Lutte contre le cancer : « La solution réside dans le diagnostic précoce », Pr Sosthène Ouédraogo, du CHU/Bogodogo

Pr Sosthène Ouédraogo, maître de conférences agrégé en anatomie et cytologie pathologiques à l’Université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou et par ailleurs, chef de service d’anatomie et cytologie pathologiques du Centre hospitalier universitaire de Bogodogo, explique dans l’entretien ci-dessous, les types de cancers les plus fréquents et les plus dangereux au Burkina.

Sidwaya (S) : Quels sont les types de cancers les plus fréquents au Burkina ?

Aimé Sosthène Ouédraogo (A.S.O.) : Le cancer peut se développer à partir de tous les tissus de l’organisme. Au Burkina Faso, le cancer du sein est le premier cancer de la femme. Chez l’homme, il s’agit de celui de la prostate. Ce sont des données de nos services d’anatomie pathologiques.

S : Qui parle de cancer voit déjà la mort. Y-a-t-il de l’espoir pour guérir de cette maladie ?

A.S.O. : C’est cette vision qui est répandue. Mais fort heureusement, ce n’est pas toujours le cas. Quand le diagnostic est posé précocement, les chances de guérison sont énormes. Je dis cela parce que le cancer commence d’abord par une multiplication d’un petit nombre de cellules. Lorsque le diagnostic est fait à ce stade, les cellules cancéreuses peuvent être enlevées en totalité, ce qui aboutit à une guérison. Malheureusement, il y a des cas, les plus nombreux d’ailleurs, où le cancer est diagnostiqué à des stades tardifs. Ce sont des cas où le cancer a déjà métastasé, c’est-à-dire qu’il a envahi d’autres organes de l’organisme. Quand il est diagnostiqué à ce stade, le traitement est long, coûteux et le pronostic est généralement mauvais, d’où l’intérêt de sensibiliser à un diagnostic précoce.

S : Quels sont ces cancers qu’il faut absolument craindre ?

A.S.O. : Il faut craindre tous les cancers. Il n’y a pas de bon cancer. Il y a des types qui sont de mauvais pronostic d’emblée tel que les sarcomes qui sont des cancers développés à partir des tissus de soutien de l’organisme que nous appelons les tissus conjonctifs, les lymphomes qui sont des cancers développés à partir des cellules lymphoïdes, c’est dire les cellules de notre système de défense immunitaire, et certains carcinomes qui sont des cancers des tissus de revêtement tel que les épithéliums. Par exemple, pour le sein, le carcinome infiltrant de type non spécifique est un type de mauvais pronostic et malheureusement le plus fréquent.

S : Comment peut-on reconnaître un début de cancer ?

A.S.O. : La solution réside dans le diagnostic précoce. Pour cela, il faut que les gens consultent tôt. Prenons l’exemple du cancer du col de l’utérus qui est le deuxième cancer de la femme au Burkina Faso. Le dépistage précoce de ce cancer est possible grâce aux méthodes d’inspection visuelle et au frottis cervico-utérin. Ce frottis est un examen simple qui permet d’analyser les cellules de la muqueuse cervicale pour détecter les cellules anormales. En faisant votre examen régulièrement, vous avez donc la chance de détecter un début de cancer avant que celui-ci ne devienne infiltrant. Pour le cancer du sein, on recommande aux femmes l’autopalpation des seins, des échographies, des mammographies pour détecter les éventuelles lésions. La plupart des malades consultent lorsqu’ils ont mal ou lorsqu’il y a des saignements. Malheureusement à ce stade, le caner est souvent à un stade infiltrant.

S : A propos du dépistage, est-ce que votre service dispose de l’équipement nécessaire pour détecter tous les cancers ?

A.S.O. : Nous disposons de quoi détecter précocement le cancer du col de l’utérus à travers les frottis cervico-utérins. Mais le dépistage des autres cancers se fait en collaboration avec le plus souvent les services d’imageries qui détectent, prélèvent et nous envoient pour confirmation du diagnostic. En fonction des signes d’appel ou de la symptomatologie, le malade est orienté vers un service spécialisé et lorsqu’il y a des prélèvements, on nous les achemine pour analyse.

S : On se rend compte que l’anatomie et cytologie pathologique se retrouvent être le carrefour de plusieurs services. Comment se fait la collaboration ?

A.S.O. : La collaboration est très bonne. Nous travaillons avec toutes les spécialités. Nous discutons beaucoup pour réduire au maximum les erreurs. En cas de discordance entre les cliniciens et nous, nous organisons des staffs ou à défaut, nous nous appelons pour échanger sur le dossier du malade.

S : Vu le nombre pléthorique de services avec lesquels vous collaborez, est-ce que vous arrivez à analyser tous les prélèvements que vous recevez par jour ?

A.S.O. : Nous avons effectivement beaucoup de prélèvements malgré la jeunesse du service. Nous essayons de rendre les résultats dans les délais les plus courts possibles sans que la qualité n’en pâtisse. Au CHU de Bogodogo, nous donnons un délai de 12 jours pour la remise des résultats d’examen. Le processus d’analyse est assez long en anatomie pathologique, mais nous travaillons pour raccourcir davantage les délais. Nous ne sommes que deux spécialistes pour tout l’hôpital. La charge de travail est énorme et nous espérons avoir d’autres spécialistes pour être encore plus efficace.

S : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de votre travail ?

A.S.O. : Les difficultés, c’est l’approvisionnement en réactifs. Il y a beaucoup de prélèvements, mais les intrants qui entrent dans la réalisation de la technique ne sont jamais suffisants. Ce sont les mêmes quantités de réactifs qui sont servies depuis le démarrage des activités du service où nous n’avions pas beaucoup de prélèvements. De nos jours, le nombre de prélèvements a augmenté mais la quantité de réactifs n’a pas évolué. Ce qui entraîne des ruptures. Quand il y a des ruptures, les résultats ne sortent pas et le processus de soins est interrompu.

S : Quel message avez-vous à lancer aux populations en ce qui concerne le dépistage des cancers ?

A.S.O. : Le message à adresser, c’est de consulter un spécialiste pour tout signe inhabituel. Pour ceux qui ont des antécédents familiaux de cancer, c’est de se faire suivre pour un dépistage précoce. Un message aussi pour nos collègues, c’est de toujours demander un examen anatomopathologique des pièces opératoires pour ne pas passer à côté d’un cancer et enfin aux malades, de ne pas jeter les pièces opératoires et toujours les déposer au laboratoire d’anatomie pathologique car les résultats anatomopathologiques sont très importants pour la suite du traitement.

Interview réalisée par

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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