
Le Burkina Faso commémore en différé la Journée mondiale de lutte contre le SIDA, le vendredi 5 décembre 2025. A l’occasion Sidwaya s’est entretenu avec le chef du département chargé du secteur santé du SP/CNLS IST, Dr Salam Dermé. Le pharmacien spécialisé en économie de la santé fait un tour d’horizon de la situation épidémiologique du VIH/SIDA au Burkina, les acquis dans la lutte contre l’épidémie et les efforts du gouvernement et ses partenaires pour contenir la maladie à l’horizon 2030.
Sidwaya (S) : Quelle est la situation épidémiologique du VIH/SIDA au Burkina Faso ?
Dr Salam Dermé (S. D) : Selon le dernier rapport de l’ONU SIDA publié en juillet 2025, qui s’est basé sur nos données nationales, en termes de prévalence du VIH en fin 2024, nous étions à une prévalence du VIH de 0,5%. Cela veut dire que 5 personnes sont infectées sur 1000. En termes de nombre de personnes vivant avec le VIH au Burkina, le même rapport fait ressortir 94 000 personnes vivant avec le VIH, dont 54 000 adultes femmes, 31 000 adultes hommes et 8400 enfants.
Pour ce qui est des nouvelles infections, intervenues au cours de l’année 2024, les statistiques indiquent 3 000 nouvelles infections. Et en termes de décès liés au VIH, malheureusement, nous avons enregistré également 3 000 décès. Le VIH n’est pas un fardeau seulement sanitaire, il interagit au niveau social, familial. Nous enregistrons dans la même période 66 000 orphelins et enfants vulnérables liés au SIDA. La prévalence de 0.5% étant inférieure à 1% de la population générale signifie que le Burkina Faso est classé parmi les pays à épidémie mixte et stable. Il y a seulement des pics de prévalence dans quelques groupes de population.
S : Comment se présente la maladie en termes de répartition par région ?
S. D : Chaque année, l’épidémie évolue en cercle concentrique. Il y a ce qu’on appelle le noyau de transmission ou le corps-groupe. C’est à partir de ce noyau qu’une population passerelle se contamine. Cette population passerelle est en contact avec le noyau et la population générale. Il y a des groupes vulnérables dont l’activité ou le comportement prédispose à plus de transmission. Nous avons par exemple, les Travailleurs du sexe (TS) où les récentes estimations donnent 6,8% alors que nous sommes à 0,5% de la population générale. Egalement, chez les détenus, les dernières tendances de l’enquête de l’IBBS de 2020 donnent 1,3%, supérieur à la prévalence nationale. Nous avons des sites sentinelles répartis sur l’ensemble des pays et chaque année, nous faisons l’enquête de surveillance chez les femmes âgées de 15 à 49 ans qui nous donne la tendance de l’épidémie au plan national. Cela nous permet d’avoir des prévalences, des estimations de prévalence régionale. Il y a une disparité de la prévalence au niveau régional. Pendant qu’on est à 0,5% au niveau pays, nous remarquons selon la dernière enquête de surveillance qui s’est déroulé en 2023, que le Guiriko est à 2,7%, le Kadiogo 2,3%, Djôrô, 1,83% et le Nakambé 1,2%. Ces prévalences sont donc supérieures à la moyenne nationale.
S : Pourquoi ces disparités au niveau régional ?
S. D : Ces disparités peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs. Il y a la taille des populations dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Si vous regardez l’enquête IBBS 2023 sur les populations à haut risque, ce sont dans les grands centres urbains que se concentrent, par exemple, les TS et les populations pour des raisons économiques. Le contexte sécuritaire et humanitaire entraine des déplacements vers les villes avec des populations vulnérables. Vous avez les orpailleurs et les routiers.
S : Quelles sont les dispositions prises dans l’optique de ramener ces chiffres à des proportions raisonnables ?
S. D : Depuis les années 2001, nous avons une approche participative. Nous élaborons le cadre stratégique national de lutte contre le sida, où nous définissons les impacts et les interventions. Et nous en sommes au 5e. Pour diminuer la transmission et l’impact sur la chaîne de transmission, il faut cibler les groupes où la prévalence est plus importante et déployer un paquet de préventions combinées qui allient la sensibilisation thématique et le dépistage différencié.
Nous avons de nouveaux outils tels que la Prévention préexposition (PREP), où certains groupes, par rapport à leur activisme sexuel, à leur comportement, reçoivent des médicaments pour prévenir la contagiosité. Nous n’attendons plus que la personne tombe malade, mais on administre des médicaments pour éviter que la personne ne soit contaminée au regard de son activité ou sa prise de risque. Actuellement, il s’agit de la PREP orale, avec les médicaments antirétroviraux oraux. Au niveau international, on a innové à travers la PREP injectable. Nous sommes en train d’étudier l’introduction de la PREP injectable. Donc, le traitement antirétroviral, non seulement est un traitement qui donne la qualité de vie, qui traite le patient, mais le traitement appliqué au Burkina a un rôle préventif. S’il est bien suivi et qu’on arrive à mesurer la charge virale et qu’elle est supprimée, la personne vivant avec le VIH ne transmet quasiment plus le virus à son partenaire sexuel.
S : Quel sont les efforts de l’Etat ainsi que les partenaires et acteurs du privé dans la lutte contre le SIDA ?
S. D : Nous avons un cadre stratégique de lutte contre le SIDA et les IST qui définit les stratégies et un paquet d’interventions que nous déroulons chaque année à travers ce que nous appelons le plan national multisectoriel de lutte contre le SIDA. En moyenne par an, les besoins de financement de la lutte contre le SIDA, sont d’environ 30 milliards F CFA. Dans ce montant, la contribution du budget de l’Etat est estimée à 33%. Dans la sous-région, quand on fait une comparaison, le Burkina fait beaucoup d’effort. Cette contribution nous permet d’acquérir prioritairement des traitements ARV et des réactifs pour sécuriser la chaine d’approvisionnement. Les partenaires multilatéraux, tels qu’essentiellement le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose contribuent à hauteur de 34%. Les partenaires bilatéraux, essentiellement les Etats-Unis, à travers, le plan du président américain, contribuent à hauteur de 30% depuis plus de 5 ans. Les ONG internationales, tels que le système des Nations Unies, à hauteur de 1,6% et le secteur privé contribue à hauteur de 0,7%.
S : La suspension du financement américain et la diminution drastique du soutien financier des acteurs multilatéraux ne vont-elles pas annihiler les efforts ?
S. D : La décision du gouvernement américain a eu des impacts sur la performance programmatique des programmes VIH. Mais Dieu merci nos échanges avec les Etats-Unis nous ont permis de maintenir le financement de l’acquisition des traitements pour ne pas laisser les malades de côté. Donc, cette année 2025, ils continuent à maintenir les services essentiels. Il faut que nous puissions nous adapter. Nous devrons nous organiser pour maintenir les acquis et obtenir des résultats avec peu de moyens. Nous devrons également continuer à faire des plaidoyers pour une mobilisation des ressources endogènes pour garantir les services essentiels dont l’accès aux traitements ARV, l’accès au suivi médical des personnes vivant avec le VIH. Depuis 2010, les traitements antirétroviraux sont gratuits au Burkina. L’Etat et ses partenaires se mobilisent toujours pour assurer cette disponibilité permanente. Ces médicaments ne doivent jamais manquer au niveau du patient. Récemment, le dépistage et les examens de suivi biologique sont gratuits. Il faut que l’Etat continue à injecter des ressources pour que nous puissions maintenir ces services essentiels au profit des malades. La communauté internationale doit se mobiliser pour pouvoir soutenir les pays à faible revenu. Dans le cadre de la solidarité mondiale, peut-être des mécanismes vont se créer.
S : Vous avez relevé que les intrants ne doivent pas manquer. Souvent, on constate qu’il y a un manque de ces intrants. Comment peut-on expliquer ce constat ?
S. D : Nous voyons souvent des alertes dans les réseaux sociaux ou des interpellations. Les tensions de stock, les ruptures et le surstock sont inhérents à la gestion des intrants tout au long de la chaîne d’approvisionnement en produits de santé. Les goulots
d’étranglement à un maillon de la chaîne peuvent entraîner une indisponibilité sur l’utilisateur final. On peut disposer des intrants au niveau national mais ils ne se retrouvent dans une formation sanitaire, parce qu’au niveau de la formation sanitaire, c’est un système de réquisition. Il doit pouvoir faire ses besoins puis remonter pour qu’on valide, afin que la commande puisse être livrée. S’il y a quelqu’un qui n’est pas proactif, il y aura un problème. Donc, il faut que chacun des acteurs de la chaîne d’approvisionnement joue sa partition et soit proactif.
