Dans la ville de Koudougou, région du Centre-Ouest, il n’est pas rare de voir des débits de boissons à proximité des cimetières. Ce phénomène ne semble pas effrayer, ni inquiéter ceux qui fréquentent ces lieux de réjouissance, car, ils se disent tous mortels. Par conséquent, manger et boire à côté des défunts serait une manière de se rappeler d’eux. Constat !
Il est 10 heures au maquis « La paillotte », situé au secteur 1 de Koudougou dans la région du Centre-Ouest, ce jeudi 8 septembre 2023. Deux grilleurs, respectivement de porc et mouton, activent leur feu. Sous un neemier, certains clients viennent de finir leurs plats de riz, d’autres attendent toujours d’être servis par la vendeuse. Des tables et chaises sont dressées devant le maquis qui fait face à l’entrée principale d’un cimetière. A partir de 9h30mn, le maquis est ouvert. Des clients peuvent « siroter » leur bière. A quelques dizaines de mètres de là, se trouvent deux autres maquis côte-à-côte, « La Garde » et le « Choco plus ». Ils font tous face au mur du même cimetière.
A l’intérieur de la « Garde », l’affluence n’est pas au rendez-vous, car c’était un jour ouvra-ble. L’instituteur Denis Yaméogo en vacances, âgé d’environ 50 ans, attend des amis. « Je viens boire souvent ici et le lieu est vraiment propre », dit-il. Au « Choco plus », la table de quatre clients est bien garnie de boissons al-coolisées, accompagnées d’un plateau de viande de chien. « C’est la viande de chien qui nous attire dans ce maquis, bien qu’il soit à côté d’un cimetière », confient-ils, tous souriants.
Les week-ends, les maquis à proximité des cimetières refusent du monde et peuvent se fermer à minuit, voire au-delà. Les veilles des jours de fêtes, c’est au petit matin que les clients regagnent leurs domiciles. Le gérant du maquis « La Garde », Roland Yaméogo, fait savoir qu’en trois mois, le chiffre d’affaires peut tourner autour de 3 millions F CFA et dans l’année 42 millions F CFA. « A la date d’ouverture du maquis en décembre 2021, il y avait une seule serveuse.
De nos jours, elles valent six, parmi lesquelles des étudiantes. Le nombre de filles a contribué à l’augmentation du chiffre d’affaires », s’enthousiasme-t-il. Les clients qui côtoient ce maquis à côté du cimetière, du fait qu’il soit clôturé, ne semblent pas s’inquiéter ou n’ont pas peur. Pour l’un d’entre eux qui a requis l’anonymat, l’essentiel c’est que la bière soit fraiche. « Nul n’est éternel sur terre. Tôt ou tard, nous rejoindrons nos devanciers. Nous vivons quotidiennement avec les fantômes », ajoute-t-il.
Les gérants des maquis estiment que celui qui cherche l’argent n’a peur de rien, pourvu qu’il y ait un engouement autour de l’activité menée. Céline Yaméogo est dolotière. Son cabaret qui fait également face à un cimetière, ne désemplit pas. Des clients, calebasses de dolo en main, rient, se tapotent et discutent des sujets d’actualité. Mme Yaméogo explique que lorsqu’un de ses clients va mourir, elle le ressent dans la préparation de son dolo qui devient gluant et change de goût. « Ceux qui sont enterrés dans les cimetières ont bu hier avec nous. Demain, nous les rejoindrons aussi. Donc, il n’y a aucune raison que nous nous éloignions d’eux », soutient-elle.
Des pratiques malsaines
L’installation des débits de boisson aux alentours des cimetières prend de l’ampleur dans la cité du Cavalier rouge. Les restaurants et les kiosques ne sont pas en reste. Bien que certains propriétaires aient des autorisations d’ouverture et de jouer de la musique, cette situation n’enchante pas le Président de la délégation spéciale (PDS) de Koudougou, Jonas Mané. L’idéal pour lui, est que ces activités se pratiquent très loin des demeures des défunts. « Le cimetière est un endroit où se reposent nos morts.
Il doit être calme et paisible pour leur tranquillité et aucune activité ne doit se mener autour », avoue-t-il. Selon Naba Saga 1er, chef d’Issouka, à l’époque, chaque famille avait son cimetière, mais de nos jours, il y a eu la création des cimetières, où les morts vont se reposer éternellement « et se parler entre eux, dans un respect et dans un silence respectueux ». Il confie que dans certains pays, il existe des buvettes et des bibliothèques dans des cimetières. « Nous ne trouvons pas normal de séparer les vivants des morts.
Il n’y a pas d’interdit qu’une buvette ou un maquis soit à côté ou en face d’un cimetière. Seulement que ces lieux de réjouissance et l’intérieur du cimetière soient propres. Il faut également que le cimetière soit clôturé et que les gérants évitent aussi de jouer la musique à fond », conseille-t-il. A l’entendre, il y a pire qui se passe dans ces endroits où sont enterrés les défunts. « Beaucoup de cimetières servent de refuge aux bandits, aux braqueurs et autres trafiquants de stupéfiants.
