Le référendum de la discorde

le Tchad est engagé dans un processus de révision constitutionnelle, conformé-ment à une recommandation du Dialogue national inclusif et souverain de 2022. Le référendum pour l’adoption de la nouvelle loi fondamentale, censée remplacer celle de 2018, est prévu pour le 17 décembre 2023. Le projet de nouvelle Constitution, qui a reçu l’aval du Conseil national de transition (CNT), confère tout comme la précédente, d’importants pouvoirs au chef de l’Etat.

Il comporte des innovations dont entre autres, la réhabilitation et le réaménagement de certaines institutions, tels le Sénat, la Haute Cour de justice et la Cour des comptes. Aussi, la Constitution à soumettre au vote maintient la forme d’un Etat unitaire décentralisé, à la désolation des promoteurs patentés du fédéralisme, qui n’ont de cesse d’accuser le gouvernement de Transition d’opérer unilatéralement. S’il ne représente pas à vrai dire un chamboulement de par son contenu, le projet de nouvelle Constitution tchadienne divise. Le dialogue national, qui l’a suggéré, n’avait pas rassemblé tout le monde.

La grande majorité de l’opposition et les plus puissants groupes rebelles s’en étaient démarqué. Le texte lui-même ne peut donc pas requérir l’assentiment de tous les Tchadiens. Les partisans du « Oui », avec en tête le président de la Transition, le général Mahamat Idriss Deby et ceux du « Non », constitués du bloc des fédéralistes vont déployer les arguments pour convaincre les quelques 8 millions d’électeurs et c’est à qui ralliera le plus de voix. La campagne pour le référendum ayant été lancé, le week-end écoulé, ils sont à pied d’œuvre pour gonfler leurs rangs de part et d’autre.

En plus de ces deux camps, il y a un troisième, celui des opposants radicaux, qui appellent au boycott pur et simple du scrutin à cause de ce qu’ils qualifient de mainmise du gouvernement sur la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC) et son penchant connu pour un Etat unitaire. De toute évidence, ce referendum va se tenir dans une atmosphère peu sereine, si bien qu’il faut redouter des incidents lors de la campagne. Si le « Oui » venait à l’emporter, le général Deby pourra se targuer d’être populaire et légitime.

En cas de victoire du « Non », ce sera la douche froide pour le gouvernement tchadien, qui se verra contraint de soumettre un projet d’Etat fédéral dans les 60 jours suivants. A la vérité, le contexte dans lequel se prépare le référendum, va bien au-delà des désaccords autour du projet de nouvelle Constitution. Même si le régime Deby pose des actes dans le sens de la réconciliation nationale, en témoigne le retour d’exil de l’opposant Succès Masra, les nerfs sont toujours à vif en terre tchadienne. La prolongation de la durée de la Transition de deux ans et la possibilité accordée au général Deby de se présenter aux élections de 2024 restent en travers de la gorge des opposants radicaux.

Ils sont vent debout contre ces deux décisions issues du Dialogue national inclusif, qui à leurs yeux ne visent qu’à asseoir une dynastie des Deby. Le 20 octobre 2022, une manifestation de protestation de la prolongation de la Transition a viré au drame, puisque plusieurs personnes avaient été tuées ; ce qui est de nature à fragiliser la cohésion sociale au Tchad. Alors que l’on s’attendait à ce que les auteurs de ce crime payent pour leurs actes, le gouvernement de transition a amnistié, le 23 novembre dernier, tous les civils et militaires impliqués dans les événements du 20 octobre 2022.

Cette mesure, censée servir la réconciliation nationale, semble produire l’effet contraire, les défenseurs des droits de l’homme la voyant d’un très mauvais œil. Malgré les sacrifices consentis pour faire bouger les lignes, les Tchadiens ont encore du chemin à faire pour regarder dans la même direction. Ils ont pourtant intérêt à aller dans ce sens, vu les défis à relever sur le plan du développement. Le pays de Feu Idriss Deby Itno doit œuvrer à faire véritablement des progrès, étant donné sa position de deuxième Etat le moins développé au monde en 2022, selon l’indice de développement humain (IDH). Les Tchadiens sont fortement interpelés à taire leurs divergences pour aller de l’avant…

Kader Patrick KARANTAO

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