Venue rendre visite à son neveu à Dori en 2006, Adeline Somé, affectueusement appelée « Tantie SONABEL », était loin d’imaginer qu’elle y restera pour toujours. Avec une multitude de flèches à son arc, elle tente d’assurer son autonomie depuis plus d’une dizaine d’années.
Dans la matinée de ce 3 janvier 2020, les services de la météo de Dori indiquent une température minimale de 13,1°, accompagnée d’un vent sec et de poussière entrainant un froid glacial. C’est dans ce climat qu’Adeline appelée affectueusement par ses clients « Tantie SONABEL » s’est réveillée de bonne heure, pour appréhender l’un de ses porcs en divagation à la cité des forces vives de Dori, à quelques encablures de sa buvette. Cette buvette, clôturée de paillote et servant également de restaurant, est située au côté Est du siège de la Société nationale d’électricité du Burkina Faso (SONABEL).
A côté, un logement, un foyer traditionnel pour la préparation de la bière de mil (dolo) et la porcherie. C’est autour de 5h30mn, que le grappin a été mis sur l’animal par dame Somé aidée par l’un de ses neveux.
A 6h, le neveu va égorger le porc et Mme Somé attendra 9 heures pour que le vétérinaire vienne inspecter la viande avant toute vente. Peu avant 10 heures, arborant sa blouse bleue et munie de machettes et de couteaux, elle fait installer le porc sur une table sous l’ombre d’un arbre en plein air et commence son travail de boucher. Avec dextérité, elle découpe aisément la viande en morceaux de 500 F CFA qui seront, soit vendus directement, soit cuits au four. Entre le découpage, l’étalage des morceaux et le suivi de trois grosses marmites de bière de mil au feu, « Tantie SONABEL » se prête à nos questions.
Aux environs de 10h30mn, les premiers morceaux sont mis au four. Une cliente de longue date fait son apparition pour s’acheter de la viande crue de 1 000 F CFA pour sa sauce du jour.
« J’achète la viande de porc chez tantie depuis plus de 10 ans. Souvent, j’achète la soupe de porc accompagnée de la bière de mil », indique celle-ci. En son temps, se souvient-elle, Mme Somé était la première à vendre une diversité de nourritures accompagnées de « dolo » au quartier Zamlafia (secteur n°5) de Dori. « Si depuis des années, je continue d’acheter sa viande, c’est que c’est bien fait et propre. C’est vraiment rare de voir une femme qui s’occupe ainsi de la viande. Je l’encourage à persévérer. C’est elle-même qui dépèce son porc et le découpe en morceaux dans un cadre hygiénique », apprécie-t-elle.
A Dori comme à Dano
Il est 11h, un deuxième client, Parfait Medah, agent au service départemental du ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de l’Action humanitaire de Seytenga, à la frontière du Niger, se présente. Originaire de Dano, chef-lieu de la province du Ioba, où il avait l’habitude de consommer la viande de porc, M. Medah, de passage dans la capitale du Liptako, dit être venu chez « Tantie SONABEL » pour en déguster. « Lorsque je suis de passage à Dori, je fais un tour chez elle pour en consommer. Je préfère son porc au four qui est très bien fait.
En bon Dagara, je consomme la viande de porc accompagnée de dolo. Venir chez Tantie SONABEL, c’est comme si je rentrais à Dano me ressourcer ! », explique-t-il. Comme M. Medah, un troisième client, Narcisse Sawadogo, calligraphe de profession s’annonce. Peu avant 12h, il est servi. Assis dans la buvette devant son plat de porc au four de 1 000 F CFA et sa bière (industrielle), M. Sawadogo est également un client fidèle de « Tantie SONABEL » depuis 2010. Habitué des lieux, il affirme consommer aussi le dolo qu’il apprécie beaucoup. « Je viens me régaler ici, parce que non seulement le service est bien fait mais également le dolo se boit facilement et la soupe de porc est succulente », estime notre calligraphe. Il est 12h30mn, le porc a été totalement découpé en morceaux de 500 F CFA. La moitié est passée au four et l’autre, conservée au congélateur. Aidée par deux nièces, l’originaire de Dissin dans le Ioba déambule entre le four, sa buvette et les marmites au feu en vue de répondre aux attentes des clients qui investissent les lieux au compte-gouttes en cette matinée de jour férié. C’est ainsi que dame Somé passe ses journées.
Une histoire singulière
Venue en 2006 pour une visite de courtoisie à son neveu qui était à l’époque le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Dori, dame Somé vit sa 14e année à Dori. En effet, relate-t-elle, après deux mois d’observation et de repos, elle a décidé de se lancer dans la vente de dolo. Par la suite, elle a commencé à vendre différentes sortes de mets à savoir la soupe de poulet, de poisson, de porc, le tô, le riz au gras et le riz à sauce. « Pour la soupe de porc, au tout début, j’achetais la viande auprès de certains bouchers.
Voyant que cela me revenait cher, j’ai décidé d’élever les porcs », renseigne-t-elle. Aujourd’hui, elle estime son cheptel à une trentaine de porcs dont la plupart en divagation parce que leur aliment est coûteux. C’est pourquoi, sa porcherie ne comptait que trois animaux à notre passage.
