Dans cet entretien, la directrice des activités de santé au travail à l’Office de santé des travailleurs (OST), Dr Ludwine Da/Somé, médecin du travail, explique la faible participation des agents du public à la visite médicale périodique VMP.
Sidwaya (S) : Pouvez-vous nous présenter l’Office de santé des travailleurs ?
Ludwine Da (L.D.) : L’Office de santé des travailleurs (OST) est un Etablissement public de santé (EPS). Il s’agit ici, de la structure publique chargée de la mise en œuvre des activités de santé au travail au Burkina Faso. L’OST a été créé par le décret n°429-CNR/PRES/ MSP du 31 juillet 1987. L’OST est placé sous la tutelle technique du ministère chargé de la santé et sous la tutelle financière du ministère des Finances.
S : Quelles sont les principales missions de l’OST ?
L. D. : La mission principale de l’OST est d’éviter l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ou des conditions d’exercice de leur métier. Il s’agit d’une mission de santé au travail, essentiellement préventive. Cependant, l’Office participe également à l’action de santé publique dans le cadre de la lutte contre les maladies endémo- épidémiques.
S : Parlez-nous des activités de premier plan de l’OST.
L. D. : Les principales activités de l’OST sont des activités de santé au travail. Il s’agit d’activités essentiellement préventives qui comprennent : la prévention primaire qui se compose de la surveillance du milieu et des conditions de travail à travers les Visites des lieux de travail (VLT), de l’Information-Education et Communication (IEC), de la formation en santé au travail et de la vaccination en milieu de travail. Ces activités de prévention primaire ont pour but d’éviter que le travailleur soit exposé aux facteurs de risques, à la situation pouvant avoir un effet néfaste pour sa santé. Il y a également la prévention secondaire qui se fait à travers la surveillance de la santé des travailleurs avec les différentes visites médicales règlementaires et les examens complémentaires d’aptitude aux postes de travail. Ces visites médicales règlementaires sont, entre autres, la visite médicale d’embauche, celle périodique ou annuelle, la visite médicale de reprise de travail, etc. Toutes ces différentes visites permettent de surveiller la santé du travailleur en rapport avec l’exposition professionnelle en vue d’un dépistage précoce de pathologies surtout liées au travail.
Cela participe à une meilleure protection ou à une prise de décision pouvant permettre au travailleur de poursuivre son activité professionnelle ou d’être orienté vers un poste adapté à ses capacités physiques ou psychiques. Il y a aussi la prévention tertiaire composée des consultations en santé au travail et la prise en charge médicale des risques professionnels (accidents de travail et des maladies professionnelles). Les actions de prévention tertiaire permettent une prise en charge médicale adéquate pour éviter l’aggravation d’une atteinte à la santé. En plus de ces actions de prévention, l’OST mène des activités de recherche en santé au travail, des actions de santé publique par sa participation à la lutte contre les endémo-épidémies et comme toute structure de santé, des actions administratives à travers l’élaboration des statistiques, la rédaction des rapports d’activités de santé au travail et la délivrance des différents certificats médicaux.
S : Qui peut bénéficier des prestations de l’OST et à quelles conditions ?
L. D. : Tous les travailleurs de tous les secteurs d’activités peuvent et doivent bénéficier des prestations de l’OST. Nous intervenons dans le secteur public, dans le privé structuré, les secteurs minier, agro-sylvo-pastoral, de l’économie informelle, etc
S : Mais à quelles conditions ?
L. D. : A travers l’affiliation de l’employeur à l’OST. En effet, selon les normes internationales du travail, les textes législatifs et règlementaires de notre pays, la santé au travail est à la charge de l’employeur. Au Burkina Faso, l’Etat a joué sa partition par la création de l’OST, par la mise à disposition de personnel et par la dotation régulière de subvention pour assurer les prestations de santé au travail au profit des travailleurs. En plus de cette action de l’Etat, une contribution est demandée pour les employeurs des autres secteurs d’activités. Cette contribution se fait à travers un contrat d’affiliation avec paiement d’honoraires forfaitaire et de frais pour les autres prestations de santé au travail à coûts réduits. Donc les employeurs des autres secteurs d’activités bénéficient des prestations à travers l’affiliation à l’OST avec un contrat d’affiliation.
S : Qu’entend-on par visite médicale périodique VMP ?
L. D. : La Visite médicale périodique (VMP) ou plutôt visite médicale annuelle est l’une des cinq visites médicales règlementaires retenues par notre législation. C’est une visite à laquelle sont soumis les travailleurs dans le cadre de leur emploi. Il s’agit d’une visite d’aptitude au poste de travail. Elle permet de vérifier l’aptitude du travailleur à son poste de travail, de décider du maintien ou non du travailleur au poste de travail. Elle relève de la prévision secondaire, effectuée par le personnel de la structure de santé au travail agréée. Il y a autres types de visites médicales réglementaires que sont la visite médicale d’embauche, la visite médicale de surveillance spéciale, la visite médicale de reprise de travail, la visite médicale de fin de contrat, etc. il faut retenir que la visite médicale de surveillance spéciale est aussi une visite périodique avec des périodicités pouvant être de 3 ou 6 mois, ou même plus en fonction de la nature du facteur de risque.
S : A quoi répond cette VMP ?
L. D. : Le but de la VMP est de s’assurer du maintien de l’aptitude médicale du travailleur au poste de travail occupé et éventuellement d’envisager un aménagement de poste ou un changement de poste. Il faut simplement retenir que la VMP n’est pas un bilan de santé. En effet, ce volet est de la responsabilité et à la charge de l’employeur.
S : Les travailleurs du public se bousculent-ils pour la visite médicale annuelle ?
L. D. : Pour ces deux dernières années, nous avons de faibles statistiques, moins de 10% des travailleurs du public. Des données très loin de nos attentes. En 2019, nous avons enregistré 19 875 travailleurs du secteur public qui ont été visités et 18 166 en 2020.
S : Que représente pour vous ce résultat ?
L. D. : C’est dommage. Ces résultats sont très en deçà des objectifs de surveillance. Pour une bonne couverture des travailleurs, il faut un taux d’au moins 95%. Mais sur le plan légal, ce taux doit être de 100% car tous les travailleurs doivent bénéficier et participer à cette visite chaque année. Elle permet non seulement de protéger le travailleur concerné mais aussi les autres travailleurs du service. C’est un peu comme la CCVA. Même si vous avez le meilleur mécanicien ou garagiste de la place, la loi vous demande de présenter votre véhicule à une structure pour attester qu’il peut toujours circuler sans constituer un danger pour vous-même et pour les autres usagers de la voie publique. Ainsi, la visite médicale annuelle permet de protéger le travailleur, de protéger les autres travailleurs de l’entreprise ou du service et de protéger les biens matériels de l’entreprise ou du service. Pour ces raisons et au-delà de son caractère obligatoire, aucun travailleur ne devrait de son propre gré refuser de participer à la visite médicale. Mais hélas, on note une très faible participation des travailleurs du secteur public à la VMP et leur faible adhésion aux actions de santé au travail alors que les facteurs de risques sont bien présents.
S : Quelles mesures préconisez-vous afin de relever le niveau de participation des agents du public à la VMP ?
L. D. : Plusieurs actions sont prises et mises en œuvre. La réflexion sur de nouvelles stratégies se poursuit mais nous pensons que c’est ensemble avec les acteurs que nous allons trouver la meilleure stratégie pour améliorer la couverture des travailleurs à cette visite. Déjà, plusieurs modes organisationnels ont été expérimentés. La programmation sur toute l’année et non pas à une période de l’année, la réalisation de l’activité par le personnel de l’OST avec l’appui des districts sanitaires, la rencontre avec les DAF/DRH dans les ministères et institutions avant le début de l’activité pour expliquer le bien-fondé de la VMP, afin de solliciter leur accompagnement sur tous les plans, etc. Le renforcement des séances de sensibilisation pour faire comprendre les actions de santé au travail, le plaidoyer pour la prise en charge des frais des examens complémentaires et bien d’autres actions sont menées.
S : Quelle dialogue entretenez-vous avec les responsables de l’administration publique afin d’améliorer la participation de leurs agents à la VMP ?
L. D. : La visite médicale périodique est une activité importante pour la prévention des risques professionnels (accident du travail, maladie professionnelle ou à caractère professionnel). Il n’est plus à démontrer que la productivité de toute entreprise passe par la santé de ses travailleurs et que le capital humain est une richesse primordiale à préserver. De ce fait, tous les moyens doivent être déployés pour une participation effective des travailleurs aux différentes visites. Ainsi, nous invitons, à chaque fois, les premiers responsables à s’engager fermement et à donner l’exemple par leur adhésion à toutes les activités de santé au travail. Nous souhaitons une franche collaboration et une synergie d’actions entre l’OST et toutes les structures publiques ou privées pour que la santé au travail soit une réalité au Burkina Faso.
S : Que recommandez-vous aux agents publics de l’Etat en termes d’adhésion à la VMP ?
L. D. : Je voudrais inviter l’ensemble des travailleurs du secteur public à adhérer aux activités de santé au travail, car les risques professionnels sont une réalité dans ce secteur d’activités. Je voudrais les rassurer que l’examen physique et les examens préliminaires faits lors de la visite médicale réalisée par l’Office de santé des travailleurs ne sont pas sommaires comme on l’entend dire souvent. C’est une action de prévention, une occasion de rencontre avec le corps médical.
S : Quels effets peuvent avoir ces visites sur l’équilibre sanitaire des agents ?
L. D. : Les examens qui sont faits permettent de dépister des affections oculaires et des anomalies de la vision à travers l’acuité visuelle. Aussi, ces diagnostics détectent les troubles cardio-vasculaires ou des facteurs de risques cardio-vasculaires à travers la prise de la tension artérielle, du pouls, du poids et de la taille. Des troubles métaboliques, des affections urinaires ou urologiques trouvent leurs réponses à travers le dosage de l’albumine, du sucre et d’autres paramètres dans les urines. A cela s’ajoutent les conseils et l’examen physique du médecin. En somme, cette visite permet le dépistage d’affections en rapport ou non avec les risques au poste de travail et surtout de certaines affections chroniques non liées au travail mais qui peuvent avoir un impact négatif sur la productivité. La santé est un bien précieux, les travailleurs ne doivent rater aucune occasion pour cette action de prévention. Je voudrais aussi dire que la participation à la visite médicale est une responsabilité de l’employeur mais également du travailleur. Le dépistage est une occasion pour le dépistage des maladies professionnelles dont la prise en charge et la réparation sont assurées par la CARFO. Il ne faut pas perdre de vue le fait que la santé au travail est un droit pour tout travailleur mais aussi un devoir car nul n’est à l’abri d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. Et des millions d’hommes et de femmes sont victimes de ces risques professionnels chaque année. Des risques professionnels connus ou méconnus avec des conséquences graves pour les travailleurs et leurs familles, pour les entreprises et services, pour les économies, les services de prévoyance sociale et enfin pour la nation entière. Donc il importe que chaque partie prenante joue sa partition afin que le slogan « l’homme travaille pour gagner sa vie et non pour la perdre » soit une réalité au Burkina Faso.
Interview réalisée par
Wanlé Gérard COULIBALY