nous », note Roger Zoungrana, parlant de la famille qu’il accuse d’avoir vendu leur terre.
Certains membres de la famille ‘’lésée’’ soupçonnent également une complicité de l’agent domanial de la mairie de Doulougou, Claude Kabré, en se basant sur le fait que l’acheteur et le technicien qui a signé la levée topographique sur leur domaine ont le même patronyme que lui. L’autorité du chef coutumier de Samsaongo est également mise à rude épreuve à travers des actes de défiance et des accusations de complicité de part et d’autre.
Kalpongo, Samsaongo, Kagamzincé, Gorouré…, les transactions foncières se sont multipliées ces dernières années dans plusieurs localités du département de Doulougou. Plus de 1 700 hectares ont été vendus dans la seule année de 2021 et cela ne vaut que pour les transactions répertoriées au sein de l’administration communale.
Parmi les acquéreurs, l’on note bien entendu des promoteurs immobiliers, mais également des particuliers attirés par la proximité géographique du département avec la capitale. Ainsi, une véritable activité de spéculation foncière s’est développée. La perspective d’empocher ‘’facilement’’ des millions a favorisé l’activité de démarcheurs immobiliers qui s’érigent en facilitateurs entre acquéreurs et vendeurs au détriment du respect des procédures établies.
Dans le principe, une fiche comportant nécessairement les signatures du vendeur du terrain, de trois membres de sa famille, du président du Comité villageois de développement (CVD) et du chef de village doit être produite à l’entame de toute procédure de cession foncière dans n’importe quel village de Doulougou.
Cette exigence, qui a été instituée par une délibération du conseil municipal en 2013 afin de prévenir tout litige relatif au foncier, est royalement foulée aux pieds par différents acteurs. Les ventes des terrains de Gombila Compaoré et de Roger Zoungrana n’ont clairement pas suivi cette procédure ; ces transactions n’auraient pas suscité de trouble si cette procédure avait été suivie.
Chacun a sa petite idée
L’ex-maire Hamadou Ilboudo est de cet avis. Il soutient que les difficultés sont dues au fait que certaines transactions sont réalisées en marge de la délibération municipale.
« On ne peut pas passer par la mairie pour acheter un espace et avoir des problèmes ». A l’entendre, une personne rattachée à la municipalité « ne peut pas s’amuser à s’impliquer dans des cas de vente illicite », après les séances de sensibilisation, les ateliers de formation et les dotations en matériel pour la gestion foncière de la part de l’État.
Pourtant, lui-même, en tant que bourgmestre, est confronté actuellement à un cas de litige foncier. S’étant porté acquéreur d’un espace dans le village de Kagamzincé, il fait face à la fronde d’une famille qui s’estime propriétaire et a dû interrompre des travaux de forage qu’il avait entamés sur les lieux. Sur ce sujet, l’ancien édile dit s’en laver les mains et renvoie la famille plaignante auprès des vendeurs parmi lesquels un ex- conseiller municipal.
Selon nos informations, bien que la famille plaignante ait effectivement exploité le terrain en question, son droit de propriétaire terrien est remis en question. « Ceux qui revendiquent l’appartenance du domaine parce qu’ils l’exploitaient ne sont pas originaires de Kagamzincé. Et même le site où ils habitent, appartient à la famille des vendeurs. Ils sont arrivés il y a une soixantaine d’années et ont sollicité un espace pour s’établir, ils ne peuvent prétendre être propriétaires d’aucun espace à Kagamzincé », explique une source qui a requis l’anonymat.
Comme dans ce cas d’espèce, le statut de propriétaire terrien consacré par la loi portant réorganisation foncière et agraire de 2012 qui reconnaît un patrimoine foncier aux particuliers est à la base de bien de conflits fonciers. Sur le terrain, les litiges se multiplient donc, si bien que la délégation spéciale, qui assure actuellement la gestion des affaires courantes de la mairie, a pris un arrêté suspendant les transactions foncières dans le département.
Si la loi et les délibérations municipales peinent à trouver application à Doulougou, chacun a sa petite idée du ou des coupables. Des voix s’élèvent par exemple pour indexer l’administration communale. Plusieurs victimes portent notamment leur soupçon sur des agents municipaux. Une accusation grave qui cite nommément, entre autres, l’agent domanial Claude Kabré, soupçonné d’être de connivence avec des démarcheurs en catimini pour vendre des terrains au détriment des véritables propriétaires.
Mais ce dernier s’en défend et rappelle, pour sa défense, qu’il a prêté serment de servir dans la légalité avant son entrée en fonction. Mieux, il se présente plutôt comme l’assurance pour vendre ou acquérir un espace domanial en toute légalité sur le territoire communal.
Assainir le foncier
« Des gens quittent Ouagadougou avec leur topographe, font leur délimitation dans la brousse avec les acquéreurs et passent par des notaires pour faire leur transaction, sans passer par la commune. Et c’est lorsqu’ils veulent exploiter leur terrain ou faire les papiers qu’ils se rendent compte qu’il y a des difficultés, que le terrain a déjà été vendu ou qu’ils ont acheté auprès d’une personne qui n’est pas le véritable propriétaire », déplore-t-il.
Mais avec lui, vendeurs comme acheteurs sont obligés de passer par la procédure établie par la délibération municipale de 2013 qui a été renforcée par la suite sur suggestion du chef de Doulougou, pour requérir en sus la présence des propriétaires des domaines voisins au terrain objet de la transaction. Dans ce cas, il est impossible que ce terrain fasse l’objet de litige.
Claude Kabré, à son tour, pointe un doigt accusateur vers les démarcheurs qui pullulent dans cette commune rurale. Pour lui, ce sont eux qui favorisent les ventes détournées, mus par l’appât du gain. Effectivement, il peut paraître moins cher d’acheter son terrain hors du cadre municipal puisqu’on évite ainsi de payer les taxes communales y relatives.
En passant par l’agent domanial, l’acquéreur devra payer, notamment, la taxe communale et des frais pour des services divers (déplacement, enregistrement, délimitation, rédaction de projet, dépôt et signature état navette). De quoi donc saler le prix de revient du terrain alors qu’en traitant directement avec le vendeur, les coûts paraitront plus réduits.
Interrogé sur la question, l’ex-maire reste également sceptique sur une prétendue complicité au niveau de l’administration de la commune. Mais il admet, qu’« il y a des conseillers municipaux qui sont des voleurs et qui se cachent derrière leur statut pour faciliter la vente de terrains », sans toutefois nommer des élus en particulier.
Nombre d’élus se seraient érigés en démarcheurs pour profiter de la »manne foncière », d’après lui. En tout état de cause, plusieurs personnes invitent le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) ou l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de Lutte anti-corruption (ASCE-LC) à s’intéresser à la gestion foncière au sein de ce département.
Ces appels du pied pour toiletter la gestion foncière des collectivités territoriales ne sont pas nouveaux certes, mais ils méritent meilleure attention que le sort réservé à l’enquête parlementaire de 2016 sur le foncier. L’enjeu est grand. La cohésion sociale et le vivre-ensemble en dépendent.
L’assainissement du foncier est d’autant plus impérieux que l’Assemblée législative de Transition (ALT) a mis les pieds dans le plat en recommandant, expressément, en marge de la session consacrée à l’examen du budget 2023, le 24 décembre dernier, que le gouvernement numérise l’ensemble des parcelles du pays, au plus tard le 31 décembre 2023. Les députés jugent donc nécessaire que soit dressé un inventaire exhaustif de la propriété immobilière et foncière au Burkina.
Fabé Mamadou OUATTARA