
« Pour la campagne agricole en cours, les souscriptions ont commencé depuis le mois de juillet et se poursuivent jusqu’en fin août », dixit le DG de la promotion de l’économie rurale, Ollé Arnaud Kam
Ces dernières années, le Burkina Faso s’est engagé dans la promotion de l’assurance agricole. Dans cette interview accordée au journal de tous les Burkinabè, le Directeur général de la promotion de l’économie rurale et responsable du « programme budgétaire 077 économie agricole » au ministère en charge de l’agriculture, Ollé Arnaud Kam, revient sur les raisons de cet engagement politique en faveur de l’assurance agricole, les spéculations et les risques couverts, les résultats engrangés sur le terrain. Il aborde aussi l’engouement des producteurs pour ce type de produit assurantiel, les défis à relever et les ambitions du département en charge de l’agriculture, surtout dans le cadre de l’Offensive agropastorale et halieutique.
Sidwaya (S) : Depuis 2019, le Burkina Faso, à travers le ministère en charge de l’agriculture, est engagé dans une dynamique de promotion de l’assurance agricole. Qu’est-ce qui a motivé ce choix politique ?
Ollé Arnaud Kam (O.A.K) : Depuis belle lurette, notre secteur agricole reste fortement dépendant des aléas climatiques et cette situation exacerbe les risques liés à l’activité agricole, rendant les institutions de financement méfiants pour l’offre de crédit ; toute chose qui impacte fortement sur la résilience des producteurs et sur la sécurité alimentaire. C’est fort de ce constat que ce choix politique se justifie et a été motivé par l’ambition des autorités du Burkina Faso de garantir la sécurité alimentaire à travers la sécurisation du capital productif et des investissements de nos braves producteurs. Ainsi, l’assurance agricole s’inscrit parmi les actions majeures qui ont été engagées dans le cadre de l’Offensive agro-pastorale et halieutique afin de pouvoir réduire un tant soit peu l’impact et gérer les aléas climatiques sur notre agriculture.
S : Aujourd’hui, quel bilan peut-on faire de la mise en œuvre de cette assurance agricole sur le terrain, d’une manière globale et particulièrement pour la dernière campagne agricole ?
O.A.K : Globalement, le bilan à ce jour montre un intérêt et un engouement des producteurs, surtout dans les régions qui ont accueilli cette phase pilote, à savoir la Boucle du Mouhoun, le Centre-Ouest et l’Est. Pour ce qui concerne la campagne agricole passée, nous avons enregistré 14 420 souscriptions couvrant une superficie de 34 906 hectares. L’année 2024 a été marquée par des rendements globalement positifs, bien que certains assurés aient subi des pertes dues aux aléas climatiques, notamment la sécheresse et l’inondation.
S : Et cela pour des indemnisations à hauteur de combien ?
O.A.K : Cela a donné lieu à des indemnisations à hauteur de 28 millions F CFA, prenant en compte les risques liés à la baisse des rendements comme les risques liés aux décès.
S : On sait qu’au Burkina Faso, la culture assurantielle n’est pas très développée, surtout en milieu rural. Malgré cela, vous le dites qu’il y a un engouement des producteurs pour l’assurance agricole. Qu’est-ce qui justifie cet engouement du monde agricole pour ce produit assurantiel ?
O.A.K : D’abord, on peut dire que l’assurance agricole a été quelque peu suscitée par les acteurs de terrain lors des cadres de concertation comme les Journées nationales du paysan qui s’organisaient dans le passé. Ce qui fait que bien que la culture assurantielle soit encore peu développée en milieu rural, depuis la phase pilote, les producteurs ont montré un intérêt croissant pour l’assurance agricole. Et cette adhésion est en grande partie liée à l’efficacité des programmes de sensibilisation que nous avons mis en place. Et cela s’est traduit par des taux de souscription qui se sont accrus d’année en année. A titre illustratif, en 2020 nous avons enregistré 369 souscriptions, 801 en 2021, près de 12 000 en 2022, 12 500 en 2023 et 14 420 souscriptions en 2024.
S : Cette adhésion des producteurs à l’assurance agricole n’est-elle pas en partie liée au programme de subventions des souscriptions mis en place par le gouvernement à travers le ministère en charge de l’agriculture ?
O.A.K : Effectivement, c’est un programme que nous sommes en train de promouvoir pour susciter l’adhésion des acteurs. Et un des moyens qui permet aux producteurs de s’approprier l’assurance agricole, en les accompagnant dans le cadre de l’acquisition de ces produits assurantiels qui ont été mis en place. Mais au-delà du programme conduit par le ministère en charge de l’agriculture, il faut noter que les produits d’assurance agricole sont développés et commercialisés par des compagnies d’assurance et d’autres partenaires sans l’accompagnement de notre département. Et cela témoigne encore de cet engouement réel des acteurs pour l’assurance agricole.
Cet intérêt des producteurs pour l’assurance agricole, est bien perceptible sur le terrain surtout dans les zones qui ont connu la phase pilote, qui ont pu mesurer les avantages de ces produits assurantiels. Sur le terrain, vous rencontrerez des acteurs qui vous feront savoir les bonnes impressions qu’ils ont de ces produits assurantiels, notamment à travers l’innovation qui a été introduite pour couvrir des risques plus larges, prenant en compte les difficultés auxquelles les producteurs sont confrontés.
S : Est-ce à dire que même après le retrait des subventions de l’Etat, les agriculteurs sont disposés à continuer à souscrire pour l’assurance agricole ?
O.A.K : Nous pensons bien qu’après le retrait des subventions, les producteurs vont continuer à souscrire. Et déjà dans la réflexion, la subvention vise à amener les gens à s’intéresser et à tirer profit de ce mécanisme. Mais, l’Etat devrait, de façon progressive, pouvoir réduire cet accompagnement.
S : Vous l’avez souligné tantôt, l’assurance agricole occupe une place de choix dans l’Offensive agropastorale et halieutique. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet engagement politique renforcé en faveur de l’assurance agricole ?
O.A.K : Il faut dire que l’engagement politique renforcé en faveur de l’assurance agricole est motivé par la nécessité de renforcer la résilience du secteur agricole face aux risques climatiques. Ce qui devrait contribuer à améliorer nettement l’accès des producteurs au financement. Et l’assurance constitue donc l’une des réformes majeures qui a été engagée dans le cadre de l’Offensive agro-pastorale et halieutique, avec comme objectif majeur de garantir la sérénité alimentaire, soutenir la création d’emplois surtout pour les jeunes et les femmes.
S : Concrètement, comment cet engagement politique renforcé se traduit sur le terrain, au profit du monde agricole ?
O.A.K : Par exemple, lors des phases pilotes, le risque couvert par l’assurance était focalisé sur la sécheresse. Avec l’Offensive agro-pastorale et halieutique, nous avons revu les produits assurantiels qui sont commercialisés désormais sous forme des produits tout risque, c’est-à-dire que dans le nouveau mécanisme, les nouveaux produits assurantiels couvrent un panier de risques. Et globalement, nous mettons cela sur le compte de l’assurance sur les rendements, mais en réalité, elle prend en compte à la fois les risques liés à la sécheresse, à l’inondation, aux feux de brousse, aux attaques acridiennes et même les maladies de plantes, y compris une police qui couvre aussi le décès de l’assuré.
S : Sur le plan financier, cet engagement politique renforcé, dans le cadre de l’Offensive, a-t-il eu un impact sur le budget de l’Etat alloué à l’assurance agricole, en vue d’accompagner le secteur agricole ?
O.A.K : Avec l’engouement des producteurs et les cibles visées en termes de couverture de superficies, nous avons une augmentation du budget pour accompagner la promotion et la vulgarisation de l’assurance agricole. Pour ce qui concerne, par exemple, la campagne écoulée, l’Etat a accompagné les souscriptions des producteurs à hauteur de 180 millions F CFA.
S : Aujourd’hui, on distingue principalement deux types d’assurance agricole : l’assurance paramétrique ou indicielle et l’assurance traditionnelle ou l’assurance sur le rendement Au Burkina Faso, quel type d’assurance est-il promis par votre département ?
O.A.K : Au niveau du ministère en charge de l’agriculture, nous privilégions l’assurance indicielle qui a l’avantage de rassurer davantage les producteurs. Cette assurance se base sur un dispositif qui permet de capter le rendement moyen en début de campagne et en fin de campagne, afin d’apprécier la baisse des rendements et de pouvoir indemniser les producteurs qui ont été sinistrés.
S : L’un des avantages de cette assurance paramétrique le plus souvent évoqué, contrairement à l’assurance classique, est qu’elle permet une indemnisation rapide, sans avoir à se déplacer sur les champs pour constater les pertes des producteurs…
O.A.K : Oui ! Par ailleurs, avec ce modèle d’assurance, dans une localité donnée, on peut se retrouver dans des situations où un producteur a été sinistré par exemple pour l’inondation ou la sécheresse et systématiquement, son voisin n’est pas concerné, car les informations ou indices sont plus basées sur des données satellitaires, qui permettent directement de pouvoir indemniser. Et cela est corrigé à travers le mécanisme que nous mettons en œuvre.
