Nous avons vu les images du deuxième sommet des chefs d’Etat de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) tenu à Bamako, le 23 décembre 2025. Nous avons vu la mobilisation des populations ; nous avons suivi les discours des trois leaders du trio insoumis ; nous avons entendu celui du Président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré résonner plus qu’un appel, plus qu’une interpellation ; c’était une alerte aux allures de prémonition sur la suite du combat. En usant de la métaphore de l’hiver noir, le président n’a fait qu’attirer l’attention de l’opinion sur les enjeux de la lutte pour l’indépendance vraie. Il s’est adressé à ceux qui avaient des oreilles pour entendre mais surtout à ceux qui avaient encore du bon sens et de la fierté d’être Africain.
A l’issue de l’intervention du Président Traoré, des Africains et même des Burkinabè se sont vite rués sur les apparences et ont professé la fin du monde. Mais non, le capitaine président a simplement oser caricaturer la réalité pour les grands esprits en leur disant subtilement que le combat enclenché pourrait être plus ardu et plus long. L’Occident ne renoncera jamais à l’Afrique ; il ne laissera jamais le projet fédéraliste d’une alliance d’Etats faire école et inspirer d’autres pays d’Afrique. Les élans souverainistes sont des postures à risque, parce que ceux qui nous ont enchaînés et réduits en esclave ne vont jamais nous rendre la liberté confisquée. L’engagement nationaliste et panafricaniste des trois chefs d’Etat peuvent être perçu comme un choix suicidaire dont ils sont conscients, mais il n’y a d’alternative à la lutte que la lutte elle-même.
C’est curieux et drôle à la fois de voir des Africains s’opposer à une telle lutte, parce que ceux qui la mènent sont des militaires, parvenus au pouvoir par la voie des armes plutôt que par la voie des urnes. Mais, qu’est-ce qui a prévalu à leur arrivée au pouvoir ? Parfois il suffit de regarder ce qu’ils font depuis leur arrivée pour se convaincre que ni le treillis ni l’arme ne sont antinomiques à l’absolu à la gestion du pouvoir d’Etat. En voyant la mobilisation des masses populaires au sommet de Bamako, on peut oser redéfinir la démocratie et se convaincre qu’on n’a pas forcément besoin de passer par un bulletin de vote pour s’arroger la légitimité qui en découle.
Et quand on sait qu’un bulletin de vote ne coûte parfois que 2000 FCFA plus un Tshirt et un plat de riz gras. Alors, pourquoi diaboliser les militaires quand ce sont les civils qui ont préparé le terrain de leur accession au pouvoir ? Peut-on vraiment jeter l’anathème à ces militaires, quand sous nos cieux des civils tirés à quatre épingles perpètrent des coups d’Etat constitutionnels, savamment préparés avec l’onction déplacée du peuple désabusé. Le trio en béret de l’AES est traité de tous les noms d’oiseau mais il suffit de regarder froidement leurs actions pour reconnaître que la lutte de libération ne se mène pas en costard cravate. Il suffit de voir ce qui se passe dans ces trois pays pour se raviser et affirmer qu’il n’y a rien de plus pragmatique que la volonté.
La volonté politique ne se trouve pas dans les beaux discours ; elle est sur le terrain et au quotidien de la vie de la patrie pour laquelle on se bat. Malheureusement, quand les intérêts égoïstes prennent le pas sur celui de l’Afrique, on ne peut que traiter le trio nigérien, malien et burkinabè de “junte” et de tous les qualificatifs dépréciatifs de l’animosité personnelle.
Mais l’AES est déjà lancée dans sa dynamique de changement d’une Afrique nouvelle qui ne se bat que pour s’affranchir définitivement du joug humiliant de ceux qui l’ont toujours regardée en plongée. L’AES est en marche vers l’autonomie véritable, celle qui libère de la dépendance puérile vis-à-vis d’un occident condescendant qui avait fini par prendre tout un continent comme sa propriété. Tant pis pour ceux qui se complaisent dans l’esclavage moderne en se vantant d’être démocratiques et développés. Tant pis pour ceux qui sacralisent cette démocratie et vilipendent les régimes militaires de l’AES.
En vérité, on peut aisément comprendre leur douleur et leurs ressentis, celui du privilège indu qui s’échappe à la lumière de la rigueur et de la transparence. On ne peut pas aimer un système qui ne profite plus à un groupuscule de repus avides ou à une dynastie de roitelets. On ne peut pas aimer un régime qui chasse le colonisateur d’antan et prend le contrôle de son destin ; on ne peut pas aimer l’AES, parce que l’AES dérange les intérêts de ceux qui l’on toujours pillée pendant des siècles. Et si le reste de l’Afrique n’a toujours pas compris le sens de ce combat, alors l’AES ira seule dans sa marche solitaire mais avec dignité, malgré l’hiver noir qui guette, en vain.
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr






