Malnutrition des enfants déplacés internes à Kaya : au cœur de la prise en charge nutritionnelle et médicale

La crise alimentaire née au Burkina Faso de celle sécuritaire affecte les populations déplacées internes. Parmi elles, l’on dénombre des enfants qui souffrent, soit de la Malnutrition aigüe modérée (MAM), soit de la Malnutrition aigüe sévère (MAS). A Kaya, dans la région du Centre-Nord, force est de constater que l’Etat et ses partenaires mettent les bouchées doubles pour une prise en charge adéquate de ces mômes.

Ce mardi 26 mars 2024, le jour se lève sur la ville de Kaya, dans le Centre-Nord, qui accueille plusieurs Personnes déplacées internes (PDI). Le soleil amorce sa course dans le ciel vers le zénith. Il est 10h 30 mn. La chaleur se fait déjà sentir et le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du secteur 6 ne désemplit pas de patients. Certains d’entre eux sont des Enfants déplacés internes (EDI) qui souffrent de malnutrition et sont accompagnés de leurs génitrices. La souffrance et le poids du mal qu’ils trainent se lisent sur leurs visages et leurs corps. La salle d’attente pour les consultations conduites par les infirmières Aminata Zabré, par ailleurs, responsable de la nutrition du CSPS 6 et Sandrine Kaboré, est pleine d’enfants chétifs et pleurnichards. A l’entrée de la salle de consultation, des femmes avec leurs enfants qui, au dos, qui dans leurs mains, s’impatientent en file indienne. Elles doivent recevoir des directives de l’Agent de santé à base communautaire (ASBC) du secteur 6, Salamata Zango.

Les consultations sont conduites au CSPS du secteur 6 par les infirmières Sandrine Kaboré et Aminata Zabré (de la gauche vers la droite).

« Ici, j’organise des causeries avec les femmes. Je prends la taille et le poids des enfants. Je distribue la bouillie et j’oriente chaque femme vers la prochaine destination qui peut être un Poste de santé avancé (PSA) ou un autre CSPS », déclare-t-elle. Séance tenante, elle recommande aux mamans des enfants malnutris d’être hygiéniques, de ne donner à leurs enfants une bouillie autre que celle faite à base de maïs, de mil, d’arachide et de haricot et de les faire vacciner. Elle instruit également les mères de prendre bien soin de leurs enfants. « Lorsqu’il y a des cas de guérison, nous félicitons les mamans et les encourageons à faire en sorte que l’enfant ne retombe pas dans la malnutrition », laisse entendre l’ASBC Zango. La responsable de la nutrition au CSPS du secteur 6 relève qu’à la date du jeudi 28 mars 2024, ce sont 40 nouveaux cas de malnutrition dont huit cas de Malnutrition aigüe sévère (MAS) et 32 cas de Malnutrition aigüe modérée (MAM) qui ont été enregistrés. « Au CSPS du secteur 6 de Kaya, nous recevons en consultations des enfants-nourrissons sains et malades. C’est sur la base de ces consultations que l’enfant est retenu au CSPS ou transféré au Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya. Auparavant, le dépistage qui consiste en la prise du ‘’périmètre brachial’’ est fait par les ASBC. Nous faisons ensuite le rapport poids/taille pour juger si l’enfant est malnutri ou pas », détaille Aminata Zabré.