S : De la phase pilote à aujourd’hui, l’assurance au Burkina Faso a beaucoup évolué. Aujourd’hui, quels sont les risques et les spéculations couverts par cette assurance ?
O.A.K : En ce qui concerne les produits assurantiels qui sont commercialisés actuellement, on peut regrouper les risques couverts en deux. Il s’agit des risques liés à la baisse de rendement qui peut être due à la sécheresse, à l’inondation, aux feux de brousse, aux attaques acridiennes et autres, aux maladies de plantes et les risques liés au décès du producteur. Et pour ce qui concerne les productions, nous avons neuf spéculations couvertes. Il y a le maïs, le miel, le sorgho, le niébé, l’arachide, le soja, le coton, le sésame et le riz. Au début du programme, les produits assurantiels étaient focalisés surtout sur trois spéculations, à savoir le maïs, le miel et le sorgho.
S : Et qu’en est-il des régions concernées ?
O.A.K : Aujourd’hui, tout le territoire national est couvert par l’assurance agricole, c’est-à-dire toutes les 17 régions que compte le pays.
S : Qui peut souscrire à l’assurance agricole ?
O.A.K : Toute personne physique ou morale peut souscrire à l’assurance agricole dès qu’elle exerce la profession agricole au Burkina Faso. Autrement dit, il faut être un producteur qui exerce au Burkina Faso et souscrire dans les délais indiqués. Pour chaque campagne, il y a une période qui est ouverte pour les souscriptions. Il faut donc être dans les délais de cette période pour la souscription et payer la prime d’assurance.
S : Et quelle est cette période prévue pour les souscriptions ?
O.A.K : Approximativement c’est entre les mois de juillet, août et septembre. Souvent cela peut dépendre du début de la campagne, qui peut varier légèrement d’une année à l’autre. Pour la campagne agricole en cours, les souscriptions ont commencé depuis le mois de juillet et se poursuivent jusqu’en fin août.
S : Quid de la prime d’assurance à payer par le producteur ?
O.A.K : Les primes ont été définies par spéculation, mais en moyenne la prime subventionnée à 50% par l’Etat tourne autour de 6 000 F CFA à l’hectare. Sans subvention, la prime devra être de l’ordre de 12 000 F CFA. Par spéculation, la prime subventionnée va de 5 950 à 6 900 F CFA.
S : Ces primes sont-elles à la portée des producteurs, surtout les jeunes et les femmes ?
O.A.K : Oui ! Il faut voir les choses de façon plus stratégique. L’une des contraintes majeures du secteur agricole, notamment pour les jeunes et les femmes, c’est la question du financement. Et l’assurance agricole a l’avantage de contribuer à renforcer la confiance des institutions de financement envers ce secteur-là pour pouvoir les accompagner financièrement à l’investissement. En prenant donc de façon macro et stratégique, l’assurance agricole doit pouvoir améliorer cette employabilité des jeunes au niveau du secteur agricole à travers l’accès au financement.
S : Quels sont les taux d’indemnisation pour l’assuré en cas de sinistre, de perte de sa production ?
O.A.K : Pour ce qui concerne les indemnisations, comme mentionné plus haut, nous avons deux risques majeurs : le risque lié au rendement à travers un certain nombre d’aléas climatiques et le risque lié au décès du producteur. Pour ce qui concerne le risque lié au rendement, lorsque, à l’issue de la campagne, la baisse de rendement est comprise entre 30 % et 50%, les producteurs sont indemnisés à hauteur de 20 000 F CFA l’hectare. Et lorsque nous sommes à des baisses de rendement compris entre 50 % et 70%, les producteurs sont indemnisés à hauteur de 60 000 F CFA l’hectare. Les indemnisations sont à 150 000 F CFA l’hectare, quand les baisses de rendement sont de plus de 70 %. Quand il s’agit d’un producteur qui est décédé, les indemnisations sont à 150 000 F CFA l’hectare pour les ayants droit.
S : Y a-t-il un suivi sur le terrain, surtout pour aider les producteurs ?
O.A.K : Oui, il y a un suivi sur le terrain. Nous avons impliqué l’ensemble des agents de nos services techniques déconcentrés qui sont sur le terrain et qui accompagnent les acteurs qui veulent souscrire à l’assurance. La Direction générale de la promotion de l’économie rurale contribue également à la supervision de cette activité.