S : Vous avez parlé tantôt de prévention combinée. De quoi s’agit-il ?
S. D : Nous sommes dans une situation d’épidémie mixte concentrée. La stratégie de faire des interventions en population générale s’est avérée non efficace. Donc, il faut recentrer les efforts vers ce que nous appelons maintenant prévention combinée. C’est une prévention ciblée et à fort impact qui combine plusieurs outils dont la sensibilisation thématique en fonction du groupe. Il y a des messages spécifiques qu’il faut développer. Il faut également appliquer le dépistage différencié. Cela peut être par un test, ou des autotests, puisque présentement il y a les autos dépistages salivaires que nous donnons. L’intéressé prend sa cassette, rentre chez lui et travers sa salive, il a son test. C’est réactif et il peut par la suite se rendre dans un centre de santé pour pouvoir confirmer ou infirmer le test. Il y a aussi la distribution de préservatifs et la PREP.
S : L’on parle aussi de 3 x 95. Pouvez-vous nous donnez des éclaircissements ?
S. D : Il s’agit de la cascade de 3 x 95 ou des objectifs 3 x 95 de l’ONU-SIDA. Ce sont des résultats qui mesurent la performance des programmes VIH des pays. Ce sont des indicateurs harmonisés qui permettent de comparer les pays pour voir les niveaux d’efforts fournis. Le 1er 95 veut dire clairement que 95 % des personnes vivant avec le VIH estimé du pays connaissent leur statut VIH positif grâce au dépistage. Le pays doit travailler pour identifier 95 % des personnes potentiellement VIH+. Si on prend cet indicateur, à la date en fin décembre 2024, nous sommes à 89 %. Cela veut dire qu’il y a à peu près 84 852 personnes vivant avec le VIH qui connaissent leur statut VIH plus sur les 94 000 estimés. Ce qui nous donne un taux d’atteinte du 1er 95 de 89 %.
Le 2e 95 veut dire que parmi ceux qui sont sous traitement et ceux qui connaissent leur statut, le pays doit tout faire pour mettre 95 % d’entre eux sous traitement antirétroviral. Au Burkina sur les 94 000 personnes connaissant leur statut sérologique, on a pu identifier 84 852 personnes qui sont dans le fil actif, réparties dans les 126 sites de prise en charge au Burkina. Parmi ces 84 852, le pays devrait faire l’effort que 95 % de ces personnes qui connaissent leur statut soient sous traitement ARV. Le résultat de ce 2e indicateur pour le Burkina, nous sommes à 100 %. Toutes les 84 852 personnes identifiées qui sont arrivées dans le fil actif des formations sanitaires sont sous traitement ARV.
Le 3e 95 renvoie à la suppression de la charge virale, le nombre de virus qui circulent dans le sang. Avec les techniques dont on dispose, le résultat de l’examen doit nous montrer un seuil d’indétectabilité inférieur à 1000 copies par millimètre. Si on a ce seuil, ça veut dire que le traitement marche et le virus n’arrive pas à se reproduire dans l’organisme. Si la personne a une charge virale supprimée, ça veut dire que la personne qui vit avec le VIH, qui est sous traitement, qui a une charge virale supprimée, ne transmet plus le virus à son partenaire sexuel.
Nous sommes à 66%. Les efforts doivent être faits pour que les laboratoires, qui sont équipés en plateforme, puissent réaliser la charge virale, que les prescripteurs, l’équipe de prise en charge qui suit les patients, puissent demander l’examen de charge virale, que les patients même comprennent que l’examen de charge virale est un examen traceur. Ils doivent même demander à leurs soignants de les prescrire. Il est prévu que chaque année, au moins chaque patient doit pouvoir réaliser une fois sa charge virale pour voir si le traitement marche. Si on arrive à ce que tous ceux qui sont sous traitement antirétroviral ont une charge virale éliminée, alors nous rompons la chaîne de transmission.
S : Chaque 1er décembre marque la Journée mondiale de lutte contre le SIDA. Cette année, quel est le thème qui a été choisi ?
S. D : Cette année, le thème national est celui mondial à savoir : « Surmonter les perturbations et transformer la riposte au SIDA ». Nous célébrons cette année la Journée mondiale de lutte contre le SIDA en différé le 5 décembre 2025. Cette commémoration coïncide avec le mois de solidarité, une initiative du ministère en charge de l’action humanitaire. Nous voulons inviter les Burkinabè à être solidaires aux personnes vulnérables.
Il y a les orphelins et enfants vulnérables liés au VIH. Il y a les personnes vivant avec le VIH qui ont des besoins particuliers. Nous invitons tous nos compatriotes à être solidaires avec les personnes vulnérables. Le SIDA existe toujours et nous devons nous y engager. Nous demandons surtout aux adolescents et aux jeunes de pouvoir garder les comportements à moindre risque pour éviter de contracter le VIH, car il y a un relâchement à ce niveau. Ces mesures de protection sont l’utilisation du préservatif lors des rapports sexuels, la fidélité et l’abstinence.
S : Qu’est-ce qui vous a motivés cette année à vous aligner sur le thème mondial ?
S. D : Le Burkina a choisi pour cette édition de s’aligner sur le thème mondial qui interpelle fortement sur le fait que notre marche commune vers l’élimination du SIDA passe inéluctablement par la résilience du pays et des acteurs face aux mutations des contextes internationaux et nationaux.
Les défis sécuritaire et humanitaire, avec leur corollaire de population déplacée impactent sur la fonctionnalité des formations sanitaires. Quand vous regardez les formations sanitaires périphériques, les CSPS, nous en avons jusqu’à 2970 qui doivent délivrer la prévention de la transmission mère à l’enfant. En principe, chaque femme enceinte qui vient pour des consultations prénatales doit bénéficier du dépistage du VIH, de la syphilis et des hépatites. C’est environ plus de 900 000 femmes par an. Donc cette double contrainte humanitaire et sécuritaire peut avoir un impact sur la fonctionnalité des formations sanitaires et également sur la mobilité des personnes vivant avec le VIH.
Il faut développer les stratégies pour que personne ne soit laissée de côté. Il y a également la chaîne d’approvisionnement qui est impactée. Souvent ces contraintes sécuritaires font qu’il faut déployer des mécanismes d’approvisionnement d’urgence. Les Forces de défense et de sécurité nous aident souvent à apporter les produits auprès des formations sanitaires, pour que ceux qui en ont besoin puissent continuer leur approvisionnement. Il y a également au plan international les perturbations consécutives à la crise de financement de la santé liée aux réductions des financements des Etats-Unis.
Aujourd’hui, il s’agit non seulement de maintenir nos acquis, mais surtout de transformer notre manière d’agir pour adapter la riposte-là aux réalités actuelles. Cela implique d’opérer des changements radicaux dans la programmation et le financement de la lutte. Il faut assurer l’efficience allocative, des actions à haut impact et la priorisation. Il faut une mobilisation continue des ressources endogènes pour assurer surtout les services essentiels, notamment la disponibilité permanente des ARV.
S : Quels sont les acquis majeurs engrangés dans la lutte contre le VIH au Burkina Faso ?
S. D : Vous avez d’abord la baisse de la prévalence du VIH en population générale. Si vous avez souvenir, nous sommes passés de 7,17% en 1997, à 0,5% en fin 2024. Il y a la réduction des nouvelles infections. Nous sommes passés de 6,254 cas de nouvelles infections en 2010, à actuellement 2,914 cas en 2024. Il y a la réduction de la mortalité liée au VIH grâce au traitement. Nous sommes passés de 4,681 décès en 2010, à 2,900 décès en fin 2024. Depuis 2010, les traitements ARV sont gratuits. Nous avons aussi la lutte multisectorielle, avec les acteurs de la santé et communautaires, les comités ministériels, les entreprises et les associations qui sont engagés. Le tout couronné par le leadership du président du Faso qui est le président du CNLS-IST. L’Etat, malgré les contraintes, injecte des ressources et nous pensons que l’Etat va toujours s’engager pour qu’au moins nous puissions maintenir les services essentiels.
S : Peut-on espérer la fin du SIDA au Burkina à l’horizon 2030 ?
S. D : L’élimination du SIDA à l’horizon 2030 en tant que problème de santé publique est une vision, un objectif. Nous sommes sur la trajectoire. Malgré les perturbations, nous pouvons rester optimistes. Je pense que nous pouvons mettre l’épidémie VIH sous contrôle d’ici 2030, en tant que problème majeur de santé publique. Pour cela, nous devons nous engager dans la transformation de la riposte nationale au SIDA. Les maitres mots sont, priorisation, impact, intégration, mobilisation de ressources endogènes, efficience allocative.
Interview réalisée Abdoulaye BALBONE





