Yacouba Sawadogo, Prix Nobel alternatif : «Mon souci est que la forêt n’a pas été formalisée»

Notre personnalité de l’année, le cultivateur Yacouba Sawadogo, Prix Nobel Alternatif, s’est confié à cœur ouvert, pour évoquer le choix porté sur sa personne, son combat contre le désert et diverses autres questions liées à la protection de l’environnement. Entretien exclusif avec ce polygame, père de 27 enfants, qui a reboisé une forêt de 27 hectares pendant 45 ans dans son village, Gourga, dans la commune de Ouahigouya. Un pari fou, qui lui a valu pas mal de soucis.

Sidwaya (S.) : Notre rédaction vous a désigné comme homme de l’année pour vos différentes actions en matière de sauvegarde de l’environnement. Comment prenez-vous cette marque de considération ?
Yacouba Sawadogo (Y.S.) : Ma désignation comme l’homme de l’année des Editions Sidwaya me va droit au cœur. C’est un honneur que vous me faites. Je souhaite que mon travail sur la sauvegarde de l’environnement inspire les Burkinabè. C’est un travail de longue haleine, qui va servir aux jeunes générations. Merci pour cette marque de considération.

S. : Durant 45 ans, vous avez travaillé à mettre en place une forêt de 27 hectares en luttant contre l’avancée du désert. Etiez-vous sûr de gagner ce pari ?
Y.S. : Au départ, je n’étais pas très sûr de disposer d’une telle superficie de forêt. J’ai connu des échecs dans le reboisement, du fait de l’aridité du sol. Je ne me décourageais jamais. Mais les différents échecs m’ont permis de multiplier des initiatives, jusqu’à ce que mon rêve puisse se réaliser. A l’époque, c’était la grande sécheresse au point que des gens quittaient le Mali pour migrer vers le Burkina Faso. Il est arrivé qu’une femme quitte son mari ou vice versa, ou encore, un enfant quitte son père et sa mère par manque de nourriture, sans oublier les animaux qui mouraient à cause de la famine. Cette époque était très dure. Les Maliens l’ont même qualifiée de « Aller hop », pour désigner le caractère sévère de cette famine. Il n’y avait pas à manger, les animaux mouraient et les gens fuyaient les villages. C’est le sens du terme « Aller hop ».

S. : Le 23 novembre 2018, vous avez reçu, à Stockholm en Suède, le prix Nobel Alternatif, pour avoir stoppé la progression du désert. Qu’avez-vous ressenti au moment de la remise de cette distinction ?
Y.S. : La première impression que j’ai eue est que mon travail avait de l’importance pour certaines personnes. Recevoir un prix à des milliers de kilomètres de ma terre natale me dépasse. Certes, les honneurs me reviennent et la distinction va me faire du bien, mais elle sera bénéfique pour la nation entière. Elle va inspirer des Burkinabè à faire comme moi.

S. : D’aucuns pensent que vous avez hérité de votre père la fibre de reboisement qui, lui, était jardinier. Est-ce une réalité ?
Y.S. : Effectivement, mon père a été un grand jardinier. Il s’appelait Sawadogo Maasogo dit Adama. Ce dernier n’a pas pratiqué la technique du Zaï, comme je le fais actuellement. Il a aidé plein de personnes à Gourga en partageant son expérience. Pour la fibre de reboisement, ce sont les effets de la famine au Mali, qui m’ont beaucoup inspiré. Pour moi, la solution était d’arrêter la progression du désert.

S. : D’aucuns vous avaient qualifié de « fou », mais vous avez continué votre œuvre. D’où est venue cette conviction ?
Y.S. : Je faisais le commerce au grand marché de Ouahigouya. J’ai abandonné cette activité, pour planter des arbres sur une terre aride et j’ai été traité de tous les noms. Celui qui me revient le plus souvent en tête, c’est le terme fou. Les gens ne pouvaient s’imaginer qu’un commerçant, qui faisait de bonnes affaires, abandonne tout d’un coup pour se mettre à creuser un sol aride. Un jour, mes amis commerçants accompagnés d’un de mes fils sont venus me rendre visite sur mon terrain pour s’assurer si ce qui se racontait sur moi était vrai. En ce moment, je creusais des trous pour enfouir de la fumure organique. Lorsque je les ai aperçus de loin, je me suis dirigé vers eux la houe à l’épaule. Subitement, ils se sont mis à courir dans tous les sens en disant que Yacouba est devenu fou. Pour vous dire la vérité, cela m’a conforté dans ma conviction. Aujourd’hui, quelques-uns d’entre eux viennent me demander des conseils même dans d’autres domaines, autres que le reboisement. Mais, j’ai subi beaucoup de torts à cause de la forêt que j’ai mis en place.