De son avis, elle s’est sédentarisée à Dori à cause de sa clientèle qui, au fil des ans, se fidélisait. Il y a aussi la réalisation de différentes infrastructures dans la ville. « Je suis arrivée dans ce quartier quelques mois après son lotissement. A cette époque, la SONABEL n’était pas encore clôturée et ne comptait qu’un seul petit bâtiment », se rappelle « Tantie SANABEL ». Déjà, se remémore dame Somé, les maçons et autres manœuvres, venus construire le bâtiment central, mangeaient chez elle, comme, plus tard, ceux qui ont réalisé les infrastructures de l’ENEP de Dori. Selon un proche de Mme Somé qui a requis l’anonymat, la majorité des travailleurs venus de Ouagadougou s’alimentaient chez elle.
Un succès émaillé de difficultés
« Depuis que je me suis lancée dans l’élevage du porc et la vente de sa viande dans la capitale du Liptako, je n’ai jamais été inquiétée du fait de la forte islamisation de la zone », déclare-t-elle. Pour ce qui concerne ses débuts dans la préparation et la vente de dolo ainsi que celle de la soupe de porc, Mme Somé indique que tout a commencé au camp Sangoulé-Lamizana parce que son mari y était militaire. « Chaque matin, de bonne heure, il allait acheter la viande de porc pour moi et je faisais de la soupe pour vendre avec la bière de mil.
Quand nous avons quitté le camp pour habiter dans notre propre cour, j’ai commencé à élever moi-même les porcs », explique « Tantie SONABEL ». Au tout début de son commerce à Dori, à l’entendre, elle sollicitait une moto pour aller acheter le poisson dans les villages de Yakouta, Oulo et Goudebou. « Avec mes bénéfices, j’ai pu acquérir ma toute première moto de marque Yamaha. Par la suite, j’ai acheté un véhicule communément appelé « Peugeot bâché » pour le transport du bois de chauffe. Plus tard, j’ai offert la Yamaha à mon beau-père et j’ai acheté une autre moto », indique-t-elle. Agée de 55 ans et veuve depuis 8 ans, la mère de deux enfants raconte que toutes ses Activités génératrices de revenus (AGR) lui permettent d’assurer son autonomisation financière.
Cependant, Adeline Somé dit subir les conséquences de l’instauration du couvre-feu depuis novembre 2019 dans la région du Sahel du fait de l’insécurité. « Avec le couvre-feu, je ne peux plus vendre comme par le passé. A peine on installe les chaises et les tables pour accueillir les clients de la soirée, aussitôt on remballe pour respecter le couvre-feu. Avant, on pouvait rester jusqu’à une heure du matin », regrette-t-elle. A cela s’ajoutent les restrictions liées à l’avènement du COVID-19. Dame Somé estime que cette mesure bien que nécessaire, impacte négativement son business. Une autre difficulté majeure à laquelle elle dit être confrontée est le vol de ses animaux. Selon elle, dès qu’une de ses truies met bas, elle met un signe sur ses porcelets en vue de les reconnaître et éviter le vol. « Si je ne le fais pas, c’est une autre personne qui le fera et s’accaparera de mes animaux tandis qu’ils suivent leur génitrice sans que je ne puisse contester », déplore la dolotière.
Souaibou NOMBRE
Snombre29@yahoo.fr
Sans électricité…
Selon les explications de la native de Dissin, le surnom de « Tantie SONABEL » est venu de ses clients parce qu’elle s’est installée à proximité du siège de la Nationale de l’électricité. D’ailleurs, renseigne-t-elle, pour indiquer facilement l’emplacement de sa buvette, les gens se réfèrent à la SONABEL. Malgré ce sobriquet, Mme Somé n’a toujours pas accès à l’électricité en dépit de ses multiples démarches et demandes de branchements. Toute chose qui, selon elle, entrave le développement de son commerce. « A la SONABEL, on m’a fait comprendre que je ne suis pas installée sur une parcelle mais sur une voie publique donc je ne peux pas avoir un branchement », informe-t-elle. C’est pourquoi, elle a loué une chambre-salon pour conserver une partie de la viande dans un congélateur. Quant à la boisson vendue au maquis, elle est mise dans deux glacières avec de la glace en vue de servir de la boisson fraiche aux clients.
S.N.
« Arba Diallo n’aura jamais son cadeau »
A en croire Mme Somé, l’ex-député-maire de Dori, Hama Arba Diallo, décédé en octobre 2014, l’a beaucoup encouragée dans son commerce. A l’entendre, lors de ses tournées dans la commune, celui-ci marquait un arrêt pour s’enquérir de ses préoccupations et saisissait l’opportunité pour lui souhaiter bon vent dans ses activités. « En tant que femme, il m’a conseillée de me battre pour assurer mon autonomisation financière », précise la restauratrice. Toute chose qui l’a exhortée à vouloir lui offrir un présentoir en bois confectionné en pays Dagara en guise de remerciement pour son sens de l’écoute. « Malheureusement, Hama Arba Diallo n’aura jamais son cadeau. En octobre 2014, il avait promis me rencontrer une fois rentré de Ouagadougou. Finalement, c’est son décès qui m’a été annoncé me plongeant dans un désarroi », raconte-t-elle.
S.N.