Les vampires

J’ai regardé des films d’horreur et je pourrai en citer des tas de titres jusqu’à perdre le souffle. Mais en réalité, dans tous ces films, le sang qui jaillit des victimes n’est que factice, leur chair déchiquetée n’est que de leurre maquillé de plaies ouvertes et saignantes. Le cannibalisme dont se régalent les vampires n’est qu’un jeu d’acteur savamment dosé pour effrayer les accrocs de sensations fortes. Bref, mais savez-vous qu’ici au Faso, il y a des scènes d’horreur qu’on ne voit que lorsqu’on se met dans la peau d’un être humain ? Savez-vous qu’il y a des « vampires » parmi nous ? Savez-vous qu’il y a des Burkinabè qui sucent et vivent du sang des autres ? Chaque jour, ils se désaltèrent à la sueur du pauvre. Ils se nourrissent de l’effort des démunis.

Ils vont à la messe chaque dimanche, pas pour rencontrer Dieu, mais pour se montrer aux hommes. Ils se bousculent à la mosquée chaque vendredi mais c’est juste pour se faire voir mieux que de croire. C’est ainsi que pour un précaire salaire mensuel de 15 mille francs pour chacune des femmes balayeuses et nettoyeuses de l’administration publique, le « vampire » contractant du juteux marché les paiera tous les trois mois avec toujours un arriéré de deux mois. Il leur servira 10 mille francs CFA au lieu des misérables 15 mille francs, avec la mention « à prendre ou à laisser ».

Sur la centaine de femmes engagées dans son « enfer », le « vampire » fera une économie de 5 mille francs qu’il faudra multiplier par 100, soit 500 mille francs CFA de bénéfice perçu sur le sacrifice d’autrui. Mais en vérité, le « sorcier » devait verser mensuellement à chaque femme 25000 F CFA. Et avec le salaire de 10 mille francs, il s’en tire avec un bénéfice de 1 million 500 mille F CFA. Gare à celle qui jouera à l’héroïne éveillée en dénonçant ouvertement la supercherie, elle sera simplement radiée de la horde de gueux et remplacée sans règlement de ses arriérés. Chaque matin de bonne heure entre 3 heures et 5 heures, des femmes de tout âge prennent d’assaut les grandes avenues de la capitale, balayant et respirant la poussière mortelle de la chaussée, sans masque ni gant. Certaines sont violées à l’aller ou au retour par de maudits bandits qui ont l’âge de leur petit-fils. Les infortunées se laissent écraser par des bolides aux allures de fusée. Ils ne s’arrêtent jamais, ils ne ralentissent même pas par pudeur ou par pitié, ils ne descendent jamais de leur voiture tueuse pour porter secours ou s’incliner sur la dépouille de leur forfaiture. De toute façon, ils n’ont fauché qu’une petite vie sans valeur, sans incidence aucune sur la vie de la nation. Ces femmes balaient souvent pour rien, sans salaire ni égard. Gare à elles si elles haussent le ton devant qui de droit.

Le vigile, lui, veillera sur la sécurité des personnes et des biens soumis à sa vigilance dans un état d’indigence totale. Il mangera des arachides grillées avec les coques pour tenir pendant que son patron se gavera de délices, pour dormir et ronfler le ventre en l’air. Au-delà de son rôle de vigile, il arrosera les fleurs, il ira à la boutique chercher le pain, il ira chercher les enfants à l’école. Mais pour son salaire, il devra attendre même s’il n’a rien pour nourrir sa famille ; même s’il n’a rien pour éduquer ses enfants ; même s’il n’a rien pour arrêter l’hémorragie de sa femme enceinte. Il finira par enterrer la mère de ses trois enfants avec son poids de sept mois, sans percevoir un seul kopeck des quatre mois d’arriérés de salaire de misère qu’il a réclamés en pleurant. Gare à lui s’il ose se plaindre devant qui que ce soit. Il le regrettera ! Parce que son patron n’est pas n’importe qui et n’importe qui ne peut l’entendre ou l’interpeller. Le droit peut avoir la forme d’une courbe quand il est sous le poids de la loi des forts. Le devoir n’est rien d’autre que la volonté de se plier à sa propre conscience.

Il n’est de meilleure loi que celle que nous dicte le cœur. Hélas, les vrais riches ne donnent pas ; quand ils tendent la main, c’est pour prendre, s’accaparer et ravir. Quand ils donnent, ils le font avec la main gauche, sans le moindre sentiment de générosité, sans aucune intention d’aider. Les pauvres ne comptent pas plus que l’argent du riche. D’ailleurs, c’est parce qu’ils n’ont pas d’argent qu’ils sont pauvres et l’argent est plus urgent que ces petites gens. Mais encore faut-il s’entendre sur le sens même de la richesse. En quoi sommes-nous riches si notre richesse n’est que matérielle, pècheresse, parce qu’acquise et fructifiée dans le sang et par le sang ? En quoi sommes-nous riches si notre opulence ne trouve sa substance que dans la souffrance des autres ? La vraie richesse ne se calcule pas en F CFA, en dollar ou en euro, elle s’évalue au rythme des battements du cœur. Parfois, on peut tendre la main vide et donner plus, mieux que de l’argent.

Clément ZONGO clmentzongo@yahoo.fr

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