Fleuve Bougouriba: la pêche menacée par l’ensablement et l’orpaillage

Le fleuve de la Bougouriba dans le Sud-Ouest est menacé par l’ensablement qui impacte négativement l’activité de la pêche.

Le fleuve Bougouriba est un cours d’eau qui traverse plusieurs localités de la province portant son nom, dans la région du Sud-Ouest. Cet affluent du Mouhoun qui prend sa source dans la Comoé (Banfora) occupe de nombreuses populations qui y mènent différentes activités dont la pêche. Mais depuis quelques années, le fleuve est menacé par l’ensablement et l’orpaillage compromettant ainsi l’activité de pêche qui s’y pratique. Les acteurs rencontrés en mi-novembre 2023 évoquent les agressions dont est victime la Bougouriba et donnent quelques pistes de solution pour la sauver.

Au petit matin du 15 novembre 2023, dans le village de Bougouriba (commune de Bondigui, province de la Bougouriba, région du Sud-Ouest), traversé par la Route nationale 22 (Yéguérésso-Diébougou), les femmes étalent comme chaque jour du poisson fumé sur leurs étables au bord de la route. Chaque voyageur qui s’y arrête est aussitôt assailli par ces femmes qui lui proposent leurs produits : « Approchez regarder. Il y a du bon poisson ici ». Pendant ce temps, les hommes devisent sous un hangar, répondant de temps à autres aux salutations des chauffeurs qui traversent le village.

D’autres, adossés au pilier d’un hangar, réparent leurs filets de pêche. L’un d’eux, Dramane Traoré, quitte le groupe, enfourche son vélo et se rend au fleuve Bougouriba à un jet de pierre du village. Là, il embarque dans une pirogue, avance au milieu de l’eau et lance son filet. Quelques instants plus tard, il ressort de l’eau avec, dans son filet, quelques poissons qui tentent encore de s’échapper. Dramane Traoré regagne le village avec son butin. « Bonne arrivée. Et la moisson ? », lui lancent ses confrères restés sous le hangar.

« Comme d’habitude », répond-t-il, pour dire que le butin est « insignifiant », tout en transvasant sa récolte dans un plat. « Nous ne gagnons plus de poisson comme avant. Dans le temps, nous pouvions pêcher plus d’une tonne de poisson alors qu’aujourd’hui nous arrivons à peine à pêcher 400 kilogrammes. Les poissons sont partis », Soutient-il avec nostalgie.

De nombreuses espèces de poissons, poursuit Dramane Traoré, ont ainsi disparu, obligeant les pêcheurs à se contenter des petits poissons. La soixantaine bien sonnée, M. Traoré dit exercer cette activité depuis plus de 30 ans. Son confrère, Siaka Elola, venu l’aider, ajoute : « avant, le fleuve était profond et nous péchions beaucoup de poissons. Mais aujourd’hui, il est en train de sécher et la pêche ne donne plus ».

Le poisson de plus en plus rare

La quantité de poisson frais comme fumé diminue sur les marchés de Bougouriba à cause de l’ensablement du fleuve où le poisson est pêché.

Les femmes abandonnent leur commerce et rejoignent le groupe des hommes. A les entendre, leurs étals ne sont plus garnis comme de par le passé et beaucoup d’espèces de poissons n’existent plus. « Dans le passé, nous gagnons beaucoup de poissons et nous pouvons passer toute la nuit à les fumer.

Nous pouvions fumer 100 kilogrammes de poissons par jour alors que maintenant il est devenu difficile de fumer plus de 10 kilogrammes. En plus, nous n’avons plus les mêmes espèces de poissons. Nous ne gagnons que les capitaines, les silures ou les carpes », dit Fatoumata Traoré. Balkissa Ouattara, une autre vendeuse ajoute que leurs recettes ont « fortement baissé », passant de 50 000 F CFA, il y a quelques années à 20 000 voire 15 000 F CFA par jour.

« Certaines d’entre nous ne vendent même plus rien par jour », déplore-t-elle. A la Bougouriba, les vendeuses de poisson frais comme fumé s’inquiètent pour l’avenir menacé par la rareté de leur matière première. Cette rareté s’explique selon les pêcheurs par l’ensablement du fleuve Bougouriba. « Le fleuve est en train de disparaitre à cause de l’ensablement.

Pendant la saison sèche, l’eau diminue, le fleuve se coupe et laisse des vides sur plus de 100 mètres », se désole Dramane Traoré. En plus de l’ensablement, les pêcheurs disent faire face au problème d’insécurité qui les empêche d’aller un peu plus loin pour pêcher le poisson. A Diébougou, chef-lieu de la province de la Bougouriba, les différents services techniques s’inquiètent également de l’état du fleuve menacé par l’ensablement, lui-même provoqué par des activités qui y sont pourtant interdites.

C’est du moins ce que confie le haut-commissaire de la Bougouriba, par ailleurs président du Comité local de l’eau (CLE) de la Bougouriba 7, Amidou Konaté. « Le fleuve fait l’objet de nombreuses menaces en ce sens qu’on est confronté par endroit au problème d’ensablement dû aux activités menées aux abords et même dans le lit du fleuve », soutient le président du CLE.

L’agriculture et même l’orpaillage sont les principales activités, dit-il, nuisibles à la vitalité du fleuve. « Certains agriculteurs et orpailleurs utilisent des produits nuisibles à la qualité de l’eau et à la vie des poissons », regrette M. Konaté. Pourtant, fait savoir l’agent d’agriculture à la direction provinciale de l’agriculture de la Bougouriba, Joël Tai, les normes recommande une distance de 100 mètres des deux côtés du fleuve afin de limiter les effets de l’ensablement.

