Les pesanteurs socioculturelles constituent souvent un frein à l’épanouissement des femmes en milieu rural. Ces difficultés s’accentuent lorsqu’elles vivent avec un handicap. A Douna, dans la province de la Léraba, des femmes en situation de handicap moteur forcent cependant l’admiration par leur courage et leur résilience. Réunies en association, elles ont su saisir l’opportunité de financement de fonds publics pour en faire un véritable levier
d’autonomisation économique et sociale. Nous sommes allés à la rencontre de ces femmes battantes qui ont su dominer leur handicap et se frayer un chemin vers l’autonomie.
Assise en face de son étal, à la devanture d’une maisonnette lui servant de boutique, Maïmouna Hié attend ses premiers clients de la journée de ce mardi
2 décembre 2025. Sur sa table relativement basse, sont disposés oignons, tomates et un seau de soumbala couvert. La clientèle ne se bouscule visiblement pas. Ce n’est pas le jour de marché. Seuls quelques commerces ont ouvert aux alentours. Les hangars vides du marché et le silence qui y règne, en témoignent. Nous sommes à Douna, commune rurale de la province de la Léraba, située à une dizaine de kilomètres de Sindou sur l’axe Sindou – Banfora.
Maïmouna Hié fait dans le petit commerce de légumes, de condiments et des céréales. Elle

dispose également d’un hangar dans l’enceinte du marché, mais fonctionnel uniquement les jours de marché. Les jours ordinaires, elle vend devant son magasin. Mère d’une dizaine d’enfants issus de cinq portées successives de jumeaux, Maïmouna Hié est une personne vivant avec un handicap moteur.
Devenue veuve en 2021, elle assume depuis lors et seule la charge du ménage. Pourtant, elle n’a pas baissé les bras.
Malgré son handicap moteur, elle parvient à dégager de ses activités commerciales, une marge bénéficiaire mensuelle estimée à environ 75 000 F CFA, voire plus, après avoir déduit ses charges familiales. Ce qui lui permet de satisfaire les besoins essentiels du foyer. « J’arrive à nourrir mes enfants, à payer leur scolarité et à réaliser d’autres projets », se félicite-t-elle, le regard fixé vers le haut, comme si elle rendait grâce à Dieu.
Victime de stigmatisation
Comme Maïmouna Hié, Mariam Son vit avec un handicap moteur qui a certes limité sa mobilité, mais pas son courage et sa combativité. Assise devant sa maison, son vélo à main à ses côtés, elle décortique des arachides destinées à la vente. Mariam Son exerce également dans le petit commerce de céréales et de produits détergents. « J’arrive à me débrouiller seule avec mes enfants. Aujourd’hui, j’ai recouvré ma dignité et je suis fière », laisse-t-elle entendre.
Mère de deux garçons, l’un au primaire et l’autre au collège, elle assume seule leur prise en charge. Le père des enfants, installé à Ouagadougou, n’a jamais joué son rôle, lui laissant toute la responsabilité, dit-elle. « Aujourd’hui, j’ai recouvré ma dignité et je suis fière », affirme-t-elle avec assurance. Mariam Son vivait aux débuts avec ses enfants dans la cour de son père. Après avoir subi la stigmatisation et la marginalisation au sein de sa famille, elle décide de prendre son destin en main.

