Guinée : un test grandeur nature

C’est aujourd’hui que s’ouvre le procès du massacre du 28 septembre 2009 en Guinée. Cela fait exactement 13 ans jour pour jour que les familles des victimes réclament justice et vérité dans cette affaire qui a mis à rude épreuve la cohésion sociale dans le pays de Sékou Touré. L’on se souvient que ce jour au stade de Conakry, des milliers d’opposants s’étaient rassemblés pour dénoncer la candidature à la présidentielle de l’ancien chef de la junte au pouvoir, Moussa Dadis Camara. Mais contre toute attente, des militaires feront irruption dans l’enceinte du stade pour empêcher la tenue de la manifestation. La présence des bidasses va tourner au drame. Selon l’ONU, au moins 156 personnes ont été tuées, 1 400 blessées et 109 femmes violées. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ? Qui a donné l’ordre de réprimer la manifestation ? C’est justement ces interrogations que la justice compte élucider. Pour y arriver, 15 hauts gradés de l’armée avaient été inculpés. Deux ont bénéficié d’un non-lieu et un autre est décédé.

Aujourd’hui, ils sont au total 12 dont l’ancien président Moussa Dadis Camara dans le box des accusés face à des victimes assoiffées de connaître enfin la vérité. Ce dernier est d’ailleurs déjà arrivé à Conakry le dimanche dernier, après plusieurs années d’exil au Burkina Faso. Selon son avocat, Me Antoine Pépé Lama, l’ancien président guinéen est déterminé à laver son honneur trainé dans la boue dans cette affaire durant des années. A ses côtés, un de ses proches, le colonel Abdoulaye Chérif Diaby, ministre de la Santé au moment des faits devrait aussi s’expliquer sur le rôle qu’il aurait joué dans cette affaire. Ce procès suscite beaucoup d’espoir pour les victimes et leurs familles. En effet, la tenue de ce jugement est perçue comme une victoire d’étape.

Ce dossier aurait pu être vidé sous le pouvoir de l’ancien président Alpha Condé, mais pour des raisons que l’on ignore, cela n’a pas été possible. Certains observateurs pensent que le laxisme dans le traitement du dossier relève d’un manque de volonté politique. Certains caciques du pouvoir déchu, à leurs avis, n’avaient pas intérêt à ce que ce dossier soit jugé car ils seraient mêlés à des cas similaires. En témoignent les 250 jeunes qui ont trouvé la mort dans des conditions non encore élucidées lors de manifestations sous l’ère Condé. Le démarrage du procès sonne donc comme un pas de géant à mettre à l’actif des nouvelles autorités. Cependant, une certaine opinion craint que la justice guinéenne ne soit à la remorque de l’exécutif qu’elle soupçonne de vouloir s’éterniser au pouvoir. Les déboires actuels de l’opposant Cellou Dalein Diallo sont perçus comme une entorse à l’indépendance de la justice. Ses partisans pointent du doigt la manière dont deux dossiers le concernant ont été gérés. Le premier est en rapport l’affaire de sa maison qui a été détruite alors que le dossier était toujours en justice. Le second se situe au niveau du dossier d’Air Guinée où M. Diallo est tenu pour responsable de la liquidation de la compagnie et de la vente de ses actifs lorsqu’il était à la tête du ministère des Transports.

Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins que des manœuvres de ténors du pouvoir actuel pour écarter un candidat de taille à la présidentielle. Au-delà de ces spéculations, la tenue jusqu’au bout de ce procès est un test grandeur nature pour jauger la bonne foi du président de la Transition, Mamady Doumbouya et son équipe. Les nouvelles autorités gagneraient à garantir l’indépendance de la justice pour une manifestation de la vérité. Par la voix de son porte-parole, Ousmane Gaoual Diallo, le gouvernement de Transition a assuré que les moyens sont mis à la disposition du troisième pouvoir. L’ex-dirigeant guinéen, Moussa Dadis Camara et cinq de ses coaccusés ont été envoyés en prison ce mardi, avant d’être jugés ce mercredi. Un signal de l’indépendance de la justice ? Vivement qu’il en soit ainsi et que le procès aboutisse à la manifestation de la vérité afin que les Guinéens puissent tourner l’une des pages sombres de l’histoire de leur pays.

Abdoulaye BALBONE

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