La puissance de la Croix de Jésus Christ

A partir de dimanche prochain, dimanche des rameaux et de la Passion, la Croix va occuper une place prépondérante, en cette fin du carême, notamment le Vendredi Saint. Et quand on sait qu’elle n’est ni une image ni une parabole, mais l’incarnation d’un fait historique, il y a de quoi se demander pour Jésus a-t-il fait le choix d’une telle voie pour le salut du monde ?

Dressée comme l’un des supplices les plus cruels de l’humanité dont les
Romains étaient devenus experts, la croix servait à châtier des criminels, brigands ou pirates non citoyens romains, ou encore des esclaves, des prisonniers de guerre ou des condamnés politiques, à tel point que la cruci fixion est décrite par les sources romaines comme le « summum supplicium », le « pire des supplices ». Si tel était le cas, pourquoi infliger un tel châtiment à un innocent, Jésus de Nazareth au sujet de qui l’un des deux bandits crucifiés en même temps que lui déclare : « Pour nous, c’est juste : après ce que
nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal » (Luc 23,41). Autrement dit, il meurt de façon injuste ! C’est scandaleux.

Le scandale de la Croix C’est évident ! Le sens biblique de scandale à moins à voir avec l’acception actuelle du mot qui signifie « une grave affaire à caractère immoral où sont impliquées des personnes que l’on considérait comme honorables, dignes de
confiance ». Par contre, à partir de son étymologie latine, scandalum, « ce sur quoi on trébuche », on comprend mieux le scandale de la Croix en parlant du Christ
que les Juifs refusaient de reconnaître comme le messie et qui de ce fait, constituait pour eux un scandale tant il était différent de l’idée qu’ils s’en faisaient.

Saint Paul s’en écrie : « Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1Co 1,18).
En d’autres termes, que Dieu se soit révélé dans un crucifié prendra toujours les hommes à contre-pied de leurs idées sur Dieu et sur l’homme. Dans la conception grecque en effet, Dieu, être rationnel par excellence, constitue la norme suprême de l’intelligence et de l’harmonie, tandis que chez les Juifs, il est le Tout Autre, l’inaccessible, le Tout-Puissant, créateur et maître de l’histoire. Un tel Dieu, incarné en Jésus Christ, peut-il mourir, crucifié sur une Croix ? Voilà donc le scandale. Et pourtant, insiste saint Paul : « Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes » (1Co 1, 23).

Une manière de dire que cet homme crucifié est l’ultime parole où Dieu se fait connaître et
qu’en lui repose le salut du monde. L’expression de la puissance de la Croix Ce faisant, la Croix de Jésus vient contester l’échelle des valeurs du monde et renverser nos critères d’efficacité, de puissance et autres, mais aussi toute tentative d’enfermer Dieu dans un système de pensée. Dans ce sens, saint Paul peut se permettre cette expression explosive : « La folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (1Co, 1,25).

Pour dédramatiser un peu ce scandale, il faut réaliser que Jésus n’a pas choisi la Croix et la mort, ce sont les hommes qui les ont choisies pour Lui. Jésus a choisi l’Amour. Ce choix de l’Amour jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême, quel qu’en soit le prix à payer, explique qu’il ait librement accepté la mort atroce sur la croix, et donc le don total de Lui-même. Il en a une vive conscience puisqu’il déclare lui-même : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15,13).

Ainsi, les mérites de Jésus, qui se sacrifie pour ses frères, rejaillissent sur toute l’humanité. L’amour du Christ pour chaque être humain ne calcule pas ce qu’il obtiendra en récompense. Il ne s’inquiète même pas de savoir si son amour sera bien compris. Il incarne l’amour de gratuité. Si Jésus ne cherchait que son propre épanouissement, il ne se
serait jamais laissé crucifier puisqu’il est sans péché alors que ce qui le tenait cloué au gibet, ce sont les péchés de l’humanité.

En fin de compte, l’icône de la gratuité est le Christ en croix, ce Christ qui se donne, ce Christ qui est Dieu. Il a choisi l’Amour du Père. Un Amour qui s’est concrétisé par une obéissance parfaite au dessein bienveillant de Celui-ci : faire participer ainsi tous les hommes à sa Vie et à son bonheur éternel. Ce qui est l’exact opposé de la mort et de la souffrance.

Pour tout dire, ce n’est pas seulement la croix qui fait scandale, c’est tout l’Évangile, avec son appel à l’amour, au renoncement à soi-même, au refus de l’accumulation des richesses, à l’exigence du pardon, à l’amour des ennemis … Tant il est vrai que les souffrances du Christ ne sont pas seulement un évènement du passé que sa résurrection et sa vie auprès du Père lui auraient fait oublier, comme un mauvais sou￾venir. L’expérience qu’il a faite de la souffrance, des larmes, de la prière suppliante de l’homme aux prises avec l’angoisse et la peur de mourir, lui permet de comprendre nos faiblesses dans l’épreuve.

Nul ne peut désormais se dire solitaire ou abandonné dans sa peine. Car il n’y a pas d’humain qui souffre dans le monde sans que le cœur du Christ ne vibre à sa souffrance. Et il veut que le cœur de tous ceux qui se récla￾ment de lui et portent en eux la marque de sa croix vibre de la même manière : à l’unisson du sien ; pour Dieu et pour l’homme, Amour jusqu’au bout quoiqu’il en coûte. Et la croix en devient le signe. Aussi constitue-t-elle le Signe par excellence de notre foi chrétienne catholique.

Abbé Paul DAH

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