Génocide au Rwanda : «On était pourchassé comme des animaux», Jah Pépino

Artiste-musicien rwandais, Jah Pépino, vit actuellement en France après avoir séjourné quelques années au Burkina Faso. Depuis sa terre d’accueil, ce quarantenaire, qui a refusé de donner son nom à l’état civil pour des raisons de sécurité, a bien voulu remonter les douloureux souvenirs du génocide d’avril 1994. Entretien exclusif plein
d’émotions !

Sidwaya (S.): Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours ?

Jah Ppino (J.P.) : Je suis né en 1972 au Rwanda, d’un père Tutsi, officier de l’armée et d’une mère Hutu. Mes parents ont servi sous le régime du défunt président Habyarimana. J’ai suspendu mes études en droit en 1994, à la suite du déclenchement du génocide, pour ensuite suivre une formation en BTS, option commerce international au Togo. Entre 1996 et 2002, j’ai vendu des voitures d’occasion au port autonome de Lomé. Mais mon aventure dans ce pays ne s’est pas bien terminée. Par moment, je recevais des lettres de menaces de mort de mon pays, si bien que j’ai décidé de venir m’installer au Burkina Faso, précisément à Bobo-Dioulasso. J’y ai entamé une carrière d’artiste-plasticien dans un premier temps, pour ensuite m’intéresser à la musique, sans jamais décrocher d’ailleurs. Je suis auteur d’un album baptisé « Ça doit changer », produit en 2009. J’ai séjourné au Burkina jusqu’en 2012, année à laquelle j’ai quitté pour la France où je réside actuellement. J’exerce le métier d’animateur socioculturel dans les maisons de retraite et centres de loisirs.

S. : Comment avez vécu le génocide de 1994 ?

J.P. : J’ai très mal vécu le génocide pendant trois semaines. J’ai été un témoin oculaire du drame. C’était l’apocalypse ! On était pourchassé comme des animaux sauvages. Mes parents, notamment mon père et ma mère, ont été tués, car ils n’étaient pas assez forts physiquement pour fuir. Mes trois frères et moi avions pu nous cacher au moment où les milices hutus étaient en train de massacrer des Tutsi comme des poulets. C’était horrible ! Après le troisième jour de génocide, il y avait des cadavres en décomposition partout. Les chiens se ruaient même sur les cadavres. J’ai vu des morts à la pelle. Par la grâce de Dieu, j’ai pu avoir la vie sauve, dans des conditions extrêmement difficiles et dangereuses. Mes frères et moi avions fui sans chaussures ni vêtements, sans nourriture ni eau potable. Nous avions dû manger des herbes et des tubercules non préparés dans la forêt pour survivre. Il fallait se terrer dans la brousse, car les extrémistes étaient dispersés dans la nature. Ils coupaient les têtes des gens. D’autres tiraient avec leurs armes sur tout ce qui bougeait. C’était des moments chaotiques !

S. : Dans quelles circonstances vos parents ont-ils perdu la vie ?

J.P. : Mon père et ma mère ont été égorgés comme des bœufs à l’abattoir. J’ai également perdu plusieurs proches, notamment des oncles paternels, des amis et des voisins, dans des circonstances indescriptibles.

S : Expliquez-nous comment vous aviez fui le Rwanda à la suite de ce massacre à grande échelle ?

J.P. : J’ai quitté le Rwanda à pieds, en compagnie de mes frères, pour me rendre au Zaïre, actuel République démocratique du Congo (RDC). Nous avons mis trois mois pour y parvenir. Car, il y’avait plusieurs barricades sur la route, difficiles à franchir sans être tué. Souvent, nous étions obligés de les contourner pour échapper au contrôle. Il était vraiment difficile de fuir sans se faire arrêter.

S. : Justice a-t-elle été rendue à vos proches disparus?

J.P. : Vingt-cinq ans après le génocide, justice n’as pas encore été rendue à mes proches. J’attends toujours. D’ailleurs, je n’ai plus mis les pieds au Rwanda depuis cet évènement douloureux.

S. : Est-ce qu’il vous est interdit de rentrer au pays ?

J.P. : Pas vraiment. Seulement, je n’envisage pas y retourner, par peur de ne pas pouvoir bien intégrer la société et me refaire une vie. Le fait que mes parents aient servi sous le régime de Habyarimana me fait craindre aussi le pire, tout naturellement. En tous les cas, je n’ai pas tenté de retourner au pays. J’ai un statut de réfugié et cela ne me pose aucun problème.

S. : Quel commentaire faites-vous sur l’implication supposée de la France dans le génocide?

J.P. : Je n’ai pas de commentaire à faire sur l’implication supposée de la France dans le génocide. A l’époque, j’étais encore jeune. Je n’étais pas très informé ou intéressé par la politique. La seule chose dont je me souviens, c’est que la France avait créé une zone neutre appelée « turquoise », grâce à laquelle j’ai été sauvé. Les rebelles tutsis et les milices hutus n’avaient pas le droit d’approcher cette zone ou encore moins attaquer les citoyens qui avaient réussi à s’y réfugier. La France avait le rôle de protéger tous ceux qui parvenaient à entrer dans cette zone sans discrimination. Je ne sais pas si on peut assimiler ce soutien à une implication de la France dans le génocide rwandais.

S. : Votre pays a-t-il réussi à panser les plaies, selon vous ?

J.P. : Le Rwanda a essayé de panser les plaies du génocide sans succès. A l’heure où je vous parle, des Rwandais continuent de fuir leur pays, de peur de se faire emprisonner sans motif valable. Il y a des portés disparus tous les jours. Ce qui, à mon avis, prouve que le gouvernement actuel n’a pas pu panser les plaies.

S. : Malgré son passé trouble, votre pays a su remonter la pente pour devenir un exemple sur le continent en termes de gouvernance. N’est-ce pas une fierté?

J.P. : Evidemment, le Rwanda s’est fait remarquer économiquement par son développement exceptionnel dans la région des Grands Lacs. C’est à féliciter. Mais il reste à travailler à garantir la liberté d’expression, parce que beaucoup de journalistes sont derrière les barreaux. Ce qui n’arrange pas l’image du pays.

Entretien réalisé par
Kader Patrick KARANTAO

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