à ses besoins.
Avec l’accord de son père, elle obtient un lopin de terre. Grâce aux économies issues de son commerce et son dévouement, elle vit aujourd’hui avec ses mômes dans une cour construite à la sueur de son front. Fatoumata Soura âgée de la cinquantaine gagne aussi sa vie de son petit commerce de condiments, d’arachides et de cola. Atteinte de l’éléphantiasis dont elle souffre jusque-là, elle est livrée à elle-même, depuis le début de la maladie, bien qu’étant mariée et mère au foyer.
Tant bien que mal, elle réussit à joindre les deux bouts avec son petit commerce. Elle arrive, soutient-elle, avec un brin de fierté, à se prendre en charge. Maïmouna Kara, elle, veuve et vivant avec un handicap moteur, exerce depuis 16 ans dans le petit commerce. Sa boutique, héritée de son défunt mari, constitue aujourd’hui
son principal moyen de subsistance. « Cette activité me permet de subvenir à mes besoins », confie-t-elle sans aller dans les détails.
Le financement public, un levier d’autonomisation durable
Toutes ces femmes ont un point commun : elles sont membres de l’association « Igloula Di Diena » (Ndlr : entente en langue turka) créée en 2017. L’association compte aujourd’hui neuf membres, tous des femmes vivant avec un handicap moteur. Leurs Activités génératrices de revenus (AGR) prospèrent et elles le doivent en grande partie aux financements publics. En effet, c’est le Fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF), une structure rattachée au ministère en charge de la Solidarité nationale qui accompagne l’association et ses membres dans leurs AGR.
Selon la présidente Madiata Soura, l’association a vu le jour grâce à l’accompagnement et les orientations du service social communal de Douna. Son objectif est de permettre à ses membres de mutualiser leurs efforts afin de faciliter leur accès aux financements et d’améliorer durablement leurs conditions de vie.
Grâce aux prêts octroyés par le FAARF depuis 7 ans, les activités individuelles des membres ont connu un essor notable, reconnait-elle. Ces femmes mènent aussi une activité collective de fabrication de soumbala, dont les recettes alimentent la caisse de l’association. Madiata Soura vend des condiments et du savon. Depuis une trentaine d’années, elle fait le petit commerce mais son activité a pris un tournant majeur en 2017 quand elle croise le chemin du FAARF.

« J’ai développé mon activité commerciale. Les bénéfices obtenus m’ont permis de construire une maison, d’investir dans l’élevage et tout cela me permet de subvenir aux besoins de ma famille et scolariser les enfants », témoigne-t-elle avec reconnaissance. A la première année, confie la présidente de l’association, les membres ont bénéficié chacune d’un crédit de 50 000 F CFA. Cette somme va croitre d’année en année pour atteindre aujourd’hui 500 000 F CFA. Mariam Son, qui occupe le poste de trésorière dans le bureau de l’association, a vu également sa vie changer avec les prêts accordés par le fonds.
« Grâce au FAARF, je ne tends plus la main à quelqu’un pour vivre dignement », témoigne cette mère et cheffe de famille malgré elle.
Maïmouna Kara, elle, voit ses conditions de vie s’améliorer d’année en année depuis qu’elle a intégré l’association. « Mon activité se porte mieux et les bénéfices que je gagne me permettent de me prendre en charge », dit-elle. Et Aramata Hié, un autre membre de
l’association, d’affirmer que les prêts dont bénéficient les membres de l’association leur ont permis de restaurer leur dignité.
Environ 600 millions FCFA injectés en 2024
Yamfissa Sanou est l’une des deux gestionnaires du FAARF dans la Léraba. Avec sa
collègue, elles couvrent les villages des 8 communes de la province. La principale mission du FAARF, explique-t-elle, est de faciliter l’accès des femmes aux produits financiers, afin de dynamiser leurs activités. Les secteurs éligibles concernent les petits commerces, l’agriculture, l’élevage, l’artisanat et la transformation. Pour en bénéficier, précise-t-elle, il suffit d’être femme burkinabè non salariée, et mener déjà une activité rémunératrice. La particularité du FAARF, poursuit Mme Sanou, il n’exige pas de garantie des femmes avant de les financer, il a plus de proximité avec ses bénéficiaires et le processus du montage du dossier est entièrement gratuit.

Néanmoins, avant tout octroi de prêt, foi de Yamfissa Sanou, une visite terrain est diligentée afin de se rassurer de la réalité et de la viabilité de l’activité exercée. Les femmes peuvent postuler individuellement ou en groupements. Aux yeux de Mme Sanou, l’impact du fonds dans la province est positif, comme en témoigne l’engouement croissant des femmes pour les produits du fonds. Les statistiques font état de 395 millions F CFA injectés dans la province en 2021 au profit des femmes. Cette enveloppe n’a fait que croitre en passant à 476 millions en 2022, à 545 millions en 2023, puis presque 600 millions en 2024.
En octobre 2025, le compteur en termes d’octroi de crédit du FAARF dans la province affichait déjà plus de 500 millions F CFA. Mieux, un autre motif de satisfaction de Yamfissa Sanou, le taux de recouvrement est jugé très acceptable. « A ce jour, le taux de recouvrement général est à 80% dans la province. Sauf quelques rares cas de décès, toutes celles qui sont en vie arrivent à rembourser leur
prêt », témoigne-t-elle.
Changer le regard de la société
Evoquant le cas des femmes de l’association « Igloula Di Diena », Yamfissa Sanou ne tarit pas d’éloges à leur endroit. « C’est un groupe vraiment dynamique. Depuis 7 ans qu’elles bénéficient de nos prêts, elles ont toujours respecté leurs engagements de remboursement », confie-t-elle. La gestionnaire de compte fait savoir en outre que contrairement au taux d’intérêt de 10 % fixé pour les autres femmes, le fonds a accordé un taux préférentiel de 4% à ces femmes vivant avec un handicap.
En perspective, à en croire Mme Sanou, plusieurs innovations sont envisagées, notamment la hausse des montants accordés, le raccourcissement de la durée de traitement des dossiers et le renforcement de la proximité entre le FAARF et les bénéficiaires. Cette dynamique est soutenue par une étroite collaboration entre les services en charge de l’action humanitaire de la province et le FAARF.

Selon le chef du service social communal de Douna, Issa Traoré, en faveur de l’autonomisation de la femme, du travail est fait en amont du financement. Ce travail porte notamment sur l’identification et l’organisation des bénéficiaires à travers des investigations, les appuis en formation professionnelle et la facilitation de leur accès au financement. Issa Traoré ne doute pas de l’impact positif de ces financements publics sur les activités et le quotidien des femmes de l’association.
« Quand tu ne les vois plus tellement dépendantes de nos services, tu déduis qu’elles ont sûrement trouvé un moyen de se prendre en charge », évoque-t-il. Un constat partagé par le directeur provincial en charge de l’action humanitaire de la Léraba, Ousmane Ouédraogo. Selon lui, l’activité économique de ces femmes leur permet non seulement d’assurer leur subsistance, mais contribue à changer même le regard de la société envers les personnes handicapées. Pour soutenir leurs efforts, dit-il, la direction provinciale les priorise en cas de distribution de vivres et les prend en compte lors des appuis faits par le Fonds national de solidarité sociale ou par d’autres partenaires.
Bannir la mendicité
Afin de mieux défendre leurs intérêts matériels et moraux, les personnes vivant avec un handicap de la région des Tannounyan ont mis en place la Coordination régionale des personnes handicapées en 2014. Selon son président, Issouf Koné, six catégories de handicap sont réunies au sein de la coordination. Il s’agit des personnes handicapées moteurs, des aveugles et malvoyants, des personnes handicapées auditives, des déficients psychosociaux, des personnes de petite taille et des personnes atteintes d’albinisme.
Le principal combat de la coordination, souligne M. Koné, est de promouvoir
l’autonomie des personnes handicapées dont le handicap le permet. Pour y parvenir, la coordination mise essentiellement sur la sensibilisation et le plaidoyer pour une meilleure prise en compte du handicap dans les programmes et politiques nationales. Depuis sa création, la coordination se félicite d’un acquis majeur, même si Issouf Koné reconnait que des défis persistent. « Nous avons réussi à bannir la mendicité dans les rangs
des personnes handicapées », affirme-t-il avec satisfaction.

Avant de préciser qu’aujourd’hui « aucune personne handicapée autochtone de Banfora ne peut être aperçue en situation de mendicité ». Pour y arriver, la coordination a dû prendre son bâton de pèlerin pour sensibiliser des décideurs et la communauté à décourager la mendicité dans les rangs des personnes handicapées. « Je préfère qu’on emploie un
handicapé pour lui donner la rétribution de son travail que de lui tendre de l’argent dans
la rue », avance-t-il. La coordination, en plus d’encourager les femmes handicapées à aller vers les fonds de financement a, à son actif, plusieurs actions en faveur de l’autonomisation de ces dernières.
Par exemple, confie M. Koné, la coordination a formé des femmes en teinture de Koko Dunda et est même en train de négocier des marchés avec des écoles pour elles. Pour Issouf Koné, la précarité expose les femmes handicapées aux abus, à la stigmatisation et aux violences. Qu’à cela ne tienne, il reste convaincu que le travail et la capacité de se prendre en charge constituent les meilleurs remparts, garantissant à la femme handicapée son autonomie, sa dignité et le respect au sein de la société.
Alpha Sékou BARRY
alphasekoubarry@gmail.com