S : De la phase pilote à aujourd’hui, l’assurance agricole a beaucoup évolué, en passant par exemple de trois spéculations couvertes à neuf. Cette évolution va-t-elle se poursuivre pour prendre davantage d’autres risques, d’autres spéculations ou d’autres sous-secteurs comme l’élevage, la pêche… ?
O.A.K : Tout à fait, l’assurance pourrait évoluer pour inclure de nouvelles spéculations végétales et espèces animales et halieutiques, ainsi que de nouveaux risques. Le programme d’assurance que nous mettons en œuvre est flexible. Il pourrait s’adapter en fonction des évolutions climatiques et des besoins agricoles. Il s’agit de voir comment mieux accompagner les producteurs pour qu’ils puissent faire face aux risques les plus courants. Elle pourrait évoluer à travers l’intégration de nouvelles spéculations ou des risques spécifiques à certaines régions ou certaines cultures. Actuellement des travaux sont en cours dans ce sens-là. Très incessamment, on pourra avoir de nouveaux produits assurantiels qui vont concerner de nouvelles spéculations, aussi bien pour les produits végétaux que les produits animaux et halieutiques.
S : Pensez-vous éventuellement à quels produits, par exemple ?
O.A.K : Au niveau des produits végétaux, peuvent être concernés les produits comme le manioc. Nous avons, par exemple, la volaille au niveau des produits animaux et le poisson au niveau des produits halieutiques, surtout que la production du poisson bénéficie d’un important accompagnement dans le cadre de l’Offensive agro-pastoral et halieutique.
S : Quelles sont les difficultés auxquelles le ministère et/ou les compagnies d’assurance font face dans la mise en œuvre de l’assurance agricole ?
O.A.K : Globalement, indépendamment du contexte national que vous connaissez, notamment la question sécuritaire qui ne permet pas de toucher le plus profond du Burkina pour prendre en compte les acteurs qui s’y trouvent, on peut dire que dans l’ensemble, tout se passe bien, au regard de l’engouement des acteurs et des programmes développés pour diffuser de façon large l’information relative à l’assurance agricole. Néanmoins, il y a toujours beaucoup d’efforts à faire en termes de communication pour pouvoir couvrir le maximum de localités à travers la promotion des produits assurantiels.
S : Concrètement, qu’est-ce qui est fait pour susciter davantage une adhésion plus importante des producteurs à l’assurance agricole ?
O.A.K : Il y a les programmes de sensibilisation qui ont beaucoup contribué à l’adhésion des acteurs. Comme actions mises en œuvre, nous avons la réalisation des spots et des émissions radio et télé sur l’assurance agricole que nous diffusions, des programmes de sensibilisation dans les zones rurales à travers nos services techniques déconcentrés qui sont fortement sensibilisés et formés sur la question. Nous avons également des partenariats avec les institutions financières pour faciliter l’accès à ces produits assurantiels.
S : Quels sont les objectifs du gouvernement burkinabè en matière d’assurance agricole pour les prochaines années ?
O.A.K : En matière de vision, les objectifs sont de couvrir l’ensemble des risques majeurs récurrents dans le secteur agro-pastoral et halieutique, d’améliorer l’accessibilité des producteurs aux produits assurantiels et d’élargir la couverture d’assurance agricole à un plus grand nombre de producteurs, notamment les jeunes et les femmes. Et ces objectifs intermédiaires doivent bien sûr concourir au renforcement de la résilience des producteurs face aux aléas climatiques et contribuer efficacement à l’atteinte de la souveraineté alimentaire. A court terme, nous avons des programmes de subvention, mais à long terme, nous espérons que ces produits vont entrer dans les habitudes des producteurs et que même sans l’accompagnement de l’Etat, en termes de subventions, ces producteurs reconnaissent les avantages qu’ils tirent de ce mécanisme d’assurance et qu’ils y adhèrent systématiquement.
Pour terminer, nous profitons de votre micro pour inviter l’ensemble des producteurs à s’informer sur l’assurance agricole auprès de nos services techniques qui sont au niveau de leurs localités, afin de pouvoir adhérer et y souscrire, car la campagne de souscription court toujours jusqu’en fin août. Et de façon globale, c’est le lieu d’inviter aussi l’ensemble de la population à passer cette information, à savoir qu’il y a maintenant un mécanisme d’assurance agricole qui est mis en place et qui permet de couvrir un certain nombre de risques. Chacun de nous a un parent qui est producteur et qui fait face souvent à des risques que nous venons de citer tantôt, à qui il doit porter l’information.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com