« Malheureusement, ce n’est pas respecté, car les gens mènent les activités jusqu’à 10 ou 5 mètres du fleuve. Il s’agit des activités agricoles de campagne sèche ou humide », regrette-t-il. L’ensablement, renchérit-il, outre son impact sur les eaux et les espèces qui y vivent, entraine des conséquences comme les inondations.

Respecter la bande de servitude

Le haut-commissaire de la Bougouriba, et président du CLE/Bougouriba 7, dit avoir initié plusieurs actions pour protéger le fleuve.

Le directeur provincial de l’environnement, de l’énergie, de l’eau et de l’assainissement, de la Bougouriba, Dé Millogo, dit avoir fait le même constat. « Nous constatons des activités qui se passent sur la bande de servitude d’une largeur de 100 mètres de chaque côté du fleuve notamment la coupe de bois, des champs ou l’exploitation artisanale de l’or. Nous menons des opérations de surveillance pour que cette bande soit protégée », relève-t-il.

Le haut-commissaire de la Bougouriba alerte donc sur le danger qui guette le fleuve et les populations riveraines. « Si on n’y prend garde, on va perdre le fleuve parce que si la qualité de l’eau se dégrade, on ne pourra plus l’utiliser comme eau de boisson et les espèces vivant dans l’eau ne pourront pas tenir le coup. Par conséquent, la pêche qui fait vivre plusieurs centaines de personne sera menacée », s’inquiète-t-il.

Face à ces activités qui hypothèquent la survie du fleuve, les autorités provinciales ont pris le taureau par les cornes pour la sauver. « L’Agence de l’eau du Mouhoun, à travers le CLE/Bougouriba, a initié des actions de balisage pour définir les zones à ne pas franchir afin que les berges soient bien protégées. De plus, nous avons mené des actions de sensibilisation auprès des riverains pour qu’ils soient eux-mêmes des contrôleurs du fleuve à même de signaler les actes dégradants aux abords du cours d’eau.

Nous faisons des patrouilles pour empêcher tous ceux qui œuvrent à la dégradation de la qualité de l’eau », selon Amidou Traoré. Il invite les pêcheurs, agriculteurs et orpailleurs, à respecter les procédures et les normes en matière d’exploitation des ressources du fleuve Bougouriba et à ne pas poser des actes qui dégradent le cours d’eau. « Si le fleuve n’est pas là, il n’y a pas d’exploitation.

Chacun doit donc travailler à le protéger », lance le président du CLE/Bougouriba 7. Joël Tai appelle, lui aussi, la population à aller à plus de 100 mètres du fleuve et à avoir de bonnes pratiques agricoles. Il conseille également de planter des haies vives ou des arbustes ou d’utiliser les cordons pierreux pour freiner la vitesse de l’eau de ruissèlement qui ensable le fleuve. « Si les gens vont à plus de 100 mètres du fleuve, la vitesse de ruissèlement va freiner et l’impact de l’ensablement sera moindre », suggère M. Tai.

En attendant le barrage Bougouriba

Le directeur provincial en charge de l’environnement de la Bougouriba, Dé Millogo, invite les exploitants à respecter la zone de servitude.

S’il faut protéger les eaux, il faut également protéger les espèces qui y vivent. Pour cela Dieudonné Tingueri, agent à la direction provinciale de l’élevage de la Bougouriba, invite les pécheurs à utiliser des filets qui peuvent laisser échapper les alevins. Selon le technicien, les poissons se reproduisent pendant la saison pluvieuse et il est judicieux d’attendre la saison sèche pour pêcher.

Pour le directeur provincial de l’environnement, Dé Millogo, ses services ont élaboré un document pour reconstituer la bande de servitude et promouvoir une bonne collaboration des services qui interviennent sur le fleuve. « Il faut accentuer la sensibilisation au profit des occupants illégaux et la surveillance », estime M. Millogo.

Il interpelle également les partenaires à accompagner tous ceux qui œuvrent à la préservation de la Bougouriba. Quant aux habitants du village Bougouriba, ils ont souhaité la réalisation d’un barrage pour renforcer le fleuve. C’est également le souhait du président du CLE/Bougouriba 7. « Nous avons évoqué ce problème avec l’Agence de l’eau du Mouhoun. Il ressort que la réalisation d’un barrage ne peut pas relever d’un CLE.

Le problème est partagé à leur niveau. L’Agence peut mener des plaidoyers au niveau des plus hautes autorités pour que le barrage puisse être réalisé. Le problème de ce barrage date depuis la Révolution et devait être le plus grand barrage de la sous-région. Il devait alimenter tout le Burkina Faso et même au-delà. Mais la coopération avec les pays voisins a un peu freiné le projet », souligne le président du CLE/Bougouriba 7.

Adaman DRABO


Une seule pompe pour 600 habitants

Le village Bougouriba situé sur les rives du fleuve à la frontière entre la province de la Bougouriba dans le Sud-Ouest et le Houet, dans les Hauts-Bassins, ne dispose que d’une seule pompe pour ses 600 habitants. Au quotidien, les femmes se ruent sur ce seul point d’approvisionnement en eau potable pour espérer avoir le précieux liquide. Il arrive que cette seule pompe tombe en panne obligeant les villageois à se rabattre sur l’eau du fleuve pour leur consommation. Les populations disent avoir frappé à plusieurs portes pour avoir d’autres pompes, mais en vain. Pour le moment, elles ne savent plus à quel saint se vouer, pour ne plus boire l’eau du marigot, surtout qu’elle est de plus en plus contaminée par les produits chimiques utilisés dans l’agriculture et l’orpaillage.

A.D.

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