S. : Parlez-nous de ces torts ?
Y.S. : Quand vous entreprenez de restaurer le couvert végétal d’une zone aride durant des années pour le bien de la communauté et quelqu’un vient délimiter une grande portion pour lotir, sans vous aviser parce qu’il représente un pouvoir public, cela est décourageant. Les autorités ont attribué des parcelles de la forêt à 17 personnes. Ce que je trouve injuste. Tous les arbres de la forêt ont été abattus et je suis resté impuissant face aux attributaires qui m’ont fait savoir que des parties leur ont été attribuées. C’est une quarantaine d’années de souffrance qui a été annihilée.
sJ’ai entrepris des démarches pour demander à ce qu’on me réhabilite. Grâce à l’aide d’un agent de la mairie de Ouahigouya, j’ai pu recouvrer une bonne partie, soit une superficie de 14 parcelles. Présentement, il y a trois parcelles qui sont toujours occupées et les attributaires y ont même construit des maisons. Le jardin de mon père en a également fait les frais, à l’époque aussi. Quand on parcellait le terrain de mon père, je n’ai pas été consulté. Les pouvoirs publics se sont servis à leur guise. Pendant le lotissement, ma maison s’est retrouvée sur une voie. J’étais obligé de l’abandonner. La tombe de mon père a été divisée et repartie entre deux parcelles. Il en est de même pour ma mère et ses coépouses. Je n’avais autre choix que de les regarder faire. Cela est une faute grave que la loi divine n’accepte pas. Mais, je n’ai pas l’habitude d’en parler.

S. : Yacouba Sawadogo a-t-il bénéficié de l’aide de ses parents, d’amis ou de l’Etat durant le reboisement des 27 hectares ?
Y.S. : J’ai reçu des encouragements, notamment de mes parents. Mais des soutiens en termes d’argent ou de matériel de la part d’un service, je n’en ai pas reçus.

S. : Etes-vous souvent sollicité par des personnes ou des structures pour partager votre expérience ?
Y.S. : Je reçois la visite de plusieurs structures associatives et de particuliers qui viennent s’inspirer de mon expérience. Ils sont tellement nombreux que je ne pourrais vous donner un chiffre exact. Concernant les associations, elles viennent de partout. Une équipe de la Banque mondiale est venue voir ce que je fais et elle a vraiment aimé mon travail. J’enseigne souvent aux jeunes, qui veulent être des pépiniéristes, des rudiments du métier sous mon hangar. Pour ce cas particulier, j’ai reçu de l’aide alimentaire de la part d’un Européen, pour accompagner l’activité durant cinq ans. Il m’a personnellement remis de l’argent pour résoudre mes petits problèmes personnels.

S. : Quelle est la suite de votre projet après avoir créé une forêt de vos deux mains ?
Y.S. : Mon principal souci est que la forêt n’a pas été formalisée. Il faut que ce couvert végétal ait des documents légaux délivrés par les autorités, sinon il risque de disparaître dans les années à venir. Ce lieu est une école où des Burkinabè, tout comme des étrangers, viennent acquérir un savoir qui va leur être bénéfique dans le futur. Avec les visites que je reçois, je voudrais qu’on m’aide à construire une salle pour échanger avec mes visiteurs. Elle me permettra surtout de transmettre mon savoir à ces jeunes qui viennent apprendre, parce que cette forêt est devenue une école pour ces derniers. Je précise que toutes les variétés de plantes de cette forêt sont à base médicinale. C’est un choix personnel que j’ai opéré. Si vous remarquez bien, vous ne verrez aucune plante inconnue des Burkinabè.

S. : Quels sont vos vœux pour la nouvelle année 2019 ?
Y .S. : Je souhaite qu’il y ait la paix au Burkina Faso pour ce nouvel an. Que les dirigeants aient la force et le courage de mener à bien les objectifs qu’ils se sont fixés pour le bonheur de tous les Burkinabè. Que chacun essaie de se battre dans l’honnêteté, pour récolter les fruits de son travail. Même si la récompense est petite, elle honore plus. Quand vous récoltez ce que vous n’avez pas semé, c’est une faute très grave. Je demande à tous les Burkinabè de ne pas être des rancuniers, car c’est un très grand défaut.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

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