Certaines personnes vont même faire l’amour dans ces lieux », déplore-t-il. Paraphrasant, le médecin-poète sénégalais, Birago Diop, qui disait dans son œuvre poétique « Souffles », que les morts ne sont pas morts, le chef d’Issouka estime que les vivants ne doivent pas s’éloi-gner des morts. C’est la raison pour laquelle, à son avis, les morts étaient enterrés non loin de leurs concessions, pour leur permettre de se réjouir avec les vivants, lors des évé-nements.
« Dans les coutumes normalement, lorsqu’on veut manger ou boire, la nourriture, l’eau ou le dolo doit être versé à terre pour les défunts. Les traditionnalistes respectent beaucoup la mémoire des morts. C’est pourquoi, ils organi-sent des rituels et des funérailles pour leur repos éternel, afin de leur per- mettre d’atteindre leurs ancêtres, parce qu’ils croient à une vie après la mort », clarifie le chef. Il estime aussi que l’urbanisation est l’un des motifs qui amène certaines personnes à exercer leurs activités à côté des « demeures » des défunts.
Occupations illégales
Jean-Baptiste Simporé, de la direction de la communication de la mairie de Koudougou, clarifie que dans le plan d’aménagement d’une ville, il est prévu des réserves pour le commerce, les lieux de loisirs, les débits de boisson et les restaurants. Une personne qui transforme une parcelle en un débit de boissons, selon lui, n’est pas en règle. Pour se conformer et changer de destination, dit-il, il y a des démarches à suivre. « La majorité des détendeurs de débits de boissons dans la ville de Koudougou sont dans l’illégalité.
Ils ne détiennent pas des autorisations formelles d’ouverture », regrette M. Simporé. Des sensibilisations, à son avis, sont permanemment faites par la mairie, mais peine perdue. Il confie qu’en 2023, durant les périodes de fêtes, une cinquantaine de débit de boisson ont été ouverts. Le chef de service d’hygiène à la direction de la Police municipale de Koudougou, Eloi Yaméogo, note qu’en 2016, 80% des maquis occupaient le domaine public et 20% se retrouvaient dans des parcelles.
Il ajoute que la même année, chaque secteur de la cité du Cavalier rouge comptait au moins une vingtaine de maquis et le nombre le plus élevé était le secteur 9, avec 76 maquis. Seul le secteur 5, un secteur habité en grande partie par des musulmans, ne com-ptabilisait que 18 maquis. « Un kiosque peut se transformer du jour au lendemain en un maquis. Même si, c’est deux caisses de bières qui y sont vendues, il devient un maquis. De nos jours, seulement 35 à 40% de ces détenteurs de débits de boissons sont en règle », note M. Yaméogo de la Police municipale.
Au moins 400 mètres du cimetière
Selon les responsables de la Police municipale et du Trésor public de Koudou-gou, la distance qui sépare un maquis d’un cimetière est de 400 mètres. M. Yaméogo souligne qu’une personne qui ne détient pas une autorisation d’ouverture, doit payer une contravention de 25 000 F CFA. Au-delà de cette sanction, le maquis peut être fermé, afin d’amener le détendeur à se conformer aux textes. Par ailleurs, détaille-t-il, dans l’arrêté portant autorisation d’ouverture, il est mentionné dans les articles 3, 4 et 5, que les heures d’ouverture sont de 6h à 23h, les jours de la semaine et jusqu’à 2h du matin, les veilles et jours de fêtes légales. L’animation musicale ne devra pas être « perceptible » du dehors entre 12h et 14h et après 22h.
La non-observation de ces dispositions expose l’intéressé au retrait pur et simple de son autorisation. Malheureusement, le constat est amer sur le terrain et le hic pour ces détenteurs de débit de boissons est que bon nombre d’entre eux, ne sont pas à jour dans le paiement des taxes, même si d’autres se défendent, qu’ils le sont et qu’ils sont reconnus par la mairie. Pour l’agent de bureau au Trésor public/Koudougou, Ollo Kambou, la plupart des maquis à côté des cimetières, sont installés sur des parcelles. A son avis, un maquis qui occupe une superficie de 1 118 m2 doit payer par an, une somme d’environ 335 300 F CFA.
Ceux qui sont sur des parcelles et qui occupent une petite portion du domaine public, avec une superficie respectivement de 63 m2 et 13 m2, ont une taxation annuelle de 18 900 FCFA et 4 000 F CFA. « Les maquis à proximité des cimetières dans la ville de Koudougou sont au nombre de 5, mais eux tous ne sont pas à jour du paiement de leurs taxes », soutient M. Kambou. Des sensibilisations sont faites certes, mais les autorités locales doivent mettre l’accent à tous les niveaux, notamment les détenteurs des maquis, à s’éloigner davantage des cimetières, afin que les morts puissent se reposer éternellement en paix.
Louise BADO (Stagiaire)