Un verdict exemplaire

Une bagarre mettant en scène deux députés de l’opposition, Massata Samb et Mamadou Niang et une de leurs collègues de la majorité, Amy Ndiaye, avait eu lieu le 1er décembre 2022, à l’Assemblée nationale sénégalaise. Pour des propos jugés « irrespectueux », Massata Samb avait donné une gifle à Amy Ndiaye, enceinte et Mamadou Niang lui avait donné un coup de pied au ventre. Cet incident, survenu lors de la séance du vote du budget du ministère de la Justice, avait fait le tour du monde, avant que la victime ne saisisse la justice. Le parquet de Dakar s’était mis en branle depuis lors. Les deux « fautifs » sont passés à la barre, sans pour autant réussir à convaincre les juges de leur innocence. Ils ont nié les faits, mais c’est sans compter avec la lucidité et l’« intime conviction » du tribunal, qui n’a pas eu beaucoup de peine à établir leur culpabilité. Même l’invocation de leur immunité parlementaire par leurs avocats n’a pas suffi à entamer la détermination du tribunal qui voulait coûte que coûte faire la lumière sur cette affaire. Les deux députés de l’opposition ont été condamnés chacun à six mois de prison ferme. Ils entendent faire appel, à en croire leurs conseils, mais il y a de fortes chances que cette démarche ne prospère pas.

D’accord ou pas d’accord avec la sentence, les deux agresseurs d’Amy Ndiagne doivent payer pour leurs actes qui n’honorent aucunement la démocratie sénégalaise. Massata Samb et Mamadou Niang n’ont pas respecté leur statut d’élus du peuple en brillant par leurs propositions et arguments à l’Hémicycle. Ils ont plutôt laissé entrevoir leurs qualités en pugilat, osant même s’en prendre à une collègue en grossesse. Comble de l’ignominie ! Le jugement des deux parlementaires de l’opposition et le verdict qui en a découlé doivent servir d’exemple au Sénégal et au-delà de ses frontières. Au pays de la Téranga, les bagarres sont fréquentes à l’Assemblée nationale. Cette pratique est regrettable, ce d’autant plus que sur le continent africain, le Sénégal fait figure d’exemple, pour n’avoir pas connu de coup d’Etat depuis son accession à l’indépendance en 1960. Les actes posés par Massata Samb et Mamadou Niang sont indéniablement de nature à ternir cette réputation. A la vérité, l’incident du 1er décembre dernier témoigne des tensions à répétition entre l’opposition et le camp présidentiel qui ne détient plus la majorité absolue au Parlement. L’opposition, qui a opéré une percée remarquable aux dernières législatives, soupçonne le président Macky Sall et ses affidés d’avoir volé sa victoire. Dans le camp des opposants, dont le plus populaire est Ousmane Sonko, la majorité présidentielle a perdu toute crédibilité, à cause de la mal gouvernance, qu’elle n’a plus la confiance des Sénégalais.

L’ambiance qui règne dans le pays fait peur et n’annonce pas de jours paisibles, surtout à un an de la prochaine présidentielle prévue en 2024. L’opposition et certaines organisations de la société civile ne voient pas d’un bon œil la candidature de Macky Sall pour un 3e mandat. Ce qui pourrait mettre le feu aux poudres. Le président sénégalais, élu en 2012 puis réélu en 2019, a promis de respecter la Constitution qui ne l’autorise pas à exercer plus de deux mandats. Mais peut-on se fier à la parole d’un homme politique ? Un flou règne sur les intentions réelles de Macky Sall. Et pour ne rien arranger, l’attitude de ses partisans est intrigante. A leurs yeux, Macky Sall a le droit de briguer un troisième bail, en vertu de la révision constitutionnelle de 2016 qui remet le compteur à zéro, selon eux. Au-delà des bagarres à l’Assemblée nationale, il y a de quoi être inquiet pour l’avenir du Sénégal où la démocratie connait un recul, à bien des égards.

Kader Patrick KARANTAO

Laisser un commentaire