Des relais communautaires

C’est dans cette atmosphère que le major du CSPS du secteur 6, Issa Sawadogo, nous reçoit. Il détaille le processus de prise en charge en expliquant qu’avant que les enfants « supposés malnutris » ne soient transférés au CSPS du secteur 6, il y a des relais communautaires constitués d’ASBC et de volontaires qui organisent au niveau des communautés, la prise en charge des cas de malnutrition, sur fond de sensibilisation et de dépistage. « Si des supposés cas de malnutrition arrivent au CSPS du secteur 6, nous faisons d’abord des tests de confirmation pour voir si ce sont de vrais cas de malnutrition. Ensuite, si toutes les conditions d’admission au CSPS sont réunies, s’ensuivent des tests pour une administration médicamenteuse et enfin le suivi des rations alimentaires », précise Issa Sawadogo. L’enfant référé peut avoir une complication de son cas de malnutrition comme une MAS couplée à une autre pathologie, indique-t-il. Alors, ce dernier est transféré au Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya pour être pris en charge et ensuite re-transféré au CSPS pour poursuivre les soins, si la pathologie en question a été éradiquée. Il existe aussi d’autres canaux de sélection de malnutris, clame Issa Sawadogo. Quand des femmes viennent pour des consultations prénatales ou pour des raisons de planification familiale, c’est un moment propice pour détecter des cas de malnutrition, si elles ont des enfants, signifie-t-il.

Des femmes attendant les consultations de leurs enfants.

« Nous prenons alors tous les paramètres anthropométriques de l’enfant pour savoir s’il n’y a pas de signes de malnutrition. Au cas où il s’avère des cas de malnutrition, l’enfant est admis dans un centre pour traitement ou un PSA », ajoute le major Sawadogo. Malheureusement, déplore-t-il, avec l’insécurité, il y a une hausse du nombre de cas de malnutrition. Dans l’aire sanitaire du CSPS du secteur 6 de Kaya, l’on dénombre 100 cas de MAS sans complications et au minimum 200 cas de MAM par mois, regrette-t-il. « Cette situation engendre une insuffisance des rations alimentaires faites de bouillies et d’Aliments thérapeutiques prêts pour l’emploi (ATPE) qui ne couvrent pas les besoins des enfants malnutris. Au CSPS du secteur 6 de Kaya, par exemple, des femmes y viennent pour apprendre à préparer la bouillie, mais ne peuvent pas en disposer compte tenue de l’insuffisance de sachets de bouillie pour la préparation à la maison au profit de leurs enfants malnutris », reconnaît Issa Sawadogo.

L’appui de MSF

Dans le district sanitaire de Kaya, en plus du CSPS du secteur 6 qui accueille plus d’EDI malnutris, il y a cinq PSA dont celui du secteur 6 dénommé 38 villas. Le responsable du PSA 38 villas du secteur 6 de Kaya, représentant le District sanitaire de Kaya, Lassané Kaboré, fait comprendre que le PSA travaille en collaboration avec l’équipe de Médecins sans frontières (MSF). Le PSA 38 villas a été créé en février 2020 avec l’accompagnement du district, de la Direction régionale de la santé du Centre-Nord (DRS-CN) et de MSF, rappelle-t-il. Dans la matinée du jeudi 28 mars 2024, une immersion dans ce PSA permet de comprendre l’ampleur du phénomène de la malnutrition qui trouble les EDI de Kaya et leurs parents ainsi que la prise en charge du fléau. Dans une des entrées du PSA, un groupe de femmes tenant leurs enfants et assises sur des bancs attendent de passer chez l’infirmière nutritionniste de MSF/Kaya, Bibata Combari, pour la prise en charge de leurs enfants malnutris. Dès qu’elles accèdent à la salle de consultations et de prise en charge, elles sont assises sur une natte à même le sol. Parmi elles, Fati Ouédraogo et Téné Zoré, deux mères qui tiennent respectivement dans leurs mains, leurs progénitures, Ibrahim Zabré et Sadia Sawadogo, souffrant de la malnutrition. Elles racontent que leurs enfants sont tombés dans cette situation de malnutrition après qu’elles ont fui les affres du terrorisme pour s’installer à Kaya. « Mon enfant souffre de la malnutrition, il y a de cela six mois (ndlr, depuis octobre 2023 jusqu’à la date de notre passage en mars 2024). C’est au PSA ici que j’ai commencé le traitement. Car j’ai remarqué que son poids diminuait le jour au jour », lance Fati Ouédraogo, 29 ans et mère de quatre enfants. Sadia Sawadogo, elle, enfant de Téné Zoré (24 ans et mère de trois enfants), vient de tomber dans la malnutrition au mois de février 2024.

Cependant, sa maman se réjouit déjà de la prise en charge au PSA 38 villas. L’infirmière nutritionniste de MSF/Kaya au PSA 38 villas soutient que la prise en charge des enfants malnutris, des EDI en majorité, se fait du lundi au vendredi avec les consultations des nouvelles admissions pouvant atteindre en moyenne 10 enfants, les lundis et des nourrissons saints, les mardis. Concernant la prise en charge proprement dite de la malnutrition, elle s’étend du mercredi au vendredi avec la prise en charge des MAS les mercredis et des MAM, les jeudis et vendredis, note l’infirmière nutritionniste. « Nous recommandons aux enfants malnutris des rations alimentaires gratuites appelées ATPE. Nous avons le « Plumpy nut » pour les enfants malnutris aigus sévères, le « Plumpy sup » pour les enfants malnutris aigus modérés et des farines pour les femmes allaitantes et enceintes malnutries », relève-t-elle. Egalement, au PSA 38 villas du secteur 6 de Kaya, la prise en charge débute par la salle de triage en prenant en compte la taille, le poids, la température et le périmètre brachial, notifie la cheffe d’équipe de consultations, l’infirmière Pélagie Ouédraogo. La sage-femme au PSA 38 villas du secteur 6 de Kaya, Natacha Ilboudo, renchérit que la malnutrition est détectée au service de la maternité déjà à partir des femmes enceintes qui peuvent être malnutries lors des Consultations prénatales (CPN), de la pesée des enfants et des opérations de planification familiale. « Nous donnons aux femmes malnutries deux sachets de céréales pour leur alimentation personnelle en y ajoutant une cuillérée d’huile. Après deux semaines, nous leur donnons un carton de riz de 36 sachets faits à base de condiments », mentionne- t-elle.

Des cas sévères au CHR de Kaya

Quand des enfants malnutris aigus sévères avec des complications sont enregistrés dans les centres de santé, ils sont immédiatement référés au Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN) du CHR de Kaya. Ce vendredi 29 mars 2024 au CREN, des enfants malnutris avec des œdèmes et des lésions cutanées se présentent devant les agents de santé accompagnés de leurs mamans, attristées.

AU CREN du CHR de Kaya, des enfants souffrant de MAS occupent souvent un lit à trois.

Parmi eux, Galilou Sawadogo, EDI en provenance de Pissila, âgé de deux ans et sept mois, dans les bras de sa maman, pleure sans cesse. Il souffre, selon les infirmiers diplômés d’Etat, Daouda Ouédraogo et Rihanata Zabré, d’une MAS. Ils soutiennent qu’au CREN, le travail consiste en la prise en charge nutritionnelle et médicale. « Pour les aliments, nous offrons des compléments comme le lait plein d’énergie (F 75 et F 100) en fonction de l’âge et du poids de l’enfant. La surveillante de l’unité de soins du CREN par intérim, l’attachée de santé en pédiatrie, Assèta Ouédraogo, indique que le service de pédiatrie accueille les enfants de 0 à 14 ans qui sont automatiquement dépistés, plus spécifiquement les malnutris. « Le dépistage se fait aux urgences pédiatriques. S’il s’avère que l’enfant est positif à la malnutrition aigüe sévère avec des complications, les soins peuvent commencer pour lever l’urgence et ensuite, il est transféré à l’unité du CREN », relève-t-elle. Le médecin généraliste au service de pédiatrie au CHR de Kaya, Dr Julienne Kaboré, précise que la prise en charge des patients se fait par des médecins spécialistes et généralistes, des attachés de santé en pédiatrie, des infirmiers, des garçons et des filles de salle chargés de l’hygiène et du transport des produits sanguins. « Lorsqu’on reçoit l’enfant, on vérifie s’il est malnutri ou pas. Une fois qu’il est malnutri, soit, il sera aux urgences ou au CREN. Si, l’enfant a une détresse respiratoire ou déshydraté, il reste en soins intensifs. Dès lors qu’il devient stable, il peut rejoindre les autres enfants au CREN », explique-t-elle. Le chef de service de la pédiatrie au CHR de Kaya, Dr Germain Dabiré, ajoute que lorsque les cas de malnutrition aigüe sévère avec des complications médicales sont stabilisés, les patients retournent dans les périphéries au niveau des CSPS.

Des causes de la malnutrition

Les spécialistes de la nutrition sont unanimes que la malnutrition a des sources diététiques et hygiéniques. Les conséquences sont énormes allant du retard mental à celui psychologique et physique. Pour l’infirmière nutritionniste de MSF/Kaya, la malnutrition dérive d’un déséquilibre des apports alimentaires dans l’alimentation des familles de déplacés internes et d’un manque d’hygiène. Le Médecin-chef du district (MCD) sanitaire de Kaya, Dr Lamine Ouédraogo, affirme qu’il s’agit du contexte sécuritaire qui ne permet pas à de nombreuses familles de cultiver durant la saison pluvieuse. Malheureusement, déplore-t-il, les différents appuis ne permettent pas souvent de couvrir leurs besoins nutritionnels et mettent les enfants et les femmes enceintes dans des situations d’extrême vulnérabilité. « Il y a aussi, les grands détours que les agents doivent faire afin de venir à Kaya pour le ravitaillement en intrants de prise en charge.

Dans ces conditions, le plus souvent, le coût du transport est difficilement supportable et occasionne, par moments, quelques ruptures », mentionne-t-il. Mais, Dr Lamine Ouédraogo soutient que pour la lutte contre la malnutrition, le District sanitaire de Kaya a pour mission de dépister tous les enfants malnutris de son aire sanitaire. Cette mission du District consiste également, ajoute-t-il, à les traiter ou les référer vers d’autres structures spécialisées si son plateau technique ne le permet pas et à assurer la prévention pour éviter la malnutrition aux autres enfants de 6 à 59 mois. « Les enfants et les femmes enceintes et allaitantes déplacés internes bénéficient également de nouvelles stratégies pour faciliter leur accès et leur prise en charge. Ainsi, nous tenons de façon régulière avec l’appui des partenaires, des campagnes de dépistage de masse à l’endroit des PDI pour identifier systématiquement les malnutris dès qu’ils arrivent dans une zone afin de les orienter vers les sites de traitement qui sont mis en place », explique le MCD de Kaya. La malnutrition demeure un problème de santé publique au Burkina Faso. Malgré une amélioration de la situation nutritionnelle, les résultats des différentes enquêtes nutritionnelles révèlent une persistance de la malnutrition sous toutes ses formes avec des prévalences au-dessus des seuils admis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Galilou Sawadogo, EDI en provenance de Pissila, âgé de deux ans et sept mois, souffre d’une MAS.

« Les prévalences de la malnutrition aigüe et chronique chez les enfants de moins de cinq ans sont passées respectivement de 10,2% et 34,1 % en 2011 à 9,7 et 21,6 % en 2021. Elle cache des disparités entre les régions et à l’intérieur des régions et est liée, notamment aux mauvaises pratiques d’alimentation et aux maladies », déclare la directrice de la nutrition du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, Estelle Bambara. Cependant, pour les zones enclavées, des directives ont été adoptées afin d’assurer la continuité de l’offre de services de nutrition, signifie-t-elle. « Pour ce faire, les ASBC ont été capacités pour assurer la prise en charge de la malnutrition aigüe au niveau communautaire sous la supervision d’un agent de santé. Le ministère en charge de la santé a intégré la prise en charge de la malnutrition aigüe dans le paquet minimum d’activités des formations sanitaires à tous les échelons », assure Mme Bambara. C’est pourquoi, explique-t-elle, le département en charge de la santé s’est doté d’un protocole national de Prise en charge intégrée de la malnutrition aigüe (PCIMA) qui date de 2014 et est en cours de révision pour prendre en compte les directives de l’OMS de 2023.

Boukary BONKOUNGOU

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