Coups d’Etat : les causes structurelles

Malgré le vent de démocratisation qui souffle dans le monde entier depuis la fin du XXe siècle, de nombreux pays en développement vivent encore des prises de pouvoir par coup d’Etat. Le coup d’Etat désigne la prise du pouvoir exécutif par les militaires ou par toute autre force non démocratique (Luttwak 1969 ; Marshall & Marshall 2010). Les coups d’Etat ont eu lieu dans toutes les sortes de régimes politiques, mais à des degrés divers (Hiroi & Omori, 2013). Ils sont particulièrement répandus dans les pays non démocratiques.

Selon Svolik (2009), 205 dictateurs ont été éliminés par des coups d’Etat entre 1945 et 2002. Les pays démocratiques ne sont pas non plus à l’abri des coups d’Etat réussis et des menaces de coup d’Etat. Ils ont également été tentés, souvent avec succès, dans de nombreux pays de jeunes démocraties. Ainsi, de 1960 à 2000, le continent africain a connu 82 coups d’Etat (Siegle, 2022). La mauvaise nouvelle, c’est qu’on note une récente vague de coups d’Etat en Afrique ces dernières années. En effet, au cours des deux dernières années, des coups d’Etat ont eu lieu au Mali (deux fois), au Tchad, en Guinée, au Burkina Faso (deux fois), au Soudan, en Tunisie et, sans doute, en Algérie et au Burundi. Pourtant, la plupart de ces pays sont en pleine transition démocratique. Ces coups d’Etat sont considérés comme des propagations de ceux perpétrés en Egypte et au Zimbabwe quelques années auparavant. Ainsi, près de 20 % des pays africains ont été frappés par des coups d’Etat depuis 2013. Au niveau des pays membre de l’UEMOA, alors qu’en 2020, un seul coup d’Etat a été signalé (au Mali), en 2021, le nombre de coups d’Etat a été nettement supérieur à la moyenne : six coups d’Etat ou tentatives de coup d’Etat ont été enregistrés. Les coups d’Etat ont été couronnés de succès au Mali, en Guinée, et les prises de contrôle militaires au Niger ont échoué cette année-là. L’année dernière, il y a eu cinq tentatives de coup d’Etat au Burkina Faso, mais seulement deux ont réussi. Pourtant, chaque coup d’Etat supplémentaire augmente le risque d’un autre (Hiroi & Omori, 2013). En septembre 2021, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’est dit préoccupé par le retour des « coups d’Etat militaires ».

Qu’est-ce qui explique la propension des pays à subir des coups d’Etat ? Quels sont les déterminants structurels des coups d’Etat ? Cet article analyse les causes structurelles des coups d’Etat dans différents pays à travers une revue de la littérature sur le sujet. Après cette introduction, la section suivante développe l’influence des conditions structurelles sur la probabilité d’un coup d’Etat. Le développement économique comme une autre cause des coups d’Etat est analysé à la section 2. La section 3 aborde un troisième déterminant des coups d’Etat qui est la modernisation. Nous nous concentrerons sur la structure politique à la section 4 alors que la section 5 montrera comment les régimes de transitions politiques accroissent le risque de coup d’Etat. Cette dernière section est suivie de la conclusion.

1. Influence des conditions structurelles sur la probabilité d’un coup d’État

Les études existantes sur les coups d’Etat se sont largement concentrées sur leurs conditions structurelles sous-jacentes. Il s’agit des caractéristiques économiques, sociales et politiques d’une société qui sont habituellement considérées comme des caractéristiques plus ou moins intrinsèques ou qui changent difficilement. En tant que causes à long terme, les conditions structurelles influent sur la probabilité d’un coup d’Etat d’au moins deux façons. Premièrement, elles peuvent donner lieu à des groupes de personnes qui sont mécontentes du statu quo et qui attendent donc des possibilités de changement. Certaines de ces personnes pourraient être prêtes à utiliser des moyens inconstitutionnels, comme des coups d’Etat, pour atteindre leurs objectifs. Deuxièmement, ils déterminent le degré de soutien social offert aux auteurs de coup d’Etat. Le soutien de la société, au moins dans ses formes passives, pour un coup d’Etat est très essentiel. Le soutien du peuple affecte la probabilité de réussite d’un coup d’Etat dans un pays. Les facettes économiques, sociales et politiques des facteurs structurels qui influent sur la propension d’une société au coup d’Etat sont également des éléments centraux de notre analyse.

2. Développement économique

Des recherches ont révélé que les conditions économiques structurelles, comme les niveaux de développement économique, les inégalités de revenu et les structures de production, sont des déterminants importants des coups d’Etat. Par exemple, Londregan et Poole (1990) soutiennent que la pauvreté augmente le risque de coup d’Etat dans un pays. Leur analyse des données au niveau mondial de 1950 à 1982 révèle que les coups d’Etat sont 21 fois plus susceptibles de se produire dans les pays les plus pauvres que dans les pays les plus riches. Le développement économique est donc inversement lié au risque de coup d’Etat. Ce qui confirme les constatations répétées selon lesquelles la démocratie est beaucoup plus durable et presque infaillible dans les nations les plus riches (Przeworski et al. 2000). D’autres chercheurs se concentrent sur l’effet de l’inégalité des revenus sur l’instabilité politique (Muller et Seligson 1987). Le modèle formel d’Acemoglu et Robinson (2001, 2006) montre que l’inégalité des revenus mène à une plus grande probabilité de coup d’Etat en démocratie. Selon leur analyse, la politique publique dans une démocratie représente les préférences de l’électeur médian, qui sont en fait les préférences des pauvres dans une société très inégalitaire avec une grande population pauvre. Dans ces sociétés, la marginalisation continue des préférences des élites dans les politiques publiques les motive à faire un coup d’Etat (Acemoglu et Robinson 2001, 2006). Des recherches indiquent également que la structure de la production économique est un autre facteur sous-jacent aux coups d’Etat. Johnson, Slater et McGowan (1984) constatent que l’industrialisation et la diversification de la production réduisent le risque de coup d’Etat, tandis que le risque augmente d’autant plus que l’économie est plus agraire et moins diversifiée. De même, O’Kane (1993) soutient que les causes profondes du succès des coups d’Etat sont d’ordre économique plutôt que politique. Pour ce dernier, la spécialisation dans les exportations de produits primaires et la dépendance à leur égard, combinées à la pauvreté, sont les conditions préalables aux coups d’Etat en Afrique. Comme le révèle ce bref examen, plusieurs chercheurs ont identifié la relation entre le niveau de développement économique et la propension d’un pays à un coup d’Etat. Toutefois, les domaines spécifiques de la recherche ont varié. De plus, la discussion sur le développement économique est souvent confondue avec la modernisation. Par exemple, comme nous le verrons plus loin, la théorie de la modernisation de Lipset (1959) suppose une relation positive entre le développement (ou la modernisation) et la stabilité politique (ou le développement démocratique). Ce qui a poussé Hiroi & Omori (2013) à vérifier si la richesse d’un pays a un effet isolé sur le risque de coup d’Etat. Leurs résultats révèlent que la pauvreté augmente le risque de coup d’Etat dans un pays. Ils font valoir que le développement économique réduit le risque de coup d’Etat dans un pays de 68 %. Ce qui nous amène à la conclusion que le sous-développement est un déterminant important du risque de coup d’Etat.

3. Modernisation

La modernisation se définit comme un taux d’alphabétisation et d’urbanisation plus élevés ainsi que des marchés de consommation plus importants. Contrairement au développement économique, les effets de la modernisation sont beaucoup plus contestés. L’école de la théorie de la modernisation suppose que la modernisation favorise le développement d’une démocratie stable (Lipset, 1959). Par conséquent, elle devrait réduire la probabilité d’un coup d’Etat. Toutefois, cette affirmation a été contestée par les travaux de Huntington (1968), qui a soutenu que « la modernité engendre la stabilité, mais la modernisation engendre l’instabilité ». De même, O’Donnell (1973) a soutenu que le résultat de la modernisation pour les pays en développement n’était pas une démocratie, mais un Etat bureaucratico-autoritaire. De plus, dans l’étude des coups d’Etat africains, Jackman (1978) constate que les économies plus industrialisées et les populations plus instruites sont plus sujettes aux coups d’Etat. Johnson, Slater et McGowan (1984) montrent également qu’une société très modernisée est confrontée à un plus grand risque de coup d’Etat en Afrique postcoloniale. Un examen attentif de ces arguments suggère que la relation entre la modernisation et la propension au coup d’Etat n’est peut-être pas linéaire, comme on le suppose, mais curviligne. Cela implicite qu’une société peut être plus susceptible à un coup d’Etat dans la phase de transition. Inversement, il est peu probable que des coups d’Etat se produisent aux niveaux les plus bas et plus élevés de modernisation. Examinant donc deux hypothèses, l’une fondée sur une relation linéaire et l’autre sur une relation curviligne, Hiroi & Omori, (2013) prouvent qu’une faible modernisation accroit le risque de coup d’Etat dans un pays. Par conséquent, une augmentation de l’urbanisation réduit la vulnérabilité au coup d’Etat de 49 pour cent dans un pays (Hiroi & Omori, 2013). Ainsi, nous confirmons l’idée reçue selon laquelle le développement économique et la modernisation réduisent l’instabilité politique.

4. Structure politique

La structure politique s’entend du pluralisme et du fractionnement politique. De nombreuses recherches ont également examiné les structures politiques comme des facteurs potentiels qui peuvent influer sur la probabilité qu’un coup d’Etat se produise. Des études ont néanmoins donné des résultats contradictoires sur l’impact de la structure politique sur l’incidence des coups d’Etat. Par exemple, l’étude de Jackman (1978) sur 30 Etats africains de 1960 à 1975 montre que les systèmes multipartites augmentent considérablement le risque de coup d’Etat. Kposowa et Jenkins (1993) soutiennent également que les antagonismes ethniques découlant de la pluralité culturelle et de la concurrence politique sont les principales sources de coups d’Etat. Dans la même veine, Rabushka et Shepsle (2008) soutiennent que la prolifération des partis dans une société ethniquement fragmentée conduit à l’instabilité de la démocratie. En général, le multipartisme est considéré comme défavorable à la stabilité démocratique (Mainwaring, 1993), mais cette perspective est aussi contestée par de nombreux universitaires. Par exemple, Johnson, Slater et McGowan (1984) soutiennent que le modèle de Jackson (1978) n’est pas robuste lorsque l’échantillon a été légèrement élargi pour inclure 36 pays africains de 1960 à 1982. Plutôt que d’augmenter le risque de coups d’Etat, l’analyse des données suggère que le taux de participation et le multipartisme réduisent le risque. Belkin et Schofer (2003) affirment également que la compétitivité politique réduit le risque de coup d’État. En effet, lorsque les règles sont articulées dans un système politique concurrentiel, les opposants politiques ont une plus grande marge de manœuvre pour participer à la politique. Ce qui peut éviter l’organisation d’un coup d’Etat. Hiroi & Omori (2013) ont testé cette hypothèse en démontrant que le pluralisme politique n’accroit pas le risque de coup d’Etat.

5. Régimes de transition

Un coup d’Etat est plus probable dans un régime qui change rapidement que dans un régime stable (Hiroi & Omori, 2013). En fait, lorsque les règles de conduite politique changent, comme c’est le cas pendant les périodes d’érosion démocratique, l’ancien régime résistera au changement alors que le régime de transition n’a peut-être pas encore acquis ses nouvelles circonscriptions. Selon O’Donnell et Schmitter (1986), « pendant la période de Transition, les règles du jeu politique ne sont pas définies. Non seulement sont-ils en constante évolution, mais ils sont généralement contestés âprement ». Dans de telles circonstances, les partisans de l’ancien régime peuvent tenter d’empêcher d’autres changements ou de revenir au système précédent, alors que les nouvelles règles de la Transition n’ont pas encore été adoptées. Pour les partisans de l’ancien régime, le coût de la Transition peut être très élevé. Toutefois, les avantages d’un coup d’Etat réussi sont également élevés s’il peut rétablir l’ancien système. Par exemple, le coup d’Etat de janvier 2022 au Burkina Faso a été précédé d’une détérioration de la qualité des institutions démocratiques, d’une corruption généralisée et de l’impuissance des forces de défense et de sécurité à faire face au terrorisme. Ainsi le lieutenant-colonel Sandaogo Paul-Henri Damiba qui a été porté à la tête du pays, a refusé de rétablir le pouvoir civil et a insisté pour mener des enquêtes approfondies sur la corruption et introduire un ensemble de mesures d’austérité économique impopulaires. Il a vite été évincé par un deuxième coup d’Etat, le 30 septembre de la même année. Ce deuxième coup d’Etat de l’année 2022 installe le capitaine Ibrahim Traoré à la tête de l’Etat burkinabè. Comme cet exemple l’illustre, la vulnérabilité aux coups d’Etat dans les régimes de transitions politiques aide aussi à expliquer pourquoi les coups d’Etat sont souvent suivis d’autres coups d’Etat. Pendant la période qui suit un coup d’Etat, les fonctions politiques sont fortement contestées par les anciens dirigeants. Ensuite, les auteurs du coup d’Etat et d’autres acteurs politiques se disputent les postes dans le nouveau gouvernement. La concurrence politique peut être intense alors qu’il n’existe pas encore de règles pour la réglementer. Ainsi, un coup d’Etat peut entrainer un autre de la part des gouvernants déchus et de leurs partisans qui tentent de restaurer l’ancien système. Un coup d’Etat peut aussi donner l’occasion à d’autres acteurs que les vrais auteurs de coup d’Etat de s’emparer du pouvoir d’Etat. Hiroi & Omori, (2013) en arrivent donc à la conclusion que les coups d’Etat sont plus susceptibles de se produire dans les régimes de transition que dans les régimes démocratiques. Par ailleurs, ils font valoir que le risque de coup d’Etat des régimes hybrides (régime pas clairement démocratique, ni clairement autocratique) est 57 % plus élevé que ceux des démocraties et 45 % plus élevé que ceux des autocraties. Il n’y a donc pas de doute que les régimes hybrides sont beaucoup plus susceptibles de subir un coup d’Etat que les régimes vraiment démocratiques ou autocratiques.

Conclusion

L’un des objectifs de cet article était d’analyser les causes structurelles des coups d’Etat en se basant sur la revue de la littérature. Il ressort de cette revue que le développement économique, la modernisation, le fractionnement politique et des variables de rendement à court terme comme les transitions politiques sont des facteurs déterminants des coups d’Etat. Notre contribution théorique se concentre sur les effets des différents types de régimes politiques. Nous avons trouvé que les régimes politiques ont des répercussions directes et indirectes sur la propension d’un pays au coup d’Etat. Les régimes hybrides sont plus vulnérables aux coups d’Etat en général, par rapport à leurs homologues totalement autocratiques ou démocratiques. En outre, les régimes hybrides sont particulièrement enclins aux coups d’Etat lorsqu’ils font face à des crises de légitimité des performances. L’analyse indique que la pauvreté et le retard de modernisation sont les principales causes structurelles sous-jacentes des coups d’Etat. Les recherches futures peuvent d’abord s’intéresser aux raisons pour lesquelles les démocraties sont vulnérables aux coups d’Etat pendant les périodes d’agitation sociale. L’instabilité sociale peut être particulièrement dommageable pour les jeunes démocraties non consolidées, où la demande populaire est élevée et incontrôlée. Toutefois, les normes de conduite démocratique doivent encore se développer. Ensuite, il est possible pour les futurs chercheurs d’examiner les différences au sein des régimes autocratiques. Certaines autocraties comme les monarchies héréditaires et les systèmes totalitaires, peuvent être plus durables et moins sensibles à l’instabilité politique causée de l’intérieur, comme les coups d’Etat. De telles études apporteraient une contribution importante au programme de recherche croissant sur les régimes non démocratiques.

Dr Zacharia ZABSONRE, économiste-fiscaliste, enseignant à l’ENAREF zabsonrezacharia2022@gmail.